La modernisation des minorités ethniques du Vietnam

Par Maude Fagnant

Depuis le début de notre ère, plusieurs des populations minoritaires des pays continentaux de l’Asie du Sud-Est vivent en montagne alors que les groupes majoritaires occupent les basses terres. Les autorités vietnamiennes tentent de mélanger les différents groupes depuis le 13e siècle, mais les tentatives ont commencé à être réellement appliquées que durant les années 50. Cependant, le résultat des relocalisations a fait plus de mal que de bien.

Les groupes ethniques minoritaires du nord, surtout les Dao, les Hmong, les Thay et les Tai, sont ceux qui y ont perdu le plus. Considéré comme arriérés et barbares par la majorité, le gouvernement a développé des politiques visant à les moderniser. Elles ont plutôt aidé à leur faire perdre leur autonomie et à mettre en doute leur identité(1). De plus, les opportunités économiques ont surtout été profitables aux Kinh, qui composent 87% de la population totale(2), puisqu’ils connaissent mieux le fonctionnement de l’économie.

L’application des politiques de modernisation peut se diviser en trois périodes. L’objectif premier, lors de l’élaboration du projet en 1960, était de relocaliser les Kinh dans les montagnes pour remplacer les techniques traditionnelles d’agriculture d’abattis-brûlis par leurs techniques d’agriculture de riziculture inondée, mais aussi d’exploiter les ressources naturelles abondantes dans ces régions et d’y développer des services gouvernementaux. Le gouvernement en profita aussi pour désengorger les provinces surpeuplées de Kinh du delta du fleuve rouge.

En plus de déplacer les Kinh dans les vallées des régions montagneuses, ils doivent faire descendre les Dao et les Hmong qui habitent au sommet des montagnes dans ces vallées pour pouvoir appliquer les politiques d’aide au développement. Les groupes minoritaires Thay et Tai occupent plutôt les vallées entre les différents sommets de montagnes, donc ils pratiquent les deux types d’agricultures. Les Hmong et les Dao sont considérés comme nomades par le gouvernement que lorsqu’une zone brûlée par l’abattis-brûlis n’a plus de nutriments et n’est plus exploitable.

Le gouvernement a utilisé trois techniques de sédentarisation(3), mais elles d’énormes changement aux populations visées. Ils doivent entre autres choses abandonner leur mode de vie nomade en plus de devoir adopter des techniques agricoles qu’ils ne connaissent pas et qui ne sont pas adaptées à la vie en montagne. Dans le cas où ils vont travailler pour des entreprises d’État, ils doivent s’éloigner encore plus de leur région, un compromis qui n’est pas toujours envisageable. Une des techniques donne des résultats positifs pour les populations Hmong et Dao, qui ont appris à exploiter leur environnement différemment en développant des techniques d’agriculture sèche comme le thé ou en se concentrant sur l’élevage. Malgré le résultat de cette technique, l’ensemble des résultats n’atteindront pas les objectifs que le gouvernement s’était fixés.

Le gouvernement avait prévu relocaliser les Kinh au même rythme que l’accroissement naturel. Donc s’il y avait 1000 nouveau-nés dans l’année, 1000 personnes seraient relocalisées. Cependant, pour la période de 1961 à 1975, il y a eu 8 millions de nouveau-nés et seulement 1,2 million de personnes ont été déplacées(4). De plus, les terres agricoles ont fini par manquer puisque les vallées sont très étroites et que les montagnes escarpées sont peu propices à la riziculture inondée. Les rizières manquent de soleil et d’eau, qui est aussi trop froide, et lors des crues saisonnières, elles sont emportées.

La cohabitation entre les différents groupes ethniques a souvent été une source de conflit dû aux trop grandes différences culturelles entre les habitants d’un même village. Par exemple, les groupes minoritaires vénèrent les esprits de la forêt alors que les Kinh les craignent. De plus, lorsque les Dao et les Hmong sont entrés en contact avec les Kinh, ils ont contractés de nouvelles maladies comme le paludisme. Finalement, alors que ces derniers vont s’installer dans les vallées, ils doivent prendre une partie des terres agricoles et des villages qui appartenaient aux Thay et aux Tai(5).

Lors de la réunification du Vietnam en 1975, le gouvernement va se tourner vers les hautes terres du centre du pays. Les mêmes techniques de modernisation ont été appliquées, mais ne seront pas plus efficaces et les Kinh sont encore ceux qui s’en sortent le mieux économiquement(6). Pendant ce temps, les conditions de vie des peuples minoritaires et des Kinh relocalisés au nord se détériorent, tout comme les installations gérées par l’État qui ne sont plus entretenues.

Durant les années 90, au nord-ouest, une partie des Kinh va se tourner vers le commerce et certains groupes Dao vont se spécialiser dans les plantations de cannelle et la pisciculture, mais la majorité va retourner à la culture sur abattis-brûlis. Au nord-est, les Tay, qui sont majoritaires, vont récupérer les terres ancestrales sans considération pour les besoins des familles qui auront du mal à s’en sortir.

Les politiques de modernisation étaient basées sur une idée ethnocentrique. Les Kinh détenaient le savoir, ils avaient le devoir de l’enseigner aux peuples montagnards, mais ces derniers avaient mis des siècles à développer un mode de vie qui convenait au contexte agroéconomique(7). La connaissance de leur environnement et leurs traditions les rendaient autonomes, mais la sédentarisation a permis au gouvernement de prendre le contrôle. Ils ont tout de même préservé leurs traditions qui sont utilisées comme attrait touristique, mais qui sont tout de même considérées comme barbares par la majorité, rendant le peuple incertain quant à son identité et muet face au reste du Vietnam.

[1] Taylor 2008
[2] Schaeffer-Dainciart 1998
[3] Idem
[4] Schaeffer-Dainciart 1998
[5] Idem
[6] McElwee 2008
[7] Van de Walle 2000

Bibliographie

McElwee, Pamela. 2008. « “Blood Relatives” or Uneasy Neighbors? Kinh Migrant and Ethnic Minority Interactions in the Trường Sơn Mountains ». Journal of Vietnamese Studies, 2008 (Automne) : 81-116.

Schaeffer-Dainciart, Delphine. 1998. « Redistribution spatiale de la population et collectivisation au Nord-Vietnam : délocalisation des Kinh et sédentarisation des minorités ». Dans Véronique Lassailly-Jacob, dir., Communautés déracinées dans les pays du Sud, Centre IRD: Autrepart, 45-62.

Taylor, Philip. 2008. « Minorities at Large : New Approaches to Minority Ethnicity in Vietnam ». Journal of Vietnamese Studies, 2008 (Automne) : 3-43.

Van de Walle, Dominique, Dileni Gunewardena. 2000. « Sources of ethnic inequality in Viet Nam ». Journal of Development Economics, 1 (août) : 177-207

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés