Les Karen en Thaïlande

Par Matthieu John

Il y a quelques années, j’ai eu l’opportunité d’accompagner des membres d’une organisation humanitaire thaïlandaise lors d’une visite d’un « camp » au nord de la Thaïlande, dans la région de Chiang Mai. La Thaïlande abrite de nombreux groupes ethniques, souvent en marge de la société thaïe, en particulier sur sa zone frontalière avec la Birmanie. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de m’intéresser, dans le cadre de ce billet, à leur situation et plus particulièrement au groupe ethnique karen. Les populations karen sont présentes depuis longtemps dans la région et représenteraient d’ailleurs le plus large groupe minoritaire des montagnes de l’Est de la Birmanie et du Nord-Ouest de la Thaïlande (DELANG, 2003, p. IX). À travers notre analyse, nous tacherons de savoir si depuis leurs arrivé sur le territoire thaïlandais, les Karen se sont assimilé à la société thaïlandaise.

 

            Tout d’abord, il serait intéressant d’apporter quelques précisions sur ce groupe ethnique. Les Karen forment un ensemble de groupes tibéto-birman qui vit majoritairement en Birmanie. Ce nom « Karen » désignait à l’origine les «hommes de la forêt » mais est aujourd’hui employé pour désigner différents sous-groupes ayant pour origine une langue commune. Si l’on compte entre 4 et 6 millions de Karen en Birmanie, ils seraient environ 400000 en Thaïlande (DELANG, 2003, préface). Nous allons dans ce billet nous intéresser à ces derniers, divisé en 2 sous groupes (les Skaw et les Pwo) et vivant historiquement en haute-altitude (entre 600m et 1000m). Il faut remonter au XIIIème siècle pour voir s’installer les premiers Karen sur les zones frontalières entre les royaumes birman et du Siam. Aussi, durant le siècle dernier, de nombreux Karen de Birmanie ont fuit les conflits entre le gouvernement et les groupes ethniques vers les zones frontalières thaïlandaises. Ceux que l’on surnomme les « Hill tribes » vivent aujourd’hui en marge de la société thaïlandaise, et ne sont pas des citoyens thaï à part entière (DELANG, 2003, p.22).

 2      Jusqu’au XIXème siècle, les Karen avaient une certaine autonomie, et ce malgré la proximité du royaume du Siam. Comme d’autres groupes minoritaires des zones frontalières, ils servaient de protection au royaume, tel une « zone tampon » (DELANG, 2003, p.26). Ainsi, les Karen évoluaient à part et il n’était encore pas question d’assimilation à la culture thaïe : Les Karen n’ont donc pas adopté la culture dominante de la région, ils ont au contraire réussi à préserver leur culture au fil du temps.

Cependant, la situation des Karen vis-à-vis de la Thaïlande changea progressivement à partir du XXème siècle. Premièrement, la Thaïlande est à cette époque en phase de modernisation et l’on voit le pays se bureaucratiser : l’État se réorganise, se structure et centralise le pouvoir. En parallèle de ce mouvement de modernisation, la question d’identité nationale apparaît et débutent des politiques d’assimilation. La question qui vient alors est de savoir ce que signifie être Thaï ? Le gouvernement cherche à regrouper la population derrière une identité commune : Il ne s’agit donc pas d’une intégration économique ou politique mais bien culturelle, et par la suite territoriale. Ces éléments ont donc amené à s’intéresser à la question des « hill tribes ». Alors que l’État thaï cherche à consolider son territoire national, la notion de frontière prend toute son importance. C’est ainsi que la question des minorités habitant les zones frontalières s’est politisée. Notons aussi que cette notion de consolidation des frontières implique une volonté d’appartenance commune des habitants du territoire thaï. Or, comme nous l’avons vu précédemment, les Karen présents depuis des siècles avaient une certaine autonomie vis-à-vis de la Thaïlande. De ce fait, si l’État thaï a cherché, pendant 40 ans, à assimiler les différents groupes ethniques tels que les Karen, cela fut un échec (DELANG, 2003, p32). Peu à peu, les Karen ont été problématiques aux yeux des autorités thaïes, les éléments de conflit étant leur attitude migratoire, la culture d’opium et l’agriculture itinérante. Inévitablement, des liens entre la société thaïlandaise et les Karen se sont créés. Par exemple, dans les années 1970, face à la dictature militaire thaïe, nombreux sont ceux qui se dirigent vers les hautes terres où habitent les Karen afin de trouver des espaces cultivables (DELANG, 2003, p 156). Ce mouvement de population affectant l’économie et le territoire karen, est aussi précipité par une population grandissante en Thaïlande, et crée des tensions entre karen et nouveaux arrivants. Mais cette « colonisation » des terres karen s’accompagne aussi de la construction d’infrastructures, reliant d’autant plus l’espace occupé par les Karen à l’espace thaïlandais. À titre d’illustration, le réseau routier y est passé de 5 000 kilomètres en 1950 à 30 000 kilomètres en 1980. Ainsi, malgré eux, les Karen ont vu leurs communautés se rapprocher de la société thaïlandaise malgré les échecs de l’assimilation à une identité et culture commune thaïe.

            Si les Karen de Thaïlande habitent depuis des siècles les terres qu’ils occupent actuellement, il ont vécu jusqu’au XIXème siècle d’une manière assez indépendante du royaume thaï. À compter du début du XXème siècle, la population karen a suscité l’intérêt de la société thaïe à l’heure où le pays se développait et créait une identité nationale basée sur l’assimilation. Cependant, bien que visés, les Karen ne se sont pas assimilé à la société thaïlandaise et ont cherché à préserver leur culture et modes de vies traditionnelles, ce jusqu’au dernières décennies et malgré l’arrivée sur leurs terres de populations thaïe.


Références :

  • KEYES, C., (1979). Ethnic adaptation and identity : the Karen on the Thai frontier with Burma. Philadelphia : Institute for the Study of Human Issues.
  • O DELANG, C., (2003). Living at the edge of Thai society : the Karen in the highands of northern Thailand. London : RoutledgeCurzon.
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