Le contrôle des terres dans la sphère Sud-Est Asiatique

Qu’est-ce que le « contrôle des terres »? Selon Lund et Lee Peluso (2011), ce serait une pratique qui fixe (ou consolide) une forme d’accès ou de revendication par un acteur étranger d’une parcelle de terre appartenant à un propriétaire privé, résultant ainsi la dépossession, la perte de droit et parfois même l’exclusion de ce dernier. D’ailleurs, plusieurs procédés sont mis de l’avant afin d’effectuer ce genre d’opérations telles l’encerclement, la territorialisation, la légalisation et allant même parfois jusqu’à la menace, voire même la violence (voir : Lund et Lee Peluso, 2011).

Il est à noter que de subir ce genre d’injustices n’est pas chose nouvelle pour la région de l’Asie du Sud-Est, comme on peut l’observer au sein des vagues de colonisation européennes qui déferlèrent sur la région dès le 16e siècle. En effet, on peut le retracer entre autres au sein de la production agricole basée sur l’économie d’exportation installée par les forces coloniales produisant des « cultures tropicales » (souvent créant une dépendance) tels le café, le thé, le sucre, le tabac et l’opium (Hall, 2011). Toutefois, maintenant, les acteurs principaux de phénomène de contrôle des terres ne sont généralement plus une élite locale, mais rassemble en majorité de grandes corporations, firmes internationales et même des acteurs étatiques et publiques. En effet, il a été observé que plusieurs corporations transnationales achètent ou louent de larges parcelles de terre dans le Sud-Est Asiatique (mais également dans bien d’autres endroits sur la planète) avec comme ambition entre autres de cultiver des produits alimentaires, du carburant et des fibres végétales (Hall, 2011).

Il est important de comprendre que la plupart du temps, la dépossession des terres par différents acteurs va de pair avec un autre processus se nommant « crop boom ». Comme le nom l’implique, ces « explosions agraires » (nous traduisons) sont très lucratives pour plusieurs, mais en aucun cas pour tous les participants. En effet, la majeure partie des revenus sont encaissés par les acteurs non agraires, mais certaines histoires d’enrichissement rapides de producteurs sont suffisantes pour attirer l’intérêt d’acteurs agricoles et les convaincre de tenter leur chance (Hall, 2011). Souvent d’ailleurs ces « booms » sont généralement marqués par une combinaison d’expansion agricole, d’intensification, ayant notamment comme conséquences environnementales de massives déforestation (De Konink, 2006).

Un problème perceptible de la région est que la majeure partie du temps, ces explosions sont produites en fonction d’une demande mondiale, ce qui fait qu’ils sont orientés vers le marché et la demande extérieure, plutôt qu’à l’intérieur du pays. Par exemple, la récente adoption d’objectifs concernant l’augmentation de l’utilisation d’énergie renouvelable dans les transports au sein de l’Union européenne a été un stimulus énorme pour la production d’huile de palme dans le Sud-Est asiatique (Pye 2010). Toutefois, pour implanter un « crop boom » de manière efficace, il ne faut pas seulement un contrôle sur la terre : on doit avoir des connaissances sur les techniques agricoles, chose qui peut être acquise à travers les corporations et les agents étatiques. Également, le capital pour mettre en place ce genre de croissance rapide peut être acheminé sous forme de prêt par l’État ou bien à travers les contrats de production des compagnies internationales, ce qui leur donne premier pas dans les différents systèmes de contrôle mis en place (Hall, 2011).

Le « boom » probablement le plus prolifique de la région, celui de l’huile de palme, est une histoire de deux pays : la Malaisie et l’Indonésie. En effet, les deux pays ont produit pour 85% de l’huile de palme mondiale et 89% des exportations mondiales en 2004, en plus d’avoir converti de très grande surface à la plantation – près de 8 millions d’hectares entre 1990 et 2007 (Hall, 2011). Aussi, on peut noter l’essor du Vietnam qui passa d’un producteur négligeable de café à devenir le deuxième producteur mondial. En effet, entre 1993 et 2000 la surface de terre utilisée pour la plantation de café augmenta de plus de 6,5 fois (Hall, 2011). Toutefois, la douleur fut lourde lors de la chute du prix du café en 1999 pour les producteurs du pays qui ne s’étaient impliqués que dans cette culture. Il ne faut pas oublier également la production de crevette en Thaïlande, au Vietnam et en Indonésie qui explosa dans les années 90. L’expansion de cette production est venue de pair avec une grande déforestation, mais aussi plusieurs terres cultivables et autres terres près des côtes ont été converties. Le « boom » connu également une baisse à plusieurs niveaux (national et régional) résultant en la chute des prix, la maladie et aussi la pollution (Hall, 2011).

On peut donc dire que les incitatifs du marché mondial modelé principalement par les firmes internationales et les agents étatiques poussent certains propriétaires de l’Asie du Sud-Est à vendre ou louer leurs terres à ceux-ci, dans le but de connaître un enrichissement rapide individuel et de rentabiliser en capital leur terre. Ainsi, une grande surface de terres qui sont converties à la production de ces « booms » finissent sous contrôle des agents étatiques ou des firmes internationales qui encaissent la majorité des profits, au détriment des ressources agraires, de l’eau et des forêts de la région. Il est d’ailleurs également impératif de noter que le contrôle des terres participe également de l’exclusion de minorités présentes sur le territoire ayant peine à survivre, dont les droits ancestraux se voient éclipser par des accords sournois entre les corporations et l’État, sans consultation (Hall, 2011).

 

Bibliographie :
DE KONINK, R. 2006. « On the geopolitics of land colonization: order and disorder on the frontiers of Vietnam and Indonesia». Moussons, (9–10), 33–59.
HALL, D. 2011 « Land grabs, land control, and Southeast Asian crop booms » The journal of Peasant Studies, 38 (4), 837-857
LEE PELUSO, N. et LUND, C. 2011 « New frontiers of land control: Introduction » The journal of Peasant Studies, 38 (4), 667-681
PYE, O. 2010. «The biofuel connection: transnational activism and the palm oil boom » The Journal of Peasant Studies, 37(4), 851–74.

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