Singapour, une démocratie autoritaire

Par Salomé Gueidon

Minuscule cité-Etat située au Sud de la péninsule malaise, Singapour est aujourd’hui l’un des Etats les plus prospères au monde. Indépendant de la Malaisie depuis 1965, le pays a su réaliser un développement économique impressionnant. Sur le plan politique, Singapour connaît une grande stabilité, et ce depuis l’indépendance. Toutefois, ce sont le même parti et la même famille qui dirigent le pays depuis lors, et l’opposition politique est pratiquement inexistante. Et la cité-Etat n’est pas vraiment connue pour son respect des droits de l’Homme, autant de critères qui permettent de qualifier Singapour de « démocratie autoritaire ».

Singapour ne remplit donc pas les conditions d’une démocratie même si, en comparaison avec ses voisins d’Asie du Sud-Est, ou même d’un peu plus loin – notamment en Chine ou en Corée du Sud –, l’autoritarisme singapourien ne semble pas si terrible. Pas de génocide comme en Indonésie ou au Cambodge, pas de coup d’Etat comme en connaît souvent la Thaïlande… Dans l’ensemble, le régime est stable, les dirigeants paraissent honnêtes et désireux de satisfaire le peuple. Certes, le pouvoir est autoritaire, mais il semble donc bien avoir à cœur le développement du pays, dont profite dans un certain sens la population.

Comment expliquer une telle stabilité politique, dans un contexte mondial où la démocratie semble s’imposer comme le modèle à suivre chez les pays développés ? Parlons tout d’abord de la politique singapourienne. Le pays obtient son indépendance en 1965, et Lee Kuan Yew, déjà Premier ministre depuis 1959, devient le chef de ce nouveau gouvernement. Son parti, le Parti d’Action Populaire (PAP), est majoritaire depuis 1959 ; il ne connait pas de réelle opposition, et dirige les principaux médias du pays (Opinion 2013)

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Membres du PAP défilant avec le drapeau du parti

Tous les quatre ou cinq ans, des élections ont lieu à Singapour, mais le PAP y est réélu chaque année, sans réelle surprise, depuis donc 55 ans (Le Monde 2011). L’hégémonie du PAP dans la politique singapourienne s’explique en partie par la faiblesse de l’opposition. En 1991, le pouvoir revient à Goh Chok Tong, auquel succède en 2004 Lee Hsien Loong, le fils de Lee Kuan Yew. Son autre fils est PDG de Singapore Telecommunications, leader dans son domaine en Asie. La famille Lee détient donc un pouvoir immense au sein du pays, lui assurant en partie sa position.

Par ailleurs, la politique singapourienne est connue comme très répressive à l’égard des droits de l’Homme. La peine de mort y est systématique pour les crimes considérés comme grave, ou liés à la drogue, la bête noire du pays (Opinion 2013). La liberté d’expression est extrêmement réduite, notamment pour l’opposition politique et les médias internationaux, souvent accusés de diffamation (Le Monde 2011), ce qui n’est pas tellement difficile dans un pays où l’ensemble des médias est contrôle par le pouvoir en place. Les mouvements sociaux, comme par exemple les grèves, sont interdits. Enfin, la Loi pour la Sécurité intérieure (ISA) autorise la détention sans procès pour une période indéterminée, une façon pour le PAP d’assurer son maintien au pouvoir, en faisant taire les critiques (Singh 2011, 111).

En 2010, par exemple, Singapour fait la une de plusieurs journaux internationaux pour l’emprisonnement d’un journaliste britannique ayant critiqué le régime. La même année, le Secrétaire général de cette ONG, spécialisée dans la liberté de l’information, a par ailleurs adressé une lettre ouverte au Premier ministre Lee Hsien Loong, dénonçant l’absence de liberté d’expression à Singapour. En 2009, l’Etat avait ainsi été classé au 133ème rang, sur 175, des pays où la presse connaît le moins de liberté, selon Reporters sans frontières (Reporters 2010).

Malgré cela, cette démocratie autoritaire en place à Singapour semble solide et largement acceptée par la population. Selon l’historien Jean-Louis Margolin, la principale justification de cet autoritarisme est la réussite économique que le régime a réussi à induire. Et quelle réussite ! Parmi les pays les plus pauvres du Tiers-monde durant les années 1950, Singapour fait aujourd’hui partie des pays où le revenu par habitant est l’un des plus élevés au monde. Sous Lee Kuan Yew et le PAP, Singapour a donc connu un développement économique incroyable, en faisant un modèle pour le reste de l’Asie. C’est également l’un des régimes les moins corrompus au monde, et le taux de chômage y est très faible, preuve que malgré sa domination sur la politique du pays, le PAP s’est « efforcé d’améliorer le bien-être de ses électeurs » (Singh 2011, 115). Les investissements étrangers sont largement intéressés par la grande stabilité politique qui y règne.

La libéralisation politique suivra-t-elle toutefois la libéralisation économique ? Contrairement par exemple aux populations des pays qui ont connu le Printemps arabe, le peuple de Singapour, à part une minorité malaise désavantagée, n’a pas vraiment de raisons de descendre dans les rues pour manifester contre le régime, car ses conditions de vie se sont dans l’ensemble nettement améliorées. Quoi qu’il en soit, la société civile est tout de même plus consultée depuis les années 1990, et l’opposition politique, à travers le Workers Party, commence à s’organiser (Le Monde 2011)

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Singapour, avec son régime autoritaire mais prospère, nous montre que la démocratie, modèle politique prôné par l’Occident, n’est pas forcément la seule ou la meilleure façon de réussir. En échange de droits politiques limités, les Singapouriens s’assurent ainsi une situation largement acceptable (Margolin 1997, 15). Toutefois, une démocratisation serait bien sûr souhaitable, et les pressions internationales pourraient aider dans ce sens car Singapour attache énormément d’importance aux investissements étrangers, et le pays est donc sensible à son image sur la scène mondiale.

Bibliographie

Le Monde. 2011. Singapour : la continuité paraît devoir l’emporter sur le changement. En ligne. http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/05/23/singapour-la-continuite-parait-devoir-l-emporter-sur-le-changement_1525937_3232.html (page consultée le 8 novembre 2014)

Margolin Jean-Louis. Singapour : l’autoritarisme au service du développement. In:Matériaux pour l’histoire de notre temps. 1997, N. 45. Modèles d’Asie : En Asie aujourd’hui, des réussites économiques, pour quelles sociétés ?. pp. 9-15.
doi : 10.3406/mat.1997.403064
url :/web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_1997_num_45_1_403064
Consulté le 21 septembre 2014

Opinion Internationale. 2013. Singapour : une dictature discrète. En ligne. http://www.opinion-internationale.com/2013/12/18/singapour-une-dictature-discrete_21546.html (page consultée le 21 septembre 2014).

Reporters sans frontières. 2010. Un journaliste britannique « libéré » mais accusé d’outrage à la justice. En ligne. http://fr.rsf.org/singapore-reporters-sans-frontieres-appelle-19-07-2010,37974.html (page consultée le 24 novembre 2014).

Singh Bilveer, « Singapour – Maintenir l’équilibre entre la prospérité, la croissance sociale et la démocratisation graduelle », Revue internationale de politique comparée 1/ 2011 (Vol. 18), p. 105-122. URL : www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2011-1-page-105.htm. DOI : 10.3917/ripc.181.0105

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