La Thaïlande et la minorité musulmane : Des violences qui perdurent

Par Rose Clermont-Petit

Il y a un mois à peine, un autre attentat sévissait dans le sud de la Thaïlande. Deux bombes ont explosées dans un centre commercial de Pattani, blessant plus de 50 personnes (Fortunato 2017). Ce n’est pas la première fois qu’un attentat a lieu dans cette région de la Thaïlande, au contraire c’est une réalité que les habitants du Sud connaissent bien. Les attentats ont lieu presque quotidiennement dans cette région, que ce soient les voitures piégées, les bâtiments incendiés ou encore les forces de l’ordre attaquées (Compain 2012). 

Cette région à majorité musulmane a été conquise par le Siam (ancien nom donné à la Thaïlande) dans les années 1770 (Razvi 1979, 60). En 1909, un accord a été passé entre la Grande-Bretagne et la Thaïlande et cette dernière a transféré les quatre États malais suivant : Kelantan, Trengganu, Kedeh et Perlis au Royaume-Uni (Razvi 1979,60). Les États de Pattani, Yala, Narathiwat et Satun sont restés exclus de cette entente et ont été laissé à la Thaïlande (Razvi 1979,60). Or, alors que les musulmans représentent uniquement environ 3% de la population thaïlandaise, ils constituent environ 75 % de la population locale de ces quatre provinces du Sud, (Suhrke 1977, 237).  C’est pourquoi il s’agit d’une zone marquée par les conflits depuis bien longtemps, les tensions entre la minorité malaise-musulmane et la majorité thaïe-bouddhiste sur ce territoire étant toujours très présentes.

 

Le mouvement de résistance s’est d’ailleurs grandement amplifié sous Plaek Pibulsonggram qui devint Premier ministre en 1938 (Forbes 1982, 1059). Ce dernier a mis en place des politiques assimilationnistes très discriminatrices à l’égard des malais-musulmans. C’est d’ailleurs à cette époque que le nationalisme malais, ainsi que le mouvement séparatiste malais du Sud de la Thaïlande ont vu le jour (Forbes 1982, 1059). Par la suite, plusieurs premiers ministres se sont enchainés, certains donnant plus de liberté aux musulmans du Sud alors que d’autres en donnait moins. Mais, il n’en demeure pas moins que la minorité malaise-musulmane restait et reste toujours marquée par le règne de Pibul (aussi connu sous ce nom) et son ressentiment à l’égard du gouvernement est toujours présent (Forbes 1982, 1060). Une certaine stabilité s’était installée dans les années 1980, alors que des institutions avaient été mises en place pour permettre le dialogue

 

entre les malais-musulmans et les thaï-bouddhistes (Kowalczyk 2013). C’est en 2001 que Thaksin Shinawatra arrive au pouvoir et que cette stabilité vole en éclats (Compain 2012). En 2004, à la suite de « l’assassinat de quatre militaires et le vol de 400 armes dans une réserve de l’armée », la loi martiale est instaurée dans les quatre provinces du Sud (Kowalczyk 2013). Depuis, le conflit n’a fait que devenir de plus en plus violent, par exemple : lors d’une manifestation le 25 octobre 2004, « […] la police a tiré sur la foule tuant 8 personnes et arrêtant 1300 autres qui se sont retrouvés entassées les unes sur les autres dans plusieurs fourgons. Cinq heures de route plus tard 78 personnes ont été retrouvées mortes étouffées. »  (Devillers 2014).

On peut se demander pourquoi la résistance perdure aussi longtemps. Effectivement, la résistance est grandement fractionnée, allant des plus radicaux souhaitant voir la région se séparer du pays, à ceux qui veulent devenir une province autonome au sein du pays, alors que d’autres veulent plutôt s’allier avec la majorité et le gouvernement (Suhrke 1977). Il est donc dur de comprendre comment un mouvement aussi divisé a pu survivre aussi longtemps

Il est clair que les politiques qu’ont adopté les gouvernements à l’égard des minorités du Sud ont eu un grand impact sur la perduration des résistances (Forbes 1982).  Effectivement, les rebellions ont perdurées aussi longtemps, entre autres, à cause la recrudescence des violences policières à l’égard des musulmans du Sud (Insight on conflict 2009).  Quand le gouvernement devient plus dur à leur égard, c’est là qu’on voit la minorité s’organiser, faire plus de demandes et montrer plus de résistance à travers des actes de violence.

Mais les raisons vont au-delà des politiques du gouvernement. En effet, il y a une explication économique à cela. La minorité musulmane du Sud est nettement plus pauvre que le reste de la Thaïlande. La structure économique du pays est dominée par les thaï-bouddhistes et l’argent rapporté par les quatre provinces à majorité musulmane va principalement dans les mains du gouvernement (Suhkre 1977, 241). Cette réalité ne fait qu’augmenter la colère des habitants du Sud envers le gouvernement qui ne fait rien, selon eux, pour atténuer les inégalités entre les régions/religions du pays (Suhrke 1977).

Malgré les efforts récents des derniers gouvernements pour mettre en place des infrastructures dans le Sud et diminuer les égalités entre Bangkok et les banlieues musulmanes, il semble que cela n’est pas suffisant pour résoudre les tensions qui existent depuis déjà bien longtemps dans cette région (Kowalczyk 2013). Dans l’ère du terrorisme actuel, les résistances musulmanes du Sud sont très préoccupantes pour le gouvernement thaïlandais, puisqu’on « assiste au renforcement des séparatistes grâce aux soutiens financiers de quelques réseaux terroristes bien implantés dans le sud-est asiatique » (Bourrier 2004). On peut donc se demander ce que le gouvernement, de plus en plus affecté par les résistances, fera pour tenter de préserver l’image d’un pays uni, d’un pays du Sourire, d’un pays ouvert où tous les gens vivent en harmonie.

 

Bibliographie

Bourrier, Any. 2004. « Thaïlande: le sud musulman sous le choc ». Dans Radio France Internationale. En ligne. http://www1.rfi.fr/actufr/articles/050/article_26444.asp

Devillers,Wilfried. 2014. « La barbarie quotidienne dans le sud de la Thaïlande ». Dans Thaïlandefr. En ligne. https://www.thailande-fr.com/politique/28603-barbarie-quotidienne-dans-le-sud-de-la-thailande

Forbes, Andew D. W. 1982. « Thailand’s Muslim Minorities: Assimilation, Secession, or Coexistence? ».  Asian Survey 22 (no. 11): 1056-1073.

Fortunato, Victor. 2017. « Thaïlande : une cinquantaine de blessés dans un double attentat à la bombe ». Dans Le Parisien. En ligne. http://www.leparisien.fr/international/thailande-au-moins-40-blesses-dans-un-double-attentat-a-la-bombe-09-05-2017-6931677.php

Insight on Conflict. 2009. « Thailand: Conflict profile ». Dans Peace Direct. En ligne. https://www.insightonconflict.org/conflicts/thailand/conflict-profile/#1

Kowalczyk, Piotr. 2013. « Thaïlande : « Le Sud du pays ressemble désormais à un camp militaire » ». Dans Le Journal International. En ligne.  http://www.lejournalinternational.fr/Thailande-Le-Sud-du-pays-ressemble-desormais-a-un-camp-militaire_a1274.html

Liow, Joseph Chinyong. 2011. « Muslim Identity, Local Networks, and Transnational Islam in Thailand’s Southern Border Provinces. » Modern Asian Studies 45 (no. 6): 1383-421.

Razvi, Mujtaba. 1979. « THAI MUSLIMS », Pakistan Horizon 32 (no 3): 59-66

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