La région autonome en Mindanao musulmane: L’État dans l’État

Par Victor Klein

«There shall be created autonomous regions in Muslim Mindanao […] consisting of provinces, […] sharing common and distinctive historical and cultural heritage, economic and social structures, and other relevant characteristics within the framework of this Constitution and the national sovereignty as well as territorial integrity of the Republic of the Philippines»[1].

Voilà ce que propose la section 15, de l’article 10 de la Constitution de 1987 des Philippines, à propos de l’autonomie de la Mindanao musulmane. L’île de Mindanao est une région du sud des Philippines, dans laquelle, depuis plusieurs décennies, des indépendantistes Moros musulmans se battent pour la sécession avec les Philippines.

Le conflit prend sa source en 1968, lorsque plusieurs dizaines de soldats musulmans de l’armée nationale des Philippines refusent de combattre face à d’autres musulmans lors d’une attaque contre la Malaisie. Ces soldats sont alors exécutés par leurs camarades philippins. Ce massacre, connu comme celui de Jabidah, cristallisera le mécontentement des Moros musulmans. La même année, le Front Moro de Libération Nationale (FMLN) est créé sous la direction de Nur Misuari. Il mène alors une lutte armée contre le régime de Marcos afin d’obtenir l’indépendance et l’application de la sharia sur tous les territoires musulmans de l’île de Mindanao[2].

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Suite aux Accords de Paix de Tripoli entre le FMLN et le président Marcos, en 1976, la population des 13 provinces de l’île de Mindanao fut consultée pour savoir, si elle désirait l’autonomie. Sur l’ensemble des provinces, les musulmans ne représentaient qu’une minorité de la population, et la proposition fut donc rejetée[3]. Cet échec provoqua un schisme au sein de l’organisation, et son vice-président fit défection pour créer en 1984, le Front Moro Islamique de Libération, (FMIL)[4].

En 1986, Corazon Aquino après avoir mené le mouvement de démocratisation aux Philippines, défait Marcos aux élections présidentielles, et devient la première femme à obtenir le poste de président en Asie. Elle permettra la refonte de la constitution et inaugurera la Cinquième République des Philippines en 1987. Le nouveau parlement vota l’Organic Act of the Autonomous Region of Muslim Mindanao deux ans plus tard, donnant naissance à la Région autonome en Mindanao musulmane (RAMM) en 1990[5]. Sur les 13 provinces consultées du Mindanao, 4 répondirent oui au nouveau référendum et formèrent la région : Lanao del Sur, Maguindanao, Sulu et Tawi-Tawi[6].

Le nouveau gouvernement autonome se vit donner les pouvoirs complets au niveau de l’éducation, de l’agriculture, du tourisme, de l’industrie, etc. Ce n’est qu’après un long processus de négociations, que le FMLN signa un accord de paix avec le gouvernement central et accepta de participer au RAMM en 1996. Toutefois, dans l’accord de paix, le FMLN signifie clairement son désir de dissolution de la RAMM puis de la création d’une nouvelle région autonome correspondant à mieux à leurs revendications[7].

À la même époque, le FMIL, ne reconnaissant pas les accords de 1996, continue de mener une guérilla pour l’indépendance contre le gouvernement. Ses militants souhaitent alors l’indépendance totale de la région. Paradoxalement, le FMLN étant criblé par des conflits internes et ayant déposé les armes pour l’instant, le FMIL devint l’interlocuteur privilégié des gouvernements centraux successifs à partir de 2001.

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Le 15 octobre 2012, le président Benigno Aquino et le chef du FMIL, Mourad Ebrahim signèrent un accord de paix prévoyant le démantèlement de la RAMM et la création d’une nouvelle région autonome sur les bases de la précédente. Cette nouvelle entité sera connue sous le nom de Bangsamoro[8]. En plus de l’octroi de certains pouvoirs, la sharia sera appliquée, mais seulement dans les domaines relevant du code civil, le code pénal restant le même.

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Malgré cette annonce, le doute plane sur une possible paix au Mindanao. Si le FMIL a accepté de rendre ses armes, la réaction du FMLN fut largement ignorée par la presse internationale.  Ainsi Nur Misuari, dont l’organisation fut écartée des processus de paix par le gouvernement de Gloria Macapagal-Arroyo (2001-2010), refusa de les rejoindre en cours de route et rejette maintenant le nouvel accord de paix. Selon lui, c’est un affront à celui de 1996, qui prévoyait déjà le cessez-le-feu, et l’instauration d’une nouvelle entité politique. Le dimanche 4 novembre 2012, devant l’Organisation de Coopération Islamique, le FMLN promettait de continuer à lutter pour l’indépendance si le gouvernement ne reniait pas le nouvel accord avec le FMIL[9]. Paradoxalement, Nur Misuari, a affiché clairement son intention de se présenter aux élections pour le poste de gouverneur du RAMM en 2013.

Les prochaines années semblent donc incertaines pour le Mindanao. Après une guerre civile de plus de 40 ans ayant causé la mort de 150 000 personnes, les tensions sont loin d’être apaisées. La reprise des combats ne paraît pas imminente, mais le voeu renouvelé d’indépendance du FMLN rend toute paix incertaine. La victoire ou non de Nur Misuari au poste de gouverneur du RAMM en 2013, sera peut-être l’élément déclencheur de la pacification finale de la région ou celui d’une nouvelle ère de guérilla.

Pour en apprendre plus sur le conflit, écouter ce reportage radiophonique de la correspondante de la BBC dans la région et regarder ce reportage télé de l’émission People & Power de la chaîne Al Jazeera.

Tags : Moros, Islam, Mindanao, Philippines

Bibliographie :

–  Al Jazeera, People & Power, http://www.youtube.com/watch?v=ygDaa7QaBx4, page consultée le 22 novembre 2012

–  BBC, From our own correspondent, http://www.bbc.co.uk/programmes/p00zf16h, page consultée le 22 novembre 2012

–  East, Bob (2006) «Moro National Liberation Front (MNLF): A Profile of Determination»,  Social Change in the 21st Century Conference 2006, 27 October 2006, Carseldine, Brisbane.

–  Jimenez, Benedict S. (2009) «Anatomy of Autonomy: Assessing the Organizational Capacity and External Environment of the Autonomous Region in Muslim Mindanao», Asian Politics & Policy, 2009, Vol.1(2), pp.282-306

–  Le Monde, Asie-Pacifique, http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/10/15/philippines-un-pacte-pour-la-paix-signe-entre-le-gouvernement-et-la-rebellion-musulmane_1775513_3216.html, page consultée le 22 novembre 2012

–  Manila Standard Today, Long road to end the Mindanao conflict, http://manilastandardtoday.com/category/news/feature/long-road-to-end-the-mindanao-conflict/, page consultée le 22 novembre 2012

–  Moro National Liberation Front’ official website, http://mnlfnet.com/, page consultée le 22 novembre 2012

–  Official Website of the Autonomous Region in Muslim Mindanao, http://www.armm.gov.ph/, page consultée le 22 novembre 2012

–  The 1987 Constitution of the Republic of the Philippines, Article X Local Government, http://www.gov.ph/the-philippine-constitutions/the-1987-constitution-of-the-republic-of-the-philippines/the-1987-constitution-of-the-republic-of-the-philippines-article-x/, page consultée le 21 novembre 2012


[1] The 1987 Constitution of the Republic of the Philippines, en ligne.

[2] Bob East, p.4.

[3] Bob East, p.5.

[4] Bob East, p.5.

[5] Benedict Jimenez, p.287.

[6] Benedict Jimenez, p.288.

[7] Moro National Liberation Front, en ligne.

[8] Le Monde, en ligne.

[9] Manila Standard Today, en ligne.

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