L’été à Lark Harbour suivi de Cimetière marin 

Par Goh Poh Seng

Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Pelletier

 

Summer in Lark Harbour

Past April, the hill sides turn leafy,
starlings and robins, white winged crossbills
return to pick at the green earth,
while the warbler warbles, doing just what
it knew best, and that, very well indeed.

Butterflies flutter their wings of such
splendiferous colors they are paeans
to the bright glory of summer,
the very ones that old Chuang Tze
dreamed were men dreaming

they were butterflies, or else
butterflies dreaming they were men;
for me, it somehow gets lost here,
and soon, they are all gone levitating
to other trees, to more salubrious patches.

We do not doubt these birds and butterflies
so delightful for us in the summer
enter straight into paradise when they die,
while we’re so fearful, so tormented.
O why can’t we have the same privileges?

 

Lark Harbour, Newfoundland

July 11, 2004

 

 

L’été à Lark Harbour

Après l’avril, le flanc des collines reverdit,
étourneaux et rouges-gorges, becs-croisés à ailes blanches
reviennent picorer la terre verte, tandis que
la paruline gazouille, faisant en effet très bien
cela qu’elle sait faire le mieux.

Les papillons, aux couleurs resplendissantes,
battent des ailes : on dirait des hymnes
à la gloire lumineuse de l’été,
les mêmes que le vieux Tchouang-tseu
rêvait être des hommes rêvant

qu’ils étaient des papillons, ou alors
des papillons rêvant qu’ils étaient des hommes;
pour ma part, je m’y perds je ne sais comment
et vite tous sont partis et s’élèvent vers
d’autres arbres, d’autres parcelles plus saines.   

Il ne fait pas de doute que ces oiseaux,
ces papillons, pour nous si charmants en été,
vont tout droit au paradis quand ils meurent,
alors que nous sommes si craintifs, si tourmentés.
Ô pourquoi n’avons-nous pas les mêmes privilèges?

 

Lark Harbour, Terre-Neuve

11 juillet 2004

 

 

Cemetery By The Sea

In life,
we’re subject to vagrancies
and vicissitudes of fate,
our hearts many times exiled,
flung onto distant shores
but we all tread the footprints
of our ancestors
            home to our final rest. 

I see headstones
up on the hill
above the village and the sweet bay,
white as white can be
in the daily outpour of light,
alive with shifting shadows thrown by clouds,
on land green,
on swags and relays of wild flowers,
buttercup and dandelion,
iris and lupin.
We all can then forget
our own private histories,
unfurl our wings
              and walk joyous on the air.

 

Lark Harbour, Newfoundland

August 1, 2004

 

 

Cimetière marin (en pensant à Paul Valéry)

La vie durant,
nous sommes sujets aux dérives
et aux vicissitudes du sort,
nos cœurs maintes fois en exil
projetés sur de lointains rivages
mais nous suivons tous les traces
de nos ancêtres
            vers notre repos dernier.

J’aperçois des stèles
là-haut sur la colline
qui surplombe le village et la petite baie,
aussi blanches que la blancheur le permette
dans l’écoulement quotidien de la lumière,
grouillant d’ombres mouvantes jetées par les nuages
sur le sol vert,
sur les guirlandes et agglutinements de fleurs sauvages,
boutons d’or et pissenlits,
iris et lupins.
Alors chacun peut oublier
ses histoires les plus secrètes,
déployer ses ailes
            et se déplacer, réjoui, sur son petit nuage.

 

Lark Harbour, Terre-Neuve

1er août 2004

 

Biographie

Né en 1936 à Kuala Lumpur (Malaisie occidentale), diplômé de médecine de l’University College de Dublin, Goh Poh Seng a exercé sa profession pendant 25 ans. Il est l’auteur de quatre romans, dont le premier, If We Dream Too Long, traduit en plusieurs langues, lui a mérité le grand prix du Conseil du livre de Singapour. Il a publié cinq livres de poésie, en plus d’une œuvre de dramaturge en singlish, l’anglais parlé à Singapour. Au Canada, où il a émigré avec sa famille en 1986, il fit paraître deux titres, en 1999 et 2000, des rétrospectives de poèmes choisis. Il figure aussi dans des nombreuses anthologies. Quelques-uns de ses textes inédits ont été publiés au Québec dans Brèves et Steak Haché. Établi à Vancouver, il fit souvent la navette entre son port d’attache, Montréal, et Terre-Neuve. Une sélection de poèmes traduits et présentés dans Passages de la revue Exit a été publiée vers la fin de 2009. Goh Poh Seng fut l’un des invités au Festival international de poésie de Trois-Rivières lors de l’édition de 2008. Il mourut à Vancouver en 2010.

 

Références

Traductions inédites et originaux reproduits ici avec l’autorisation du fils de l’auteur, Goh Kakim.

 

Laisser un commentaire