Le troisième genre : le cas des Toms et des Dees en Thaïlande

Par Walid Tannouri

Contrairement à l’Occident, la façon thaïlandaise de représenter et de construire le sexe, le genre, la sexualité, l’orientation sexuelle et l’identité de genre est bien différente. Lorsqu’il s’agit d’expliquer et de comprendre ces concepts, les Thaïlandais préfèrent de loin les englober par le terme « phêet » (Ojanen 2009, 6). Ce terme peut se traduire comme une catégorie sexuelle et de genre dans laquelle se trouve une pluralité d’aspects rattachés au sexe, au genre et à l’orientation sexuelle. Cette façon différente de concevoir l’identité individuelle permet non seulement de relever la complexité du genre, mais aussi de soulever un cas bien particulier à la culture thaïlandaise, soit celui du troisième genre. Ainsi, comment expliquer l’existence d’un troisième genre et plus particulièrement celle des toms et des dees en Thaïlande ?

La Thaïlande a une riche histoire indigène qui met de l’avant une diversité de modèles complexes de sexualité et de genre. Historiquement, il existe une catégorie intermédiaire nommée le troisième genre : kathoey (Ocha 2012, 565). Celle-ci existe conjointement avec les identités normatives masculine et féminine. Ainsi, l’hétérosexualité et le genre sexuel congruent impliquent l’utilisation des termes masculin et féminin et ceux qui ne répondent pas à ces critères sont classifiés comme kathoey (Ojanen 2009, 6). Le terme est donc plus large que les étiquettes occidentales, puisqu’il a tendance à décrire les hermaphrodites, les individus au corps féminin perçus comme masculins et les hommes qui ne correspondent pas aux exigences masculines (les hommes homosexuels, les efféminés, etc.) (Ocha 2012, 564).

 

Un système de genre non-binaire

(A) Praimpat Trakulchokesatiean (30 ans) avec sa dee Siriluck Srijinda (29 ans)

Il faut spécifier qu’en Thaïlande, le système de genre est conçu comme un continuum non-binaire avec des limites perméables, ce qui favorise l’émergence d’un troisième genre. Ce système permet non seulement un meilleur flux identitaire, mais aussi la coexistence d’une multitude d’identités (Ocha 2012, 565). En se concentrant davantage sur l’apport transgenre du terme kathoey, il est possible de soulever une dimension intéressante et spécifique à la culture thaïe. Celle-ci est à la fois similaire et différente de la conception « lesbienne » occidentale. Dans ce pays d’Asie du Sud-Est, l’homosexualité féminine est permise, mais ne peut être catégorisée comme « lesbienne ». En effet, pour les Thaïlandais, ce terme est à connotation négative, puisqu’il représente l’idée d’une pornographie féminine produite pour les hommes (Ojanen 2009, 9). C’est pourquoi l’homosexualité féminine thaïe est divisée en deux types de genre, soit les toms (de l’anglais tomboy) et les dees (de l’anglais lady).

 

 

Des identités relationnelles  

Par conséquent, les toms et les dees sont des identités relationnelles qui se définissent mutuellement par leur opposition et qui ne parviennent pas à se conformer à une simple image catégorisant le genre (Sinnott 2004, 83). La masculinité des toms est perceptible au travers de leur tenue, de leur coiffure, de leur comportement ainsi qu’au travers de leur intérêt sexuel motivé par les femmes féminines (Ojanen 2009, 9). De fait, dans la société thaïe, les toms sont des femmes transgenres qui adaptent et manipulent stratégiquement les stéréotypes culturels de la masculinité thaïlandaise, tels que la consommation excessive d’alcool, de tabagisme, et des sexualités émergentes pour créer une forme hybride de masculinité (Blackwood 2009, 456). Les dees, quant à elles, sont plus normatives dans leur apparence et leur comportement. Elles représentent la féminité sous toutes ses formes, mais elles sont sexuellement attirées par les toms. Socialement, elles sont moins critiquées, parce qu’elles sont plus difficiles à distinguer des femmes hétérosexuelles (Ojanen 2009, 9). Pour faire simple, les dees sont des femmes « lesbiennes » et féminines, qui en raison de leur relation avec des toms, sont définies comme des dees (Sinnott 2004, 80). De plus, aussi curieux que cela puisse paraître, il existe au sein même de ces identités des distinctions. En effet, certains toms distinguent les vraies-dees des fausses-dees. Pour eux, les vraies sont celles qui sont uniquement en relation avec des toms et les fausses sont celles qui sont à la fois capables d’être en relation avec des toms et des hommes hétérosexuels (Sinnott 2004, 81).

 

Une conception hétéronormative du couple

En contrepartie, pour qu’une relation soit considérée comme telle, des critères doivent être respectés. En effet, pour les Thaïlandais et plus particulièrement pour les toms et les dees, une activité reconnue comme sexuelle doit, par définition, inclure les genres opposés, soit le genre masculin et le genre féminin (Sinnott 2004, 86). Se faisant, une relation du même genre (tom-tom, dee-dee) est considérée comme une relation « déviante », puisqu’elle ne respecte pas ce critère des deux genres (Sinnott 2004, 87). C’est pourquoi pour qu’une relation fonctionne et soit reconnue comme telle, celle-ci doit inclure une image masculine (tom) et une image féminine (dee). Parallèlement, tout comme les relations hétérosexuelles, les relations homosexuelles féminines en Thaïlande sont marquées par une dynamique masculine, puisque les toms doivent être des leaders capables de subvenir monétairement aux besoins de leur dee (Sinnott 2004, 89). Pour conclure, nous pouvons soulever le fait qu’en Thaïlande, l’hétéronormativité est une réalité dominante dans la composition du couple féminin, puisque ce dernier doit refléter le genre masculin et le genre féminin, faute de quoi le couple serait perçu comme « déviant ».

En bref, l’existence des toms et des dees en Thaïlande est intrinsèque au troisième genre et parallèlement à une conception distincte du genre. Au travers d’un système non binaire, l’existence d’une pluralité de genres est possible et même encouragée. Néanmoins, bien qu’une relation amoureuse entre des toms et des dees soit socialement acceptable, celle-ci doit obligatoirement refléter une image hétéronormative pour être reconnue comme telle.

 

 

Bibliographie

Blackwood, Evelyn. 2009. « Trans Identities and Contingent Masculinities: Being Tombois in Everyday Practice ». Feminist Studies 35 (no. 3) : 454-480. 

Ocha, Witchayanee. 2012. « Transsexual emergence: gender variant identities in Thailand ». Culture, Health & Sexuality 14 (no. 5) : 563-575.

Ojanen, Timo T. 2009. « Sexual/Gender Minorities in Thailand: Identities, Challenges, and Voluntary-Sector Counseling ». Sexuality Research & Social Policy : Journal of NSRC 6 (no. 2) : 4-34.

Sinnott, Megan J. 2004. Toms and Dees : Transgender Identity and Female Same-Sex Relationships in Thailand. Honolulu : University of Hawai’i Press.

 

Iconographie

(A). En ligne : http://www.marieclaire.co.uk/news/tomboys-of-thailand-29497

 

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