La Diaspora Chinoise en Thaïlande

Par Marc-Olivier Cléroux-Cloutier

Contrairement à plusieurs États de la région où les citoyens d’ethnie Chinoise sont souvent discriminés, les Sino-Thaïlandais montrent un surprenant degré d’assimilation dans la société thaïe. Bien que seulement 14% de la population soit soi-disant « chinoise pure», entre le tiers et la moitié de la population thaïe aurait une descendance chinoise. Qu’est-ce qui explique cette intégration si élevé en Thaïlande alors que la diaspora chinoise est presque partout ailleurs en Asie du Sud-Est discriminée?

Comme tous les autres pays d’Asie du Sud-Est présent, l’immigration Chinoise trouve son origine plusieurs centaines d’années avant la colonisation européenne de la région. Toutefois, la section péninsulaire de la région, tout spécialement le Vietnam et la Thaïlande, trouvent leur origine ethnologique dans les populations de la Chine continentale ayant migrées vers le sud. Par la suite une migration assez constante des populations du sud de la Chine vers les régions ainsi que les relations marchandes avec la Chine du treize au dix-huitième siècle contribuèrent à une infusion de culture Chinoise dans la population Thaï de l’époque grâce aux intermariages avec les populations locales.

Suite à l’effondrement de l’empire d’Ayutthaya, le général Taksin, lui-même descendant d’une union entre un père Cantonais et une mère Thaï, encouragea fortement l’immigration d’hommes Chinois qui marièrent presque exclusivement des femmes Thaï durant la deuxième moitié du 18e siècle. Ainsi, durant le 19e siècle, un grand nombre de Thaïlandais (alors appelés Siamois) étaient descendants d’une union Sino-Thaïlandaise. Cette tendance fut par contre renversée au début du 20e siècle alors que de plus en plus de femmes et de familles migrèrent de la Chine continentale afin d’échapper à la dynastie Qing, puis des guerres civiles et autres tensions politiques qui ravagèrent le pays durant la plus grande partie du 20e siècle. La population dite « chinoise » grimpa de 230,000 en 1825 à 720,000 en 1910. En 1932, plus de 12% de la population de Thaïlande était Chinoise.1

Dû à la population Chinoise grandissante et à son quasi-monopole de plusieurs industries déjà à la fin du 19e siècle, plusieurs politiques visant celle-ci furent institués au début du 20e siècle afin de limiter son influence. La loi sur les noms de famille, institué en 1913 par le roi Rama VI durant son règne de monarchie absolue, obligea tous citoyens à adopter un nom de famille Thaï, forçant de façon plutôt prématuré l’intégration des populations à la « race Thaï ». Puis, en 1918, la loi sur les écoles privées obligea les enseignants étrangers à passer un test de langue Thaï et toutes les écoles, même privés, durent se plier aux normes établies par le ministère de l’éducation Thaïlandais, ce qui obligea toutes écoles à enseigner le langage Thaï à leurs étudiants. Finalement, la loi sur l’éducation primaire de 1932 institua la langue Thaï comme premier médium d’éducation. Les politiques de répressions des Sino-Thaïlandais par le régime militaire de Plaek Phibunsongkhram durant les années 30 à 50 forcèrent d’avantage l’intégration des communautés chinoises alors que les écoles, associations et journaux chinois furent fermés et que les entreprises sino-thaïlandaises furent sévèrement taxés.

Vers la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, par contre, les politiques de répression se relaxèrent dans un effort d’obtenir les bons grés de la Chine nationaliste en simplifiant le processus de naturalisation, qui permettait à tous ceux qui s’y conformaient d’échapper aux règlementations strictes affectants les étrangers.2 La destitution de Plaek Phibunsongkhram apporta nombre de relaxations des politiques de répression et engendra l’institution d’un nouveau journal de langue chinoise, de banques coopératives sino-thaïlandaises ainsi que d’une relaxation des régulations envers les métiers qui avaient auparavant été interdit aux Sino-Thaïlandais. Bien qu’ayant souffert de nombreuses répressions durant le régime de Phibun, la communauté chinoise sortit, à la fin de la guerre, beaucoup plus économiquement en santé qu’avant, ce qui permit à celle-ci de s’imposer comme une des communautés les plus prospère de la Thaïlande moderne.

On peut ainsi conclure que l’histoire ethnographique de la région, la disposition historique des dirigeants favorables à l’immigration Chinoise, sa situation coloniale unique en Asie du Sud-Est, les politiques nationalistes du début du 20e siècle ainsi que la situation spécifique de la Thaïlande durant la Deuxième Guerre Mondiale ont tous contribué à intégrer la population Sino-Thaïlandaise beaucoup plus étroitement à leur pays que la majorité des autres diaspora chinoises de la région, qui restent encore aujourd’hui largement victimes d’oppression et de discrimination ouverte, sinon systématisées.

1 : CIA World Factbook
2 : Reynolds, p.380

Bibliographie
CHIRASOMBUTTI, Voravudhi. « Some Observations on Migrants’ Acquisition of Thai Family Names. » Ritsumeikan University. Web. 4 Nov. 2014. .
« CIA World Factbook. » Central Intelligence Agency. Web. 3 Nov. 2014. .
LEPEOR, Barbara Leitch. Thailand: A Country Study. Washington (D.C.): Government Printing Office, 1987. Country Studies. Web. 5 Nov. 2014. .
REYNOLDS, Bruce E. « “International Orphans” — The Chinese in Thailand During World War II. » Journal of Southeast Asian Studies 28.02 (1997): 365-88. San José State University. Web. 4 Nov. 2014. .
Stuart-Fox, Martin. A Short History of China and Southeast Asia: Tribute, Trade and Influence. Crows Nest, NSW: Allen & Unwin, 2003. Print.
Wongsurawat, Wasana. « Contending for a Claim on Civilization: The Sino-Siamese Struggle to Control Overseas Chinese Education in Siam. » Journal of Chinese Overseas 4.2 (2008): 161-82. Web. 4 Nov. 2014. .

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