Vibre à contre-jour – feu blanc

Par Anatoly Orlovsky

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En écoutant le treizième nocturne de Chopin

 

Trois lacs au nord des ans –

grises chapelles. Nipigon. Granet. Eau-claire. Les harmonies vacillent dans ce nocturne, entre larmes et cris de lynx.

La sphaigne

recèle

des yeux

des cônes

d’extase

 

Terre

morte restent

les eaux

taillées

en silex

 

Ô fleuve d’âpre lumière. Chopin –glaise ornée, je t’appelle,

tes veines ouvertes novembre tes heures d’airain troué, tes neutres écorces.

 

L’élégie saigne. Brûle sec, se ravive. Écume

au seuil d’un air

 


 

Nostos algos – Cadenza

 

« Le retour, en grec, se dit nostosAlgos signifie souffrance. La nostalgie est donc la souffrance causée par le désir inassouvi de retourner. », Milan Kundera (L’Ignorance, 2000)

 

j’être

 

un hautbois

… que d’astres?  

une fugue trop blanche

une autre lune coule dans tes os

 

dans ce myocarde

ta Moravie fugue rance

quelle pierre dès lors

en quel exil Leos(1)

cette vacillante pleine-ombre

et tes orages d’outretonique clarté

 

Floride Vienne Sibérie Carthage

notre célesta-douleur des immigrés

des ombres de quelle antiphonie trompe-cœur

ô déferlante je t’fore te crible écris te noie ma terre-Leos-Janacek(1) te crible démystifie cadastre te ressuscite te porte sans rives ni ossature t’écris broie ruine annihile t’ensevelis et blesse te rafle te poétise à l’orée de quel …

 

j’être

Photo : Anatoly Orlovsky

 

Chant d’équinoxe

 

Rive – ta voix. Médiante(2)

Tu jettes ces polychromes ravages

dans la fracture du lac. Exil

sel gemme d’octobre… Précipité … D’un trait

qui caille tous les mélismes noueux. Demeure

ta cantilène en rafales

seuil

terre friable des rennes

 

 

Mixolydien

 

Alcooliser

(surexposer)

les textes blanchis

en terre des métastases et mines

où les initiatiques sanglots

n’ont cesse

d’ensevelir
ces lunes

(flûte, friselis)

ces acariâtres thérapeutiques cadences

sans feu

ni raffineries de prières

 

donne-nous

souche-ange

notre si tempérée bruine

en six tons ascendants

et ivres de souvenance –

ma sève

 


 

Grégarité – scherzo pour rose et cuivres

 

greffe une rose aux mots « lever d’orchestre », « pic d’air noir »,« astre altérant »

décrète la nullification

des tiges-et-silences

n’habille plus d’étoiles

ce frénétique lent flot des pays sans verbe

cet être-terraérien-seul-visage

 

Photo : Anatoly Orlovsky

 

Passacaille, Actus tragicus

 

 

Feu lessivé

givre ô midi

des testaments

 

ton ascendant soleil

gravait ce qui t’illumine encore

dans les écorces

les isothermes

d’hiver

 

la neige se raréfiait

(traces et passion)

jadis

quelle dialectique

(charrier –

l’Hudson)

du onze

(Agamemnon

défenestré)

septembre

 

deux lunes

gémissent

en ré-dièse vermeil

 

tétanisant

… pulpe d’aube …

 


 

 

Saigne, témoin, noie

nos sédiments

abîme les aériennes béances

au corps

du feu

des holocaustes

essore le réversible contrepoint des âges –

caduc, aimé, chronolytique pérenne

 

pianissimo lento furioso

 

 

***

Poète, compositeur et photographe, Anatoly Orlovsky cultive ses sons-sens-images assemblés en hybrides (é)mouvants tendant à rendre commune et tonique une part de l’inextinguible en nous. Anatoly, qui se produit régulièrement à Montréal, a enregistré quatre disques compacts, dont le plus récent avec la poétesse Ève Marie Langevin, tout en exposant depuis 2002 ses photographies remarquées par La Presse, la revue Vie des Arts et Ici Radio-Canada.

 

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Notes

 

(1) Compositeur tchèque (1854-1928) originaire de la Moravie, actuellement dans l’est de la République tchèque. Visionnaire mais profondément marqué par le folklore de son pays, ainsi que les mélodies naturelles du tchèque parlé. « Toujours insatisfait, il jalonne sa vie de partitions déchirées… Devenu novateur dans sa vieillesse, il reste pourtant toujours seul », Milan Kundera (Les testaments trahis).

 

(2) Troisième degré de la gamme diatonique, à mi-chemin les deux degrés harmoniquement fondamentaux que sont la tonique et la dominante (exemple: mi, entre ut et sol). Aussi, dans le plain-chant, la note sur laquelle se forme le repos placé au milieu de chaque verset psalmodié.

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