Par Devlin Kuyek
Renforcer et soutenir les mouvements sociaux _ PDF
Lorsque l’on parle de souveraineté alimentaire, il est primordial de souligner qu’elle est née d’une résistance au modèle agricole actuel. La souveraineté alimentaire a donc émergé d’une constatation de l’échec de plusieurs projets: la Révolution verte, les programmes d’ajustement structurel (PAS), l’OMC, les divers accords de libre-échange, etc. Dans ce système néolibéral, qui se dirige de lui-même vers une impasse, les paysans sont marginalisés des processus politiques qui déterminent l’orientation de l’agriculture. La souveraineté alimentaire, c’est donc la volonté de reverser ce pouvoir, qui, jusqu’aujourd’hui, était entre les mains des grandes institutions internationales et des multinationales agroalimentaires, pour le remettre entre les mains des premiers concernés par l’agriculture: les producteurs. La notion fait donc la promotion de diverses valeurs qui devraient orienter les choix agroalimentaires d’une société: l’écologie, l’égalité, l’humanité et un revenu décent pour les agriculteurs.
De mon point de vue personnel, les innovations technologiques ne sont pas exclues de la notion de souveraineté
alimentaire. Cependant, les OGM, en tant que type spécifique d’innovation, ne devraient pas faire partie de la mise en application du concept de souveraineté alimentaire, et ce, pour différentes raisons. D’abord, les OGM sont une technologie produite par des scientifiques loin des réalités locales et il est impossible pour les paysans de participer au processus qui mène à la création de ces semences. La production même des OGM va donc à l’encontre de la notion de souveraineté alimentaire qui vise à redonner le pouvoir aux producteurs agricoles. Ensuite, il faut noter que les OGM sont une technologie qui tend vers l’utilisation de semences stériles – que les paysans ne peuvent conserver- ce qui entraîne des coûts élevés pour les agriculteurs et ne profite finalement qu’aux multinationales. Enfin, les OGM sont des semences homogènes, qui ne tiennent pas compte de la diversité des sols et des contextes agricoles. Bref, il vaut mieux, selon moi, rechercher des innovations technologiques adaptées aux réalités locales et qui permettent une participation des paysans au processus, plutôt que de promouvoir des innovations uniformisées et coûteuses comme les OGM.
Le rôle de l’État dans la mise en application de la souveraineté alimentaire et dans la société en général est d’écouter ses citoyens et de mettre en place les politiques qu’ils réclament. Pour ce faire, l’État doit s’assurer de laisser la place à des canaux de transmission permettant aux populations de s’exprimer. Or, le problème actuel est que ces canaux d’échange entre les citoyens et le gouvernement sont très ténus, et lorsqu’ils se mettent en place (comme dans le cas du rapport Pronovost), ils sont loin d’entraîner des actions conséquentes. Dans ce contexte de perte de contact entre le politique et la société civile, ce sont les communautés elles-mêmes qui doivent prendre en charge le changement. Il n’est donc pas nécessaire d’être engagé dans un processus de consultation avec le gouvernement pour entreprendre la souveraineté alimentaire. Éventuellement et idéalement, le gouvernement devrait s’impliquer dans le virage, mais l’initiative, que ce soit pour n’importe quelle sorte de transformation sociale, vient bien souvent de la société civile et non pas de la sphère politique traditionnelle. Cependant, pour que ce changement soit possible, les communautés doivent s’organiser. Renforcer les mouvements sociaux est donc un moyen d’aider à la mise en application de la souveraineté alimentaire. En plus de s’auto-organiser, les communautés se doivent d’unir leurs efforts, d’échanger leurs savoirs et de coordonner leurs actions, car en étant plus nombreuses, elles augmentent leur force de persuasion sur les pouvoirs politiques national et international.
Cependant, de cette force globale, émanant de la société civile, découle également un écueil important. Créer un mouvement social, c’est coordonner des efforts, communiquer et échanger. Il y a donc un obstacle organisationnel lié à sa mise en application parce qu’il faut composer avec des réalités locales bien différentes et s’entendre sur des priorités, ce qui est loin d’être simple.
Devlin Kuyek est chercheur pour l’organisation non gouvernementale GRAIN, il est membre du Réseau canadien d’action sur les biotechnologies (RCAB) et du Projet pour une politique de semences canadiennes. GRAIN est une ONG internationale fondée en 1990 dont le but est de soutenir les communautés locales qui cherchent à retrouver le contrôle sur leur biodiversité. C’est dans ce but que l’organisme effectue de la recherche et de l’analyse au sujet de la biodiversité et tente d’appuyer et de renforcer les mouvements sociaux (principalement du Sud) qui luttent pour atteindre la souveraineté alimentaire.