Les femmes au Vietnam entre confucianisme, communisme et passé colonial

(Série « L’Asie du Sud-Est et les droits des femmes »)

Par Julie Noyer

La République Démocratique du Vietnam est un pays communiste et l’une des économies d’Asie de plus en plus ouvertes au commerce régional et mondial (Moci 2016). Quoique toujours en situation de transition économique, le pays s’évertue à entretenir une dynamique de modernisation depuis la réunification du Nord et du Sud, en 1976. Par ailleurs, le passé colonial du Vietnam et son héritage sont encore palpables au sein de la société vietnamienne. Il fait ainsi partie intégrante d’une identité à la fois confucéenne et communiste, à l’image des stéréotypes controversés entretenus à l’égard des vietnamiennes. Dans ce billet, je tente de saisir l’impact des facteurs sociaux et de la course à la modernisation dans la construction d’une identité vietnamienne moderne.

Une vietnamienne portant sa fille dans le marché ethnique à Can Cau, au Nord du Vietnam (A) 

Les vietnamiennes:  entre confucianisme et communisme

Pour comprendre la position sociale et culturelle des femmes au Vietnam, il importe de considérer le caractère culturel diversifié et le passé colonial qui ont forgé l’identité nationale par l’entremise de la tradition et de la modernité.

Le confucianisme « a grandement influencé les relations hommes femmes au Vietnam et continuent de le faire » à tel point de les empêcher de s’épanouir (Gauthier 2009, 28). Durant l’occupation chinoise et au fil de l’histoire pré-coloniale (avant l’arrivée des Français), cette doctrine religieuse se politise et devient un moyen de gouverner le peuple à l’échelle privée principalement. Le statut de la femme répond au concept des « trois soumissions qui consiste pour elle, à obéir au père lorsque célibataire, au mari lorsque mariée, et au fils aîné lorsque veuve » (Gauthier 2009, 28). Puis,  le dessein de la famille, sous entendu de la femme, est de respecter la piété filiale à travers la continuité de la lignée paternelle en acceptant les conditions d’un mariage généralement arrangé et ouvert à la polygamie. De nos jours, les rapports familiaux répondent toujours aux exigences confucéennes, surtout dans les régions les plus reculées du Vietnam, même si l’État se déclare socialiste.

En effet, les rapports sociaux restent à la surface, fidèles aux principes communistes. Le communisme selon Ho Chi Minh relevait d’une hiérarchie horizontale et avait pour dessein l’égalité entre les sexes (Gauthier 2009, 32). En effet, libérer les femmes de l’emprise de la famille patriarcale viendrait renforcer l’unité nationale au profit de la lutte contre l’oppresseur à tel point que leur émancipation ne devienne une condition nécessaire à la réalisation du socialisme (Attané 2009, 131). Ainsi, selon Ho Chi Minh: « les femmes forment la moitié de la société. Si les femmes ne sont pas émancipées, le socialisme est à moitié réalisé » (Attané 2009, 131). C’est d’ailleurs dans le contexte de la naissance du Parti Communiste Indochinois que les Vietnamiennes ont commencé à militer au sein des groupes révolutionnaires contre l’oppression coloniale. Sous le régime français, les femmes étaient sujettes à de nombreuses violences autant physiques que morales (Gauthier 2009, 37). Dans cette lancée , c’est en 1959 que la loi sur le mariage et la famille vinrent poser « les premiers jalons importants d’un nouveau modèle de mariage et de la famille » sous le régime communiste du Vietnam du Nord (Attané 2009, 132). La mariage de force et précoce est aboli et l’égalité entre époux est exigée. En même temps, l’influence maoïste perdure et l’avènement des régimes communistes présentent l’émancipation des femmes comme une condition nécessaire à la réalisation du socialisme (Attané 2009, 131).  Dès les années 1950-1960,  la Chine et le Vietnam expriment alors de concert leur soucis d’instaurer un contrôle sur la croissance de leur population et des mesures capables de la contenir la démographie désirée, perçus comme des conditions nécessaires au développement économique (Attané 2009, 130). Bien que cette maitrise de la fécondité ait été beaucoup moins importante au Vietnam, elle apparait comme les prémisses de la politique du renouveau en 1986 qui amena la République à ouvrir ses frontières aux investissements étrangers et s’insérer au sein l’économie de marché mondiale. Les réformes économique du Doi Moi avaient pour objectif de répondre aux lacunes du système économique socialiste et à l’augmentation de la corruption au sein du Parti État. La nouvelle planification mise en place permet la légalisation du secteur privé et encourage les investissement étrangers (Gauthier 2009, 47).

De la politique du Doï Moï à nos jours : du renouveau pour les femmes au Vietnam

Ho Chi Minh (B)

Bien qu’il soit étonnant pour un pays communiste de s’ouvrir au monde capitaliste, il faut savoir qu’Ho Chi Minh avait toujours défendu « le bien être de la nation avant les principes idéologiques communistes » (Gauthier 2009, 34). Par ailleurs, le Vietnam est une société de type patrilinéaire, patrilocal et patriarcal dans laquelle « les fils ont un statut plus prestigieux et davantage de valeur aux yeux de leurs parents que les filles » (Bélanger 2003, 256). Malgré celà, c’est en 1963 que le programme de planification familiale fut lancé au Vietnam (Attané 2009, 134). Plus important encore, c’est le  17 février 1982, que le Vietnam ratifie la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF), s’engageant ainsi à préserver les femmes du pays de leur naissance en passant par leur socialisation et leur statut dans le domaine privé (Nations Unies 2007). L’article 5 de la convention préconise d’ailleurs de « modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité (…) » (CEDEF 1981). Or, en 1988, l’incitation fait place à la coercition: la politique « d’un ou deux enfants »» par famille est alors officialisée (Attané 2009, 136). Bien que rien dans cette politique ne mentionne le fait de n’enfanter que des fils, les rapports de masculinité à la naissance sont élevés (Bélanger 2003, 256). En effet, « avoir des fils est indispensable pour les parents et les autres membres de la famille pour des raisons économiques, sociales, culturelles et spirituelles » (Bélanger 2003, 256). C’est à eux qu’incombent la prise en charge des parents âgés, la perpétuation de la lignée familiale et de le devoir de la piété filiale par le culte des ancêtres (Attané 2009, 142). Même si cette préférence pour les garçons dans les familles vietnamiennes perdure, le Vietnam prit tout de même des mesures pour préserver les droits et intérêts des femmes notamment suite à la Conférence internationale sur les femmes organisée à Pékin en 1995 (Attané 2009, 137). De ce fait, la logique de la politique du renouveau qui se base avant tout sur une volonté d’améliorer la qualité de vie de la population concerne aussi les femmes. D’ailleurs, en 2013, au moment de la remise du dernier rapport en date de la Commission vietnamienne au Comité CEDAW, il est  notamment fait état des avancées et des efforts du gouvernement vietnamien en matière de promotion et protection des droits des femmes.

Le Vietnam face au Comité CEDAW

Photographie de Réhahn d’une femme portant le Ao Dai, robe traditionnelle vietnamienne (C)

En 2007, dans les 5e et 6e rapports depuis 1986, le CEDAW a fait part de ses préoccupations  concernant la traite des femmes et la violence domestique au pays. Or un an auparavant, le gouvernement avait mis en place la loi sur l’égalité des sexes qui prévoyait « éliminer la discrimination et de donner des chances égales aux hommes et aux femmes dans le développement socio-économique et (…) d’aller vers une égalité véritable entre les femmes et les hommes dans toutes dimensions de la vie sociale et familiale » (CEDAW 2013, 10). Par la suite, dans le rapport du comité CEDAW de 2013, cette politique est présentées comme un « instrument juridique privilégié » mis de l’avant pour appuyer le constat d’avancées significatives du Vietnam concernant la promotion des droits de la femme. D’une manière plus pragmatique, « les autorités ont veillé à l’occasion de la modification des lois existantes ou de l’élaboration de nouvelles, à donner corps au principe d’égalité entre les femmes et les hommes » (CEDAW 2013, 11). Plus encore, la « stratégie nationale pour l’égalité des sexes 2011-2020 » vise à atteindre « l’égalité concrète entre les hommes et les femmes notamment l’égalité des chances, la participation et le bénéfice égal des fruits de l’action politique, économique, culturelle et sociale, tout en contribuant au développement rapide et durable du pays » (CEDAW 2013, 13).

Concernant, la place des femmes en politique, le CEDAW exprimait déjà des réserves en 2007. Malgré le fait que le Vietnam occupe la première place des pays asiatiques pour la promotion des femmes au sein d’organes élus comme l’Assemblée nationale et le Conseil du peuple, et se situe au 18ème rang mondial, le taux de participation des femmes ne s’élevait qu’à 27,31% (Nations Unies 2007). En 2016, ce n’est que 27 femmes sur 73 qui siègent au Parlement et uniquement 9 sur 91 qui occupent des positions publiques et administratives (Global Gender Gap Report 2016, 362). Malgré les efforts déployés au niveau institutionnel, le Comité reconnaît que « faute de sensibilisation suffisante à l’égalité des sexes et aux droits des femmes, les stéréotypes sexistes perdurent largement parmi plusieurs groupes de la population. » (CEDAW 2013, 14).

S’attaquer aux schémas sociaux qu’une population entretient est un processus complexe et laborieux. Il n’en reste pas moins que l’engagement du Vietnam auprès du CEDAW s’est maintenu en bonne est due forme depuis que l’État a ratifié la Convention Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF) en 1982. Il est donc nécessaire de reconnaitre que malgré son passé colonial et ses traditions patriarcales, le Vietnam a su mettre en œuvre des réformes concernant l’amélioration de la condition des femmes.

* Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le rapport intégral du CEDAW sur le Vietnam (2013) : http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW/C/VNM/7-8&Lang=en

 

Bibliographie

AFP.2015. Fiche pays – Vietnam – Données générales. Le Moci, Moniteur du Commerce international. En ligne. http://www.lemoci.com/fiche-pays/vietnam/ (page consultée le 9 avril 2017).

Attané, Isabelle Attané et Catherine Scornet. 2009. « Vers l’émancipation ? Politiques reproductives et condition des femmes en Chine et au Viêt-Nam ». Cahiers du Genre n°46 : 129-154.

Bélanger, Danièle. 2003. « Les rapports de masculinité à la naissance augmentent-ils au Vietnam ? ». Population 2003/2 (Vol. 58) : 255-276.

Gauthier, Geneviève. 2009. Femmes et développement : la condition des femmes vietnamiennes depuis la transition à l’économie de marché. Mémoire. Département de science politique. Université du Québec à Montréal

Haut commissariat des Nations Unies sur les droits de l’Homme. 1981. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Genève : Secrétariat des Nations Unies. En ligne.    http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CEDAW.aspx (page consultée le 1er mars 2017).

Organisation des Nations Unies. 2007. L’action du Vietnam pour promouvoir les droits des citoyennes suscite les interrogations des expertes du CEDEF. New York : Couverture des réunions et communiqué de presse des Nations Unies. En ligne. http://www.un.org/press/fr/2007/FEM1593.doc.htm (page consultée le 1er mars 2017)

Till Alexander, Leopold, Ratcheva Vasselina et Zahidi Saadia. 2016. Global Gender Gap Report.Genève : Forum économique mondial.

Iconographie  

(A) En ligne. https://www.facebook.com/MathildeLimito/photos/a.1254306151323453.1073741832.1239318986155503/1254306554656746/?type=3&theater

(B) En ligne. https://fr.pinterest.com/pin/487936940861567423/

(C)En ligne. http://www.rehahnphotographer.com/portfolio/ao-dai-collection/

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