Par Jeremy Eliosoff, traduit de l’anglais par Christine Archambault
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J’avais 13 ans et je voulais devenir une vedette rock. C’était loin d’être une ambition originale en 1989. C’était le rêve convenu de tous mes amis, et nous connaissions bien la trajectoire habituelle pour atteindre le sommet des palmarès, étudiée dans d’innombrables magazines sur la guitare et livres d’admirateurs bon marché : apprendre de manière autodidacte la guitare ou la batterie; former un groupe avec des compagnons de classe; donner des spectacles sans arrêt dans notre ville avec des tournées occasionnelles dans la région; se faire remarquer par une maison de disques; enregistrer un premier album avec un budget modeste; avoir le premier succès d’une série de tubes, grimper progressivement sur les palmarès; atteindre la gloire mondiale, acquérir fortune, groupies serviles, etc. Pour nous, ce n’était pas simplement la voie vers le luxe et l’adoration, c’était la contribution la plus valable qu’on pouvait faire à l’humanité.
Puisque nous avions un véritable amour pour la musique rock, suivre la route vers le vedettariat était pratiquement une vocation. À l’époque, nous ignorions que ce moment dans l’histoire de la musique populaire était une anomalie, quel changement il représentait comparé aux décennies précédentes, et combien la situation était appelée à changer dans les années à venir. Nous ne savions pas qu’en 1989, nous nous trouvions au faîte de l’ère de la Rock Star, une époque qui entamait son déclin.
Notre ferveur musicale avait la solennité d’une véritable religion. Il y avait bien sûr, les dieux – les vedettes rock elles-mêmes – honorées par les affiches sur les murs de notre chambre et occasionnellement vénérées en personne dans des concerts-cérémonies où des congrégations se trémoussaient dans la béatitude. Il y avait les textes sacrés, les rangées de cassettes audio qui remplissaient les tablettes de mon HMV qui renfermaient la parole sacrée enregistrée du dieu, le bréviaire de notre religion. Il y avait l’exégèse continue fournie par les magazines de fans et les discussions à la cafétéria de l’école secondaire. Elle racontait la vie fantastique des musiciens, la signification des paroles, les mérites et faiblesses relatives de diverses chansons, de divers albums et artistes. Et il y avait aussi l’espoir mélancolique que l’un d’entre nous pourrait un jour devenir une de ces créatures divines, que nous pourrions contribuer au saint canon incarné par la marchandise du disquaire, qui guidait nos actions et donnait une raison d’être aux jeunes que nous étions.
Bien entendu, il n’y a pas de dogme sans code d’éthique strict, et l’Église du Vedettariat Rock n’échappait pas à la règle. Pour mes compagnons de classe et moi, l’idée d’authenticité était au cœur du dogme. Naturellement, toute vedette rock récoltait vaste fortune et gloire immense par la force des choses, mais elles étaient vues comme des attirails accidentels plutôt que des incitateurs primordiaux. La véritable vedette rock était dotée d’un talent naturel mystique et était poussée par un besoin irrésistible et même contraignant de créer de la grande musique, de la musique qui provenait d’un puits mystérieux d’inspiration divine auquel le musicien – tel un médium – avait un accès exclusif. Par conséquent, les plus grands péchés qu’une vedette rock pouvait commettre étaient de ne pas être originale ou d’avoir vendu son âme au diable. Ceux qui se rendaient coupables du dernier crime étaient associés à des charlatans de la musique, de faux prophètes, des marchands de messages recyclés qui ridiculisaient la vraie piété. Cette accusation impliquait une avarice corruptrice qui contaminait l’authentique vision artistique par motifs vils et mercantiles. La vraie vedette rock aimait le rock’n’roll pour le rock’n’roll et était destinée à faire une contribution unique à son catalogue; l’argent et l’adulation n’étaient que des bénéfices marginaux.
Avec le recul, je vois que cette vision était naïve et obtuse, produit de son époque et détachée de son contexte historique. Ma sensibilité de 13 ans aurait été choquée d’apprendre qu’au cours de l’Histoire, l’originalité avait été plutôt mal vue chez les musiciens conservateurs, et on présumait que l’argent était le motif premier qui les animait, comme pour n’importe quel autre métier. Le but du musicien professionnel n’était pas d’innover, mais de maîtriser son art. Cela ne veut pas dire qu’on attendait d’eux qu’ils reproduisent mécaniquement les chansons de leur répertoire; chaque musicien devait ajouter une nuance caractéristique à son récital. Mais à une époque où l’enregistrement sonore n’avait pas encore été inventé, un des devoirs essentiels du musicien était de préserver fidèlement les compétences et la tradition léguées par ses mentors et prédécesseurs.
Les musiciens d’antan, comme tout le monde d’ailleurs, évoluaient dans des sphères d’influence beaucoup plus limitées que les nôtres. Même si la réputation d’un musicien virtuose exceptionnel pouvait s’étendre au-delà de sa communauté immédiate, et peut-être subsister après sa mort, son jeu n’était entendu que par ceux qui étaient « à distance d’oreille ». Et donc, les exigences d’un village pré-industriel typique étaient relativement basses; ceux qui savaient interpréter de manière potable quelques morceaux sur un instrument, étaient les meilleurs – et peut-être les seuls musiciens – en ville. Le fait qu’un joueur de luth vivait à quelques lieues de là et jouait les mêmes morceaux avec une maîtrise supérieure, n’était ni connu ni pertinent pour les villageois. Qu’on soit un artiste professionnel ou un amateur de la haute société ayant appris à jouer d’un instrument dans le cadre d’une éducation raffinée, le but était d’impressionner les gens près de nous, dans un monde largement privé de musique, à part pour les chants de travail a capella, les berceuses et autres. Tout comme la plupart des activités de l’ère préindustrielle, la musique était essentiellement une entreprise communautaire.
Cet état de fait a commencé à changer au 19e siècle, pour diverses raisons. Le mouvement romantique, puis moderniste a emporté dans sa vague l’ensemble des arts en Europe, mouvements se voulant des initiatives interdisciplinaires célébrant le génie artistique. Sous l’influence de l’époque des Lumières qui remettait en question les idées reçues, et de la glorification humaniste de l’accomplissement humain, le romantisme et, plus encore, le modernisme, ont cherché à bouleverser les normes conventionnelles de la production artistique, à délivrer de ses couches le décorum social et à découvrir l’essence intemporelle de la musique, de la peinture, de la poésie et d’autres arts qui devaient constituer l’expression la plus pure de la créativité humaine. Le musicien n’était plus l’humble célébrant d’un rituel religieux, ni l’amuseur de basse extraction des clients des tavernes, ni un professionnel illustre au service des aristocrates, mais devenait un genre de shaman, qui creusait dans son âme troublée pour trouver des pépites d’inspiration uniques et étincelantes à présenter au monde.
Tandis que le romantisme et le modernisme élevaient l’inspiration personnelle au-dessus d’une maîtrise conventionnelle en tant que vertu artistique essentielle, deux innovations technologiques connexes commençaient à transformer la place de la musique dans les sociétés développées : l’enregistrement sonore et la radio. Ces deux innovations ont dissocié les prestations musicales de leur cadre spatial et temporel, respectivement, permettant à un récital d’être entendu partout dans le monde et indéfiniment à l’avenir. Les auditoires n’étaient plus exposés seulement aux offres musicales dans leur contexte social immédiat, mais au travail de musiciens de partout. Cette possibilité s’est alliée avec l’idéal romantique et moderniste du génie individuel pour présenter un nouvel idéal pour l’aspirant-musicien : créer une musique unique et tout à fait personnelle, qui n’était pas seulement aussi bonne que celle des autres musiciens en ville, mais qui pourrait se mesurer aux meilleurs enregistrements de partout sur le globe.
Au cours du 20e siècle, la musique enregistrée est devenue un élément de plus en plus omniprésent de la vie quotidienne, des gramophones au son grinçant du début du 20e siècle aux juke-boxes des cantines des années 50 aux succès du « top 40 » transmis par les ondes radiophoniques FM aux transistors. Les membres du clergé et les aristocrates, qui avaient été les gardiens très collet monté de la production musicale raffinée, étaient désormais remplacés par des studios d’enregistrement désireux de fabriquer ce que le marché pouvait désirer – un marché non composé de mélomanes à l’oreille exercée, mais plutôt de personnes ordinaires aimant les chansons accrocheuses, les paroles salaces et la danse. C’était la naissance de la vraie musique populaire, et les récitals de musique de chambre délicate ont cédé leur place aux sons sales, énergiques et irrévérencieux de la rue, au jazz, au blues, à la musique country et enfin, au rock’n’roll. De manière paradoxale, même si les percées technologiques signifiaient en théorie que les auditeurs avaient accès à une plus grande variété de musique que jamais auparavant, elles ont aussi permis à un petit nombre de chansons populaires de dominer les ondes et les tablettes des disquaires, tandis que des auditoires de plus en plus grands ont commencé à entendre un corpus de plus en plus réduit de nouveaux enregistrements à la mode. Ont donc émergé les « succès de palmarès ». C’étaient les débuts du « canon pop » représenté par la collection sacrée de cassettes que je révérais à l’adolescence.
En faisant ce survol de l’histoire de la musique populaire, nous pouvons voir les attributs de la vedette rock de la fin du 20e siècle s’étioler. Le romantisme, suivi du modernisme, a engendré le concept du musicien en tant que génie inventeur. La technologie du 20e siècle a mené à un cumul d’enregistrements de tubes, que le musicien pouvait aspirer à enrichir encore. L’explosion du rock’n’roll dans les années 50 et 60 a ajouté une connotation révolutionnaire, de contre-culture à la musique populaire, et donc, en plus d’être un artiste inspiré, un instrumentiste ou interprète compétent et un artiste de la scène à la mode, la vedette rock pouvait être un chantre des changements sociaux. Avec toutes ces distinctions illustres, on ne s’étonne plus guère que des personnalités comme Elvis Presley, les Beatles et Bob Dylan aient été admirées avec l’idolâtrie auparavant réservée aux chefs religieux et politiques semi-divins.
L’ascension de la vedette rock a été marquée par l’empressement double des auditeurs et de l’industrie de la musique qui évoluait rapidement. Les premiers ont engendré un tas d’aspirants-vedettes, puisque tous les cancres des écoles secondaires rêvaient de se joindre à un groupe et de devenir célèbres; et l’industrie a développé une infrastructure de plus en plus complexe – ce que Joni Mitchell a appelé « la machine à fabriquer des vedettes » – pour recruter les artistes prometteurs de ce bassin de talents de plus en plus grand, ajuster leur son aux goûts du jour et mettre en marché leur produit pour un public insatiable à l’attention limitée, sans cesse à la recherche de la prochaine vedette pop. Tandis que les technologies d’enregistrement s’amélioraient, l’enregistrement en studio s’est transformé. De simple moyen de capter une prestation sur scène, il est devenu une véritable forme d’art distincte, avec des albums comme Sergeant Pepper’s Lonely Hearts’ Club Band et The Dark Side of the Moon qui ont exploré de manière intrépide les vastes paysages stéréophoniques qui s’ouvraient lorsque les limites des spectacles sur scène sont disparues grâce aux avancées techniques en studio. Dans les années 1970, les directeurs des studios et les musiciens pop se sont lancés avidement dans une course pour piller tous les coins de l’univers musical pouvant éventuellement produire une chanson accrocheuse et leur faire gagner une fortune.
À l’époque où j’entre en scène à 13 ans, une dizaine d’années plus tard, le cycle des styles changeants et des succès qui grimpaient à l’assaut des palmarès puis dégringolaient était suffisamment établi pour me faire croire qu’il s’agissait d’un trait sociétal éternel. Je me souviens de mon étonnement quand j’ai appris quelques années auparavant que le rock’n’roll, que je croyais vieux de plusieurs siècles, n’avait que 35 ans. Je ne comprenais pas à quel point le phénomène de la vedette rock était non seulement nouveau mais fondamentalement éphémère. En vérité, les exigences d’originalité authentique sont soit futiles, soit absurdes à l’époque de la reproduction mécanique. Le territoire artistique valant la peine d’être exploré se rétrécit, et très vite, on n’a d’autre avenue que de marcher sur les sentiers battus ou de partir à l’aventure, dans des sphères sonores obscures et inhospitalières où peu d’auditeurs nous suivront. L’image de la vedette rock était plus virile que jamais, mais c’était aussi à l’époque une simple image, une aura autour d’artistes à vendre par des agences de commercialisation pour évoquer l’esprit honnête et sans concession des pionniers du rock disparus. La gestion calculée de l’image des artistes existait bien avant la musique enregistrée, mais l’industrie du divertissement était devenue si profitable et si complexe que les artistes étaient devenus à peine un peu plus que la charpente sur laquelle les dirigeants des maisons de disques pouvaient construire leur vision de la prochaine sensation pop qui occupe le sommet des palmarès. Des groupes fabriqués pour plaire au marché ont été formés par des agences artistiques, nommés et formulés d’après des recherches auprès de groupes-cibles, qu’on dotait de chansons d’amour racoleuses, qu’on fait connaître par des stratégies médiatiques, qu’on lance à l’assaut des palmarès, et dont les ventes d’albums suivaient aussi sûrement que les ventes de hamburgers d’une chaîne de restauration rapide. La mystique et l’énergie créatrice de la vedette rock authentique étaient réduites à un simulacre cynique. Le remplacement de l’authenticité par l’image s’est parfaitement incarné dans un scandale saugrenu qui a touché le duo pop des années 1980 et 1990 Milli Vanilli, lorsque le public a appris qu’il ne chantait aucune de ses chansons. Apparemment, personne n’avait songé à mettre sous le feu des projecteurs et à faire connaître les vrais chanteurs puisqu’ils n’étaient pas les vrais Milli Vanilli; le vrai duo Milli Vanilli était une fiction concoctée par l’industrie de la musique, une combinaison d’éléments stylistiques parfaitement mesurés, dont les pistes enregistrées n’étaient qu’un élément. Une fois que le fil reliant les voix enregistrées aux visages tout aussi importants sur les affiches a été coupé, l’entreprise s’est effondrée dans la honte.
L’appareil industriel qui s’était développé autour de la figure de la vedette rock était devenu un poids lourd autosuffisant, qui ne dépendait plus de l’émergence fortuite d’un talent issu du peuple, mais comptait sur des mécanismes solides pour fabriquer des vedettes pop à la demande et d’après des formules éprouvées. Il fallait toutefois générer le produit-phare de cette industrie, soit les chansons qui allaient plaire au public ciblé sans pour autant être des copies si évidentes qu’on ne pouvait les distinguer d’autres enregistrements populaires. Inévitablement, quelques-uns sont tombés sur ce terrain glissant. Songeons à des succès récents tels que le titre de Robin Thicke Blurred Lines (Lignes floues) au nom si mal choisi et Stay With Me de Sam Smith, et même le légendaire Stairway to Heaven de Led Zeppelin qu’on prend à partie pour leur similitude avec des œuvres précédentes d’un autre artiste. À une époque caractérisée par un corpus mondial grandissant et accessible de musique enregistrée et un vaste auditoire capable de diffuser des accusations de fraude artistique à la vitesse de la lumière sur les médias sociaux, la prétention d’innover sur les palmarès est de plus en plus dure à vendre. Et pourtant, il faut nourrir l’industrie, des milliers de carrières dépendent d’une production de tubes sans fin, et s’il est authentique, le contenu nouveau n’est point accessible. Le déjà vu à la mode suffira, puisque l’image et la mise en marché forment désormais la substance de ce que l’industrie musicale produit, plutôt que d’être des accessoires servant à distribuer la musique.
Il n’y a rien de précisément nouveau au sujet de ce portrait plutôt cynique de l’industrie de la musique contemporaine, à part son degré de raffinement et d’éloignement des racines spontanées et subversives du rock’n’roll. Notons cependant que ce portrait ne décrit nullement l’intégralité de la production de musique rock, mais uniquement la partie grand public, la mieux financée. Alors que la machine à étoiles industrielle s’est perfectionnée au fil des décennies, une culture de groupes de garage rêveurs a émergé en parallèle, se servant d’une technologie d’enregistrement et de transmission de plus en plus accessible, et qui parcourt le circuit des concerts sans relâche et fait circuler ses enregistrements honnêtes et artisanaux par tous les moyens à sa disposition. Naturellement, les dirigeants de maisons de disques qui n’en manquent pas une ingèrent parfois des groupes indépendants prometteurs s’ils sont jugés profitables, et imiteront même l’esthétique de ces groupes s’ils forment une force culturelle suffisamment puissante, comme cela s’est produit avec le punk dans les années 1970 et le grunge dans les années 1990. Mais il existe toujours des compositeurs farouchement indépendants qui fuient les conventions et qui demeurent fidèles à leur vision artistique pure. Le problème est qu’à un certain niveau, un grand nombre de ces puristes de la musique sont toujours motivés par l’image classique de la vedette rock et par sa représentation idéalisée d’intégrité artistique mêlée à la gloire et la fortune sans fin. Ces musiciens peuvent consacrer d’énormes ressources à leurs projets musicaux, acceptant de petits boulots pour financer leurs efforts dans l’espoir que, comme les Beatles, leur dur labeur finira par être récompensé par une entrée au panthéon des vedettes rock immortelles. Ils ne comprennent pas que le panthéon est plein, que la voie rapide qui a mené Jim Morrison de décrocheur poète de rue à célébrité internationale n’existe plus, que le répertoire de la bonne chanson pop a déjà été écrit (et même réécrit et réécrit); et qu’il n’y a
plus de travail pour les vedettes rock.
Si ce portrait du climat actuel dans la musique populaire semble sombre, il ne faut point s’en attrister. Le fait que l’espace pour la création de chansons irrésistibles ait été pratiquement entièrement colonisé et que la production musicale grand public ne s’affaire désormais essentiellement qu’à faire de la redite et du « reconditionnement » de cet espace, ne veut pas dire qu’il est impossible pour un artiste qui se respecte de faire sa marque. Les percées technologiques donnent au musicien contemporain des pouvoirs que leurs prédécesseurs pouvaient à peine imaginer, notamment des systèmes d’enregistrement et de composition numériques compacts à prix raisonnables et faciles d’utilisation, ainsi que des possibilités illimitées de réseautage, de publicité et de diffusion sur Internet. Bien entendu, l’abaissement des barrières à la production musicale a entraîné une multiplication sans précédent des aspirants créateurs de musique, puisque n’importe quel jeune muni d’un ordinateur portable peut tenter de créer des chansons sans avoir à apprendre à gratter des cordes ou trouver un ami doté d’un garage et d’une batterie. Les chances de se faire remarquer dans une mer de plus en plus immense de comptes Soundcloud et de fichiers de diffusion en continu Spotify sont presque nulles, sans parler de l’espoir de s’établir pour de bon. Parallèlement, l’apparition du partage des fichiers – particulièrement le partage gratuit et illégal – a fait tomber le modèle de la vente des disques qui avait soutenu l’industrie tout le long du 20e siècle. Les ventes de CD se sont écroulées, et les vinyles – dont les ventes sont plus élevées que jamais en de nombreuses décennies – demeurent un marché de niche. Spotify et iTunes, qui deviennent les uniques et monolithiques gardiens du temple qu’est le nouveau marché de la musique, ne donnent des revenus de subsistance qu’aux artistes aux activités les plus lucratives. La gloire et la fortune qui formaient les composantes centrales de l’attrait de la vedette rock, et qui étaient insaisissables sont dorénavant pratiquement hors de portée.
Donc, qu’est-ce qu’une vedette rock sans la gloire ni la fortune? La réponse traditionnelle est une vedette rock qui a échoué. De nombreux rockeurs grisonnants aux rêves de gloire délavés ont dû graduellement admettre une humiliante défaite, leur carrière musicale dorénavant réduite à du grattage de garage mélancolique et solitaire (sur une guitare presque retraitée), peut-être la fin de semaine pour s’évader d’un boulot alimentaire devenu emploi permanent. Mais ce n’est un échec qu’uniquement à l’aulne des normes illusoires de l’époque glorieuse du rock. Le rythme auquel les vedettes et les chansons pop ont été créées dans les années 1960 a été une anomalie historique résultant d’une combinaison unique d’une technologie d’enregistrement parvenue à sa maturité, des synergies des influences artistiques et de l’énergie créatrice infatigable des baby-boomers déterminés à faire leur marque dans le paysage culturel. De cette marmite bouillante de créativité a émergé non seulement une grande partie du canon du rock moderne, mais aussi le mythe selon lequel la passion alliée au talent et aux efforts saupoudrée d’un brin de chance égale l’immortalité rock. Le mythe a survécu longtemps après sa pertinence, nourri par la glorification nostalgique et la pensée positive, et à présent, ses fausses promesses freinent et trompent les musiciens davantage qu’elles les guident ou les inspirent.
Nous devons enterrer ce mythe de la vedette rock une fois pour toutes. Il faut arrêter de croire qu’on atteindra la célébrité mondiale, qu’on deviendra le prochain Neil Young ou U2. Nous devons cesser d’assimiler la valeur artistique et la gloire et les buts commerciaux. À une époque où une place au sanctuaire des abonnés au sommet des palmarès est soigneusement contrôlée et conservée par des intérêts commerciaux, les musiciens intègres devraient viser d’autres buts, s’éloigner de la course à la célébrité, mais également de la voie de la musique professionnelle. Le rôle du musicien est revenu à son point de départ, à la situation d’avant les palmarès, d’avant la technologie du disque, et même avant l’époque de l’artiste formé et professionnel. Pour que la musique retrouve sa place sacrée et transcendante dans la société, elle doit être perçue de nouveau comme une accompagnatrice de la vie quotidienne, pratiquée par des gens ordinaires talentueux, en tant que complément à leur travail, plutôt que le but principal de leur trajectoire de vie et que tous leurs rêves soient investis dans un pari pour la célébrité. Au lieu de rêver aux stades en délire et aux émissions de télévision grand public, les musiciens d’aujourd’hui devraient aspirer à jouer dans un café près de chez eux ou à des rassemblements informels avec des amis. Étant donné qu’on crée encore de la musique merveilleuse autour de nous, et même si on pouvait prétendre que toutes les grandes chansons ont déjà été écrites, chaque musicien a une voix artistique aussi unique que son visage; les musiciens devraient donc rechercher la reconnaissance non pas sur la scène mondiale, mais dans le confort douillet de leur propre communauté.
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Jeremy Eliosoff vit à Montréal sa ville natale, où il travaille dans le domaine des effets visuels pour l’industrie cinématographique. Dans son temps libre, il peint, voyage, écoute de la musique et crée des animations expérimentales par ordinateur.