Le poids de la religion dans la révolution safran au Myanmar

Par Catherine Desjardins

Les mouvements religieux ont souvent mis leur grain de sel dans les affaires de l’État, mais rarement ils ont été à la tête d’un mouvement populaire. C’est pourtant ce qui s’est produit en 2007 au Myanmar lorsque les moines ont pris d’assaut les rues du pays pour manifester contre le gouvernement. En réalité, les relations n’ont pas toujours été au beau fixe entre la junte et les bonzes depuis que la première a pris le pouvoir en 1962.

L’évolution de la relation entre les deux acteurs du pays depuis 1962 est utile à la compréhension de ce qui s’est produit à l’automne 2007. En effet, une première junte a prise le pouvoir en 1962[i]. Cette junte qui fut au pouvoir jusqu’en 1988 n’était pas en accord avec le rôle de la Sangha, hiérarchie bouddhiste, dans la vie politique birmane. Les relations entre la Sangha et cet État socialiste furent donc conflictuelles pendant environ 15 ans. En 1980, la Sangha fut « unifié et réorganisé, avec l’aide du gouvernement socialiste, selon le modèle du centralisme démocratique »[ii]. Suite au coup d’État de 1988, la relation entre l’armée et le « Conseil des grands maîtres du Sangha »[iii], créé en 1980 lors de la réorganisation, est restée cordiale et s’est même améliorée.

Ce qui est important de noter c’est que ce conseil « composé de 47 moines inféodé au militaires »[iv] n’est pas nécessairement garant de l’attitude ou des choix  des quelques 400 000 moines bouddhistes de Birmanie. L’emprisonnement d’environ 300 moines depuis le coup d’État de 1988 en est certainement un exemple[v]. La création de « l’Alliance de tous les moines de Birmanie »[vi] en est aussi la preuve. Celle-ci est la source des défilés de moines qui ont eu lieu en septembre 2007 dans les rues de plusieurs villes birmanes. Il est important de noter que les rebellions de 2007 n’ont pas débuté par l’implication des moines. Au contraire, celles-ci ont commencé en août alors que deux mouvements d’opposition birmans ont déclaré une vague de protestation en lien avec la hausse des prix de l’essence, du diesel et du gaz. Ces manifestations ne rencontrèrent pas un succès fulgurant; c’est plutôt la répression qui suivi qui attisa la colère de la population birmane. C’est ainsi qu’au début du mois de septembre, le 5 plus précisément, les bonzes descendirent dans la rue pour faire une manifestation pacifique contre la violence faite à leurs concitoyens ainsi qu’en appui à la démocratie. Malheureusement, ceux-ci reçurent le même genre de traitement, soit la répression. C’est à ce moment que la situation se détériora. En effet, le rôle des moines est sacré dans la philosophie bouddhiste autant en Birmanie qu’ailleurs en Asie du Sud-Est. En s’attaquant à ces individus, la junte a donc bafoué gravement les préceptes bouddhistes et animé une colère dans la population. C’est ainsi que les moines transformèrent des « protestations sporadiques contre l’augmentation massive des prix du carburant en une action pacifique de masse contre la junte »[vii]. Ces protestations arrivèrent finalement à leur apogée le 26 septembre 2007 alors qu’une manifestation regroupant environ 100 000 personnes, dépendant des chiffres consultés, fut sévèrement réprimé par la junte qui abattu alors 3 moines en plus de faire de nombreux blessés[viii].

Évidemment, aucun membre du Conseil des grands maîtres n’a participé à ces défilés ni ne les a organisé. En réalité, le lien entre les jeunes moines et ceux d’un âge plus avancé n’en est pas nécessairement un harmonieux, les plus âgés étant beaucoup plus liés à la junte et proche de ses décisions. Cette réalité représente bien la situation d’un pays où l’âge médian est de 28,2 ans[ix] et où la dictature est constituée des mêmes individus depuis la révolution de 1988 et même d’avant.

Finalement, on peut conclure que la révolution Safran, tiré de la couleur des robes revêtues par les moines bouddhistes, porte bien son nom. En outre, malgré le fait que les bonzes n’ont pas participé à la première vague de contestations, ils ont certainement permis au conflit de devenir beaucoup plus large D’ailleurs, leur participation, et par le fait même leur répression, aura donné un dur coup à la junte qui ne pourra plus s’appuyer sur les préceptes bouddhistes, comme elle le faisait depuis 1988. Ce nouveau défi pour la junte est dû au fait qu’elle a bafoué plusieurs de ses préceptes. Les généraux auront donc perdus dans ce conflit une grosse partie de leur légitimité religieuse face aux citoyens[x].


[i] Sisley, John.  2001. “ La Robe et le Fusil : Le Bouddhisme et la dictature militaire en Birmanie “. Revue d’études comparatives Est-Ouest 32 (no 1): 175-198

[ii] Ibid., 176

[iii] Id.

[iv] Lubeigt, Guy.  2007. Birmanie/Myanmar : Bénie par les dieux, maudite pour les hommes. En ligne. http://www.reseau-asie.com/cgi-bin/prog/pform.cgi?langue=fr&TypeListe=showdoc&Mcenter=edito&my_id_societe=1&PRINTMcenter=&mot_cle_show=&ID_document=2072 (page consultée le 4 novembre 2009).

[v] Zaw, Aung. 2007. The Power of the Robe. En ligne. http://www.irrawaddy.org/article.php?art_id=8908 (Page consultée le 5 novembre 2009)

[vi] Id.

[vii] Alain Desjourdy, «La «révolution safran» au Myanmar : la crise politique fait ses premières victimes», (2007) En ligne. http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=584 (page consultée le 3 novembre 2009).

[viii] Alain Desjourdy, «La «révolution safran» au Myanmar : la crise politique fait ses premières victimes», (2007) En ligne. http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=584 (Page consultée le 4 novembre 2009).

[ix] http://www.statistiques-mondiales.com/birmanie.htm.

[x] Lubeigt, Guy.  2007. Birmanie/Myanmar : Bénie par les dieux, maudite pour les hommes. En ligne. http://www.reseau-asie.com/cgi-bin/prog/pform.cgi?langue=fr&TypeListe=showdoc&Mcenter=edito&my_id_societe=1&PRINTMcenter=&mot_cle_show=&ID_document=2072 (page consultée le 4 novembre 2009).

Bibliographie

Alain Desjourdy, «La «révolution safran» au Myanmar : la crise politique fait ses premières victimes», (2007) En ligne. http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=584 (Page consultée le 4 novembre 2009).

Lubeigt, Guy.  2007. Birmanie/Myanmar : Bénie par les dieux, maudite pour les hommes. En ligne. http://www.reseau-asie.com/cgi-bin/prog/pform.cgi?langue=fr&TypeListe=showdoc&Mcenter=edito&my_id_societe=1&PRINTMcenter=&mot_cle_show=&ID_document=2072 (page consultée le 4 novembre 2009).

Sisley, John.  2001. “ La Robe et le Fusil : Le Bouddhisme et la dictature militaire en Birmanie “. Revue d’études comparatives Est-Ouest 32 (no 1): 175-198

Zaw, Aung. 2007. The Power of the Robe. En ligne. http://www.irrawaddy.org/article.php?art_id=8908 (Page consultée le 5 novembre 2009)

Hlaing, Kyaw Yin. 2008. “Challenging the Authoritarian State: Buddhist Monks and Peaceful Protests in Burma”. The fletcher forum of world affairs 32 (no 1):125-144

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