La réalité de la cohabitation : la diaspora chinoise au sein de l’ancienne Indochine

Par Nicolas Chantigny

Tel qu’abordé dans mon billet précédent, intitulé La réalité de la cohabitation : la diaspora chinoise au sein du monde malais, l’Asie du Sud-Est représente un lieu majeur d’implantation des communautés chinoises d’outre-mer, figurant parmi la première des destinations prisées par les Chinois. Ce texte, en continuité avec le dernier, continuera l’analyse des différentes mouvances sur le territoire en observant la situation au sein de deux pays continentaux de l’ancienne Indochine. Successivement, le Vietnam et le Cambodge seront scrutés à la loupe. Ainsi, nous quantifierons à travers chiffres et statistiques l’évolution des relations entre les diasporas chinoises et leur pays d’adoption et nous nous attarderons aux différents évènements tragiques afin de déceler le niveau d’intégration des communautés chinoises à travers leur société d’accueil. L’objectif est de comprendre ce que représentent démographiquement et économiquement les diasporas chinoises de chaque région et de comparer leur évolution d’hier à aujourd’hui.

La place qu’occupe la communauté chinoise du Vietnam d’aujourd’hui est largement influencée par l’historique que partage les deux pays voisins de plusieurs centaines de kilomètres. En effet, du IIIe siècle avant J-C jusqu’au Xe siècle après J-C, le Vietnam était sous le joug d’un contrôle direct de la Chine [1]. De la sorte, la présence chinoise y est plus ancienne que partout ailleurs. La proximité des deux États est donc été sujette à plusieurs vagues d’immigrations d’agriculteurs chinois qui s’établirent au nord du Vietnam [2]. Par contre, il faut attendre le XIXe siècle pour constater une arrivée massive d’exilés chinois avec les politiques colonisatrices françaises en faveur de l’immigration [3]. L’intérêt mercantile des communautés chinoises venait stimuler les échanges avec les Occidentaux et c’est pourquoi ils étaient bienvenus au sein de la colonie. La situation des Sino-vietnamiens était donc enviable. En 1975, on décrit l’économie chinoise comme ayant l’emprise sur 100% du commerce de gros, 50% du commerce de détail, 70% du commerce extérieur, 80% de l’industrie et 50% du secteur bancaire [4]. Les guerres du Vietnam vinrent changer la donne et seront le théâtre d’un exode massif des Chinois du nord du pays et de leurs actifs. « L’étatisation de l’économie au sud Vietnam les a chassé des activités industrielles et financières, le changement de politique économique en 1986 [par le parti communiste Vietnamien] a cependant permis leur retour dans les activités indépendantes [5] ». Aujourd’hui, en plus de noter une démographie importante de la communauté sino-vietnamienne [200 000 personnes, soit 3% de la population nationale] et la concentration des Chinatown, la diaspora chinoise au Vietnam joue une rôle important au sein de l’économie du pays. Cependant, on dénote une ambigüité au sujet des relations entre cette dernière et le gouvernement vietnamien ; le gouvernement du pays veut bénéficier de l’expertise chinoise sans leur laisser le leste qu’ils avaient auparavant [6]. Ainsi, bien qu’évolutives, les relations entre la diaspora chinoise et les Vietnamiens se concluent aujourd’hui comme étant saines, réservant une place plutôt privilégiée à ces immigrants au sein de la société.

Similairement au cas du Vietnam, la communauté chinoise du Cambodge et son pays d’adoption partagent un passé commun ancien et basé sur de bonnes relations. En effet, dès le XIIIe siècle, les archives démontrent une présence chinoise au Cambodge [7]. Appelés « Bouddha » par leurs homologues cambodgiens, les Chinois étaient bien accueillis et perçus comme des personnes sophistiquées, apportant des denrées multiples. On dénombre leur présence à 3000 immigrants en 1434 [8]. Conjointement au cas du Vietnam, la colonisation française et l’installation d’un protectorat accentuèrent l’immigration chinoise dans le pays. Numériquement, les Chinois constituèrent une population de 20 000 au début du XVIIe siècle [9]. Économiquement, ils contrôlaient le commerce du riz dans l’entièreté de la nation. Leur démographie s’amplifia au fil du temps pour atteindre 400 000 individus, soit 10% de la population totale du pays, à la fin de la Seconde Guerre mondiale [10]. Les évènements de 1975 vinrent perturber cette ascension, des émeutes antichinoises dirigées par les Khmers rouges engendrèrent des meurtres et des incendies de commerces chinois. De plus, un impôt spécial visant la communauté chinoise fut initié [11]. Les répercussions seront majeures pour la diaspora avec un exode de 200 000 Sino-cambodgiens. Heureusement, en 1989, au lendemain de la création d’une nouvelle république, les Sino-cambodgiens furent réintégrés et retrouvèrent leurs biens. Aujourd’hui, ils exercent des emplois importants, tels que médecins, architectes, mécaniciens boulangers, fonctionnaires, agents de bureau, importateurs, restaurateurs, hôteliers, industriels, hommes d’affaires, etc. et « 90% des groupes étrangers qui investissent dans le Cambodge contemporain appartiennent à des groupes du Sud-Est asiatique ou à la Chine » [12]. Malgré un revirement catastrophique avec la venue des Khmers rouges, la diaspora sino-cambodgienne a su s’imposer au sein du pays pour dominer l’économie.

En conclusion, les différentes communautés chinoises du Vietnam et du Cambodge ont un passé commun fondamental et constituent un réseau d’échanges panasiatique. Ayant exercé, le rôle de pionniers des relations internationales, les diasporas chinoises ont connues -et connaissent toujours d’ailleurs- un succès économique reluisant. Malgré des évènements tragiques et le démantèlement d’une partie de leurs installations, elles ont su persévérer et constituer une communauté solidement attachée à leur pays d’adoption.

[1] Emmanuel Ma Mung, p.67

[2] Idem.

[3] Idem.

[4] Idem

[5] Idem.

[6] Pierre Picquart, p.96

[7] Ibid. p.97

[8] Idem.

[9] Idem.

[10] Emmanuel Ma Mung, p.69

[11] Idem.

[12] Pierre Picquart, p.98

Bibliographie

Emmanuel Ma Mung, La diaspora chinoise : géographie d’une migration, Paris, Ophrys, 2000

Pierre Picquart, L’empire chinois, Paris, Favre, 2004

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