Convergences : des identités culturelles à l’autogestion

par Gabriel Gagnon

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Le nouveau gouvernement de François Legault envisage une façon différente de concevoir les politiques d’immigration, suivant en cela, entre autres, les conseils éclairés de l’économiste Pierre Fortin et du démographe Marc Termote pour qui, en plus des réfugiés, il serait suffisant d’accueillir ici environ 40 000 immigrants économiques par année. Notre taux d’immigration étant déjà plus élevé que dans la plupart des pays industrialisés, la Coalition Avenir Québec (CAQ) a proposé maladroitement de faire table rase des 18 000 dossiers en attente. Cette politique a soulevé beaucoup de questions et une opposition juridique justifiée, mais rappelons qu’il y a eu une injonction à ce sujet et que le ministre devra traiter les dossiers en attente même si sa loi est adoptée.

Dans l’ensemble du Canada, on applique déjà un multiculturalisme qui englobe la plupart des pratiques traditionnelles des populations immigrantes établies ici. Au Québec, on a accepté trop facilement l’interculturalisme prôné par le rapport célèbre de Charles Taylor et de Gérard Bouchard qui ne faisait pas beaucoup avancer la réflexion. La notion de « convergence culturelle » suggérée au début des années 1990 par le jésuite Julien Harvey dans la revue Relations, reprise par le professeur Guillaume Rousseau en 2014[1], nous permet de voir les choses autrement. La faiblesse de notre taux de natalité et l’importance décroissante de la francophonie mondiale nous obligent à accueillir chez nous de nombreux immigrants ignorant tout de notre langue et de notre culture. Pour les partisans de la convergence, il faudrait faire venir ici d’abord ceux et celles qui sont disposés à participer avec nous aux pratiques d’émancipation issues de la « Révolution tranquille » des années 1960. On peut penser à ces Chiliens, Kabyles et Catalans qui tentaient déjà d’établir chez eux une société de ce genre. Ils devront évidemment être intégrés d’abord dans des institutions d’accueil qui les familiariseront dès leur première année de séjour avec la langue et la culture de la majorité. Leur intégration devrait être plus facile dans une conjoncture économique où la demande d’emplois spécialisés demeure importante dans de nombreux secteurs, ce qui ne sera pas toujours le cas.

La CAQ a aussi décidé de faire du Québec une société laïque où les signes religieux ne seraient plus des éléments importants de la vie sociale. Comme elle le propose, il ne sera pas difficile d’empêcher les juges et les policiers d’adopter ces signes religieux ostentatoires dans l’exercice de leurs fonctions puisqu’ils s’abstiennent déjà de le faire. Si on veut étendre cette interdiction aux enseignants et enseignantes des secteurs primaire et secondaire publics, cela sera beaucoup moins aisé. Pourrait-on sans difficulté inciter à l’abandonner celles qui portent le foulard islamique soit par obligation familiale, soit par conviction personnelle ? Pour le moment, nous ne disposons pas de données fiables pour évaluer l’importance du problème sur l’île de Montréal en particulier. Déjà, les membres de Québec solidaire, parti issu du Rassemblement pour une alternative politique, « le RAP », fondé en 1977, ne semblent pas unanimes sur ce point. Ce parti de gauche hésite sur la place qu’il pourrait donner aux cultures minoritaires dans la nouvelle société québécoise à fonder. Pour certains, dont je suis, traumatisés par le Québec d’avant 1960 où les « robes noires » prenaient tant de place, il faut faire disparaître de la sphère publique tout ce qui renvoie à des signes religieux identitaires. Pour nous, le voile islamique comme les autres symboles chrétiens, juifs ou sikhs devraient alors être interdits à ceux et à celles qui exercent des fonctions d’autorité dont on doit respecter la neutralité. Pour d’autres militants de gauche, il faudrait laisser à chacun et surtout à chacune, quel que soit leur emploi, le choix de vêtements qui pourraient pourtant les empêcher de participer pleinement à la société d’accueil. Les personnes appelées à modifier leurs pratiques vestimentaires devraient évidemment avoir le temps de le faire sans être pénalisées dans leur carrière ou avoir recours aux tribunaux. Comme on le fait déjà, il faut cependant continuer à exposer dans un cours l’importance du phénomène religieux au cours de l’Histoire.

Récemment, l’exclusion de Nadia El-Mabrouk, qui s’oppose au port de signes religieux dans l’enseignement, d’un débat organisé par l’Alliance des professeures et professeurs, indique une orientation inquiétante de la part d’un organisme qui devrait représenter une gauche responsable et progressiste.

Quoiqu’il arrive, les politiques proposées par la CAQ devraient être adoptées rapidement avec l’appui du Parti québécois, pour mettre fin à un débat qui dure déjà depuis trop longtemps.

Conclusion

Alors que les changements climatiques influencent de plus en plus l’évolution du monde et d’une société comme la nôtre, c’est d’un point de vue plus large que Possibles doit, à mon avis, envisager maintenant une autre façon de pratiquer la convergence. Le Pacte proposé aux individus par Dominic Champagne, reprenant l’idée de simplicité volontaire chère à Serge Mongeau, suggère de dépasser les identités culturelles traditionnelles pour permettre à chacun et chacune de contribuer par un geste personnel à la défense d’une planète en grand danger.

C’est à partir de ces multiples projets individuels qu’il serait possible d’organiser, un peu partout, dans les villages et les quartiers, des groupes pourchassant les effets locaux néfastes des changements climatiques. Ils pourront constituer, dans l’ensemble du territoire, en compagnie des militants autochtones, un vaste mouvement social incluant les partis politiques traditionnels, pour tenir compte des particularités des différentes communautés établies sur le territoire. La défense d’une planète chaque jour plus menacée, au-delà de nos divergences, nous permettrait d’élaborer ensemble une nouvelle culture commune susceptible de nous réunir.

Au lieu de nous intéresser d’abord aux débats actuels sur la place à laisser aux différentes pratiques identitaires et religieuses émergentes, nous pourrions ainsi approfondir la réflexion globale sur les nouvelles façons de voir la planète et les sociétés qui l’habitent. Nous aiderions ainsi à unifier les efforts de ceux et celles qui contribuent de diverses façons à refaire le monde. C’est ce qu’ont tenté de faire Naomi Klein dans Tout peut changer et Pierre Dardot et Christian Laval dans Commun : essai sur la réalité du XXIe siècle, commenté au Québec par Eric Martin dans les Documents de l’IRIS.

La nouvelle société québécoise à construire, au-delà de nos histoires personnelles et de nos origines ethniques, nous oblige, d’après moi, à concevoir autrement la politique et la démocratie, laissant toute la place à ces formes renouvelées d’autogestion qu’une revue comme Possibles tente de promouvoir.

Biographie

Détenteur d’un doctorat en sociologie, Gabriel Gagnon a enseigné cette discipline à l’Université de Montréal jusqu’en 2000. Militant politique et syndical, il fut l’un des fondateurs de la revue Possibles. Auteur de plusieurs ouvrages, il a publié l’an dernier, chez Varia, De Parti Pris à Possibles. Souvenirs d’un intellectuel rebelle.

[1] Rousseau, Guillaume (en collaboration avec François Côté), 2014. Vers une politique de la convergence culturelle et des valeurs québécoises, Cahier de recherche, Institut de recherche sur le Québec, Octobre 2014, 30 p.