Vietnam : quand le changement climatique dérègle la relation homme-femme

de Clara Leroy

Le changement climatique au centre du Vietnam a fait drastiquement chuter la production de riz. Cela a créé de l’insécurité alimentaire, surtout dans les régions de Quang Nam et de Thua Thien Hue. En 2008, le gouvernement de la République socialiste du Vietnam a adopté un programme national pour le changement climatique qui incluait des mesures pour augmenter la surface forestière protégée[1]. Cela a eu pour conséquence d’empêcher les habitants des alentours de chasser du bétail ou de récolter des plantes sauvages dans la forêt. Cet accaparement vert combiné au changement climatique a alors entrainé une transformation inédite de la relation homme-femme et ce au détriment des femmes. De quelle manière ce phénomène s’est-il déroulé dans  la communauté Co Tu (minorité ethnique) ? Quelles solutions les femmes de cette région rurale ont-elles trouvées ?

Femmes Co Tu lors d’une cérémonie            traditionnelle

 

L’impact du changement climatique

Depuis les trois dernières décennies, le climat est devenu changeant et beaucoup plus violent qu’auparavant dans les régions centrales du Vietnam : chaud et sec  pendant des mois, puis pluvieux avec des crues très impressionnantes. Plusieurs études corroborent le constat des habitants du Quang Nam, les Co Tu. Selon le rapport d’évaluation vietnamien sur le changement climatique, la température a augmenté de 0,05-0.20 °C et il existe une augmentation des glissements de terrain, du niveau de la mer, et des orages[2].

Tous ces facteurs combinés ont pour conséquence de détruire facilement les champs de riz et de réduire la quantité récoltée. 83 % des familles Co Tu ont reporté avoir perdu deux à trois récoltes complètes de riz en raison de la sécheresse et des crues imprévisibles[3].

Il est intéressant de noter que 91 % des femmes avaient remarqué la menace du changement climatique sur les récoltes, contre 43 % des hommes. Cette différence tient au fait que ce sont les femmes qui sont en charge de la culture du riz et qui ont la responsabilité de nourrir leur famille.

 

Femmes Portant un gùi sur leur dos

Femmes travaillant à la récolte

 

L’impact de l’accaparement vert

Le centre du Vietnam est recouvert à 48 % de forêt et les hommes ont toujours eu pour habitude d’y chasser, d’y découper du bois et d’y récolter des produits forestiers non ligneux[4].

Mais avec la décision gouvernementale de 2008 d’interdire l’accès à la forêt , ils ont dû entièrement modifier leur façon de vivre. Le fait qu’un état ou un organisme privé s’approprient des terres et des ressources dans un but environnemental, cela s’appelle l’accaparement vert (green Grabbing)[5].

Les terrains accessibles à la découpe du bois étant recouverts de jeunes arbres beaucoup plus fins, les hommes ont laissé leurs femmes s’y atteler. En effet, cela serait alors considéré comme une honte pour les hommes Co Tu de découper du petit bois ou d’être employé dans un champ de riz.

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Forêt préservée de Thua Thien Hue

 

La conséquence : un bouleversement de la relation Homme-femme

La combinaison du changement climatique et de l’accaparement vert a transformé le mode de vie des Co Tu. La répartition des tâches entre les hommes et les femmes a changé, et ce déséquilibre est au détriment des femmes.

Les hommes, faute de pouvoir chasser ou couper le bois, n’ont plus de travail à effectuer et se sont mis à boire et à rester chez eux. Les garçons, eux, sont de plus en plus scolarisés et espèrent trouver un emploi à la ville. Ils délaissent alors l’apprentissage de la pêche ou de l’agriculture, mais très peu parviennent à décrocher un travail[6].

Les femmes, elles, doivent redoubler d’ardeur dans les champs en raison des sècheresses qui menacent les récoltes. Il leur faut ajouter à cette tâche celle de découper le bois et d’élever du petit bétail, ainsi que tout le travail ménager, la cuisine et l’éducation des enfants. De plus, les problèmes d’alcoolisme croissant de leurs maris exposent davantage les femmes à la violence conjugale qu’avant.

Les frais de scolarité des enfants sont une pression supplémentaire sur leur dos, car si la récolte est mauvaise ils ne pourront pas poursuivre leurs études. Les petites filles ne vont quant à elles pas à l’école au-delà des premières années, car elles doivent aider leurs mères.

Même si les femmes Co Tu effectuent quasiment tout le travail et subviennent au besoin de leur famille, cela n’altère pas leur statut « officiel ». En effet, les hommes sont toujours considérés comme les chefs de famille : ils participent seuls aux réunions du village, sont les seuls à se rendre en ville et prennent les décisions (hors travail) pour leurs femmes[7].

 

Des solutions mises en place par les femmes

Les femmes Co Tu, malgré ces répercussions en leur défaveur, ont mis en place des stratégies pour améliorer la situation. Elles ont tenté de diversifier leurs plantations, en faisant pousser des acacias ou des haricots. Certaines femmes se tournent également vers le commerce, en revendant leurs récoltes ou en fabriquant des gùi (sacs de  récolte en rotin)[8]. Enfin, elles ont gagné de plus en plus d’indépendance et de liberté en s’affirmant dans leur rôle de travailleuses.

 

Fabrication du gùi (panier en rotin)

Fabrication du gùi (panier en rotin)

 

 

Ainsi, le changement climatique et l’accaparement vert ont eu des conséquences importantes sur les relations homme-femme dans les régions centrales du Vietnam. Les femmes doivent travailler davantage tandis que les hommes, faute de pouvoir chasser ou couper du bois dans la forêt, sont inactifs. Les femmes Co Tu, en développant de nouvelles stratégies, ont tout de même eu accès à un peu plus d’autonomie et de liberté, mais à quel prix ?

 

[1] Malin Beckman, 2011. “Converging and conflicting interests in adaptation to environmental change in central Vietnam”, Climate and Development, 3:1, page 2

[2] Pham, Phuong; Doneys, Philippe; Doane, Donna, 2016. “Changing livelihoods, gender roles and gender hierarchies: The impact of climate, regulatory and socio-economic changes on women and men in a Co Tu community in Vietnam”, Women’s Studies International Forum, , Vol.54, p.49

[3] Pham, Phuong; Doneys, Philippe; Doane, Donna, 2016. “Changing livelihoods, gender roles and gender hierarchies: The impact of climate, regulatory and socio-economic changes on women and men in a Co Tu community in Vietnam”, Women’s Studies International Forum, , Vol.54, p.50

[4] Pietrzak, Robert, 2010. « Forestry-Based Livelihoods in Central Vietnam: An Examination of the Acacia Commodity Chain: A Case from Thua Thien Hue Province, Vietnam ». Theses and Dissertations (Comprehensive). Page 3

[5] Malin Beckman, 2011. “Converging and conflicting interests in adaptation to environmental change in central Vietnam, Climate and Development”, 3:1, page 2-3

[6] Pham, Phuong; Doneys, Philippe; Doane, Donna, 2016. “Changing livelihoods, gender roles and gender hierarchies: The impact of climate, regulatory and socio-economic changes on women and men in a Co Tu community in Vietnam”, Women’s Studies International Forum, , Vol.54, p.52

[7] Pham, Phuong; Doneys, Philippe; Doane, Donna, 2016. “Changing livelihoods, gender roles and gender hierarchies: The impact of climate, regulatory and socio-economic changes on women and men in a Co Tu community in Vietnam”, Women’s Studies International Forum, , Vol.54, p.54

[8] Pham, Phuong; Doneys, Philippe; Doane, Donna, 2016. “Changing livelihoods, gender roles and gender hierarchies: The impact of climate, regulatory and socio-economic changes on women and men in a Co Tu community in Vietnam”, Women’s Studies International Forum, , Vol.54, p.54

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