Thaïlande: Une langue, une nation, une identité

Par Simon Plante

 

Vers la fin du 19è siècle, Siam (ancien nom de la Thaïlande) est la seule région de l’Asie du Sud-est qui n’était pas colonisé par un empire occidental. Ayant perdu la moitié de son territoire au cours des deux siècles précédents aux mains des Anglais et des Français, le roi Chulalongkorn [1] s’inquiète qu’ils avancent jusqu’à la capitale, Bangkok. Pour éviter la colonisation, il modernisa l’État : le roi centralise alors le pouvoir et le bureaucratise pour que toutes les populations se sentent diriger par le même état. [2] C’est alors que la nécessité d’avoir une culture nationale a émergé.

Le premier roi à avoir reçu une éducation en Europe, le roi Vajiravudh [3], sera le premier à implanter les idées nationalistes de façon officielles à Siam. Ces trois éléments importants constituant la nation étaient (et sont encore) la langue, le bouddhisme et la royauté. Il introduira le thaï standard basé sur le dialecte parlé par l’élite de Bangkok. Malgré le coup d’État de 1932 où le roi perdit beaucoup de son pouvoir dans la création d’un gouvernement plus démocratique, la royauté garda une place symbolique très forte et devient le porteur de l’identité thaï. C’est en 1939 que Siam est renommé Thaïlande, en référence aux Thaïs (le nom de l’ethnie en majorité sur le territoire) et au thaï standard (la langue), pour consolider un sentiment de nationalisme. Le thaï standard est utilisé comme principal outil d’unification. Dès 1940, le gouvernement crée la Convention nationale sur la langue et affirme alors que « All Thais must consider their fisrt duty as good citizens is to study Thai language […] Everyone must consider that he is born Thai, he naturally possesses Thai blood and talks Thai irrespective of birth-place or pronunciation. » [4]

Montée d’une langue nationale

 

Le thaï standard prend dès lors l’avant-scène : il devient la seule langue d’enseignement, la langue utilisée dans les médias et dans les instances gouvernementales, etc. Il a obtenu cette place prédominante d’abord parce qu’il est associé à l’élite, principalement la royauté, et puis qu’il y a un haut respect dans la population accordé à la famille royale, particulièrement le roi, symbole du nationalisme thaï. [5] «Standard Thai is not only the official language, but is also the national language, a symbol of identification for the Thai nation. Next to the King and along with the Buddhist religion, Standard Thai may be the strongest such symbol, even for those who speak it as a second language, or barely speak i tat all. » [6] La Thaïlande n’ayant jamais été colonisée, à l’exception d’une courte période par les Japonais, le thaï standard s’est propagé aisément dans le territoire et s’est fait accepter par les différentes populations locales thaïes. Elles assimilent leurs langues locales à la langue nationale en les considérant comme des moins bonnes versions de celle-ci.

Pour les minorités chinoises en Thaïlande, il n’y a aucune tentative pour faire passer leurs langues, établies par le gouvernement comme des langues étrangères, pour une version du thaï standard contrairement aux populations thaïes. Étant très présents dans le monde économique et le thaï étant indispensable pour les négociations, les Thaïs chinois acceptent la prédominance du thaï et l’apprennent rapidement. Pratiquant eux aussi la religion nationale, le bouddhisme, l’assimilation à la culture thaïe, particulièrement au thaï standard, s’est faite plus facilement.

Il est étonnant d’observer en Thaïlande l’absence de protestation contre l’omniprésence du thaï standard, contrairement aux d’autres pays de la région où le choix de la langue officielle ne fait pas l’unanimité. [7] Seuls les Malais au sud contestent ouvertement cette marginalisation de leur peuple, plus souvent sur des points de religion plus que de linguistique, étant musulmans et rejetant le bouddhisme. [8]

Limite d’une langue unique

La Thaïlande s’était déjà forcée à se moderniser pour éviter la colonisation, et ce, avec succès. Elle fait de nouveau face au défi de la modernisation dans un contexte de mondialisation. La seule langue d’enseignement est le thaï standard et très peu d’énergie est mise dans l’apprentissage de langues étrangères. En fait, l’anglais est la langue étrangère la plus enseignée, sauf que le niveau de connaissance de celui-ci lors de l’entrée à l’université est remarquablement faible malgré qu’il soit considéré comme complémentaire au thaï standard, représentant le monde extérieur et la modernité. [9] Ce manque de connaissances des langues étrangères nuit à la Thaïlande sur le plan international. Même si le thaï standard domine la scène locale, il ne permet pas de faire partie du commerce mondial.

Pour assurer un développement économique et technologique, le gouvernement s’est embarqué dans l’élargissement du lexique dans le thaï standard pour répondre aux nouvelles réalités. Cependant, dans ce processus, il y a une instrumentalisation du thaï, perdant ainsi tranquillement son rôle de représentant des valeurs traditionnelles, là où l’anglais ne pouvait rivaliser le thaï à cause de cette forte connexion avec le sentiment d’identité nationale.

[1] Chulalongkorn

[2] Simpson, p. 395

[3] Vajiravudh

[4] Ibid. p. 397

[5] Rappa, p. 111

[6] Ibid, p. 110, citation original dans Smalley, William. 1994. Linguistic Diversity and National Unity: Language Ecology in Thailand. Chicago : University of Chicago Press

[7] Simpson, p. 404

[8] Sugunnasil, p. 120

[9] Rappa, p. 120

Bibliographie

 

Rappa, Antonio L. 2006. Language policy and modernity in southeast Asia : Malaysia, the Philippines, Singapore and Tahiland. New York : Springer.

Simpson, Andrew. 2007. Language and national identity in Asia. Oxford, New York : Oxford University Press.

Sugunnasil, Wattana. 2006. «Islam, radicalism, and violence in Southern Thailand: Berjihad di Patani and the 28 April 2004 attack». Critical Asian Studies. Vol. 38, numéro 1, p. 119-144. En ligne: http://dx.doi.org/10.1080/14672710600556494 (Page condultée le 16 novembre 2013)

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