Par Thomas Brossard
Lorsque nous parcourons différents journaux ces jours-ci, force est de constater que la question environnementale est de plus en plus discutée et que les conflits concernant, entre autres, l’augmentation de l’exploitation pétrolière, la protection des milieux humides, les atteintes à l’environnement de diverses natures et surtout, les changements climatiques, sont de plus en plus mis à l’avant plan par les différents médias. Au milieu de ces conflits et de ces nombreux recours devant les tribunaux découlant de la problématique environnementale, se trouvent inévitablement des juristes pratiquant en droit de l’environnement. Ce n’est pas pour rien que l’on entend souvent dire que nous vivons dans une société de droit. Dans la recherche de solutions pour contrer les crises environnementales auxquelles nous sommes confrontés, il semble bien que les juristes continueront d’être des acteurs centraux.
Dans cet article nous nous intéresserons particulièrement au rôle du droit dans la poursuite d’une meilleure justice écologique et du droit de tous les êtres humains à un environnement de qualité. Lorsqu’il est question de justice écologique ou de justice environnementale, le recours à diverses notions juridiques est de mise puisqu’il s’agit d’un enjeu actuel qui s’est en partie bâti sur un fond de droits et libertés de la personne. En effet, comme l’expliquent Grandbois et Bérard: « Le droit de l’environnement rejoint […] les droits et libertés. La réunion de la santé publique et de l’environnement revivifie les liens entre les êtres humains et leur milieu, entre l’environnement et les droits fondamentaux, et elle positionne le droit à l’environnement au cœur des enjeux des droits et libertés » (Grandbois et al. 2003, p. 437). Pour expliquer ce lien entre environnement et droits et libertés et les problématiques qui l’entoure, nous ferons un court historique de l’apparition du droit de l’environnement, puis nous expliquerons brièvement sa portée et son fonctionnement aujourd’hui. Ensuite nous mettrons en lumière les difficultés juridiques liées à la question de la justice écologique et à l’application du droit des individus à un environnement de qualité et finalement, nous proposerons une piste de solutions pour répondre plus adéquatement à ces enjeux.
Le droit de l’environnement : conception et développement
Le droit de l’environnement est apparu durant les dernières vagues importantes d’urbanisation et d’industrialisation de la fin du XXe siècle (particulièrement durant la décennie 1980). Au cours des trente dernières années le concept d’environnement et la conception de l’environnement se transforment; le public commence à prendre conscience de l’ampleur des problèmes écologiques et comprend qu’il est maintenant temps d’agir. Toutefois, cette prise d’action a un prix important que tout le monde n’est pas nécessairement prêt à payer. Ce prix consiste à sacrifier une partie de ses libertés individuelles dans le but d’atteindre un mieux- être collectif. La décennie 1980 a connu des années fortes en matière de protectionnisme et de mise en valeur des libertés individuelles. Au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés est adoptée en 1982. Aux États-Unis, le président Reagan prône une implication minimale de l’État dans l’économie et favorise le libre marché, tout comme la première ministre anglaise Margaret Thatcher. Dans ce contexte, il était très difficile de voir comment il allait être possible de proclamer l’importance d’un droit collectif comme le droit à un environnement de qualité. Nous voilà plus de trente ans plus tard, avec des libertés individuelles plus affirmées que jamais puisque la jurisprudence est venue, petit à petit, élargir la portée des droits contenus dans notre Charte. Le droit de l’environnement s’est donc développé, au Canada et ailleurs dans le monde, dans un contexte où les libertés individuelles dictent notre mode de vie, la sphère politique et le droit. Toutefois, il s’agira dans ce qui suit de montrer comment il est possible de proclamer un droit à un environnement de qualité sans pour autant remettre en question la portée des libertés individuelles.
Nous devons composer aujourd’hui avec un encadrement législatif très complexe. Presque tout est réglementé et l’environnement n’y fait pas exception. Une réglementation existe en matière de protection des forêts, de la faune et de la flore, en matière de gestion des ressources naturelles, d’utilisation du sol et pour le zonage. Au Québec, les lois et règlements en matière environnementale s’articulent autour de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) dont l’article 20 est central pour assurer une certaine protection de l’environnement. Près d’une cinquantaine de règlements découlant de la LQE sont présentement en vigueur et, depuis son adoption en 1978, une vingtaine d’autres, aujourd’hui abrogés ou caducs ont été votés. L’interprétation de ces lois est souple, large et parfois difficile. Les difficultés résultent souvent de la compétence partagée entre les paliers de gouvernement fédéral et provincial au Canada. Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 précisent le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces. Cependant, en 1867 l’environnement n’a pas été mentionné parmi les champs de compétence nommés dans ces deux articles. Avec le partage des compétences prévues dans la Constitution auquel s’ajoute une jurisprudence abondante, il est aujourd’hui possible d’affirmer que la protection de l’environnement se rattache à plusieurs compétences, autant fédérales que provinciales. De plus, les lois et règlements adoptés doivent, en principe mettre en application les traités et accords signés à l’international. Il en résulte inévitablement des manquements, des incohérences, et souvent un manque de concordance entre les différents niveaux de pouvoir règlementaire. Il existe encore malheureusement des normes qui offrent des échappatoires ou qui sont rapidement dépassées. Le droit de l’environnement n’est pas toujours sérieusement observé, appliqué ou maintenu et ce dernier doit faire face aux défis de la croissance économique, du développement et aux différents agendas politiques.
En droit de l’environnement, deux perspectives principales s’affrontent. La première est celle qui domine aujourd’hui : l’anthropocentrisme qui consiste en une conception du monde selon laquelle tout est rattaché à l’Homme. La nature est un objet passif alors que l’être humain est un objet actif. Cette conception rend l’être humain tout-puissant par rapport à ce qui l’entoure et explique une grande détérioration de l’environnement qui est liée aux idées scientifiques, éthiques et politico- juridiques. La seconde perspective est l’écocentrisme qui exprime une plus forte éthique environnementale. Dans cette conception, l’être humain fait partie d’un tout de manière non privilégiée avec les autres espèces. L’être humain doit ainsi adapter ses comportements en fonction des besoins de la nature de manière à ne pas dégrader celle-ci. Le compromis s’étant développé entre ces deux perspectives est le développement durable qui permet aux êtres humains de conserver une liberté d’action tout en leur ajoutant des responsabilités envers la nature.
Un droit à l’environnement ou un droit pour l’environnement?
Face à la conception dominante en droit de l’environnement aujourd’hui et les difficultés techniques évidentes liées à la mise en pratique d’un droit qui protège réellement l’environnement, nous pouvons nous demander s’il est possible de répondre adéquatement aux problématiques environnementales actuelles, particulièrement celle de la justice écologique en poursuivant sur le même chemin ou si des changements s’imposent pour améliorer la situation environnementale de la planète. La justice environnementale est un enjeu international et il paraît impossible de s’y attaquer avec des politiques prises à l’échelle régionale ou même nationale. Nous avons évoqué plus haut la complexité du droit de l’environnement à l’échelle québécoise et canadienne. Cette complexité s’étend à la scène internationale où les États doivent en venir à des accords afin d’agir de concert pour protéger la planète.
Nous sommes d’avis qu’il est actuellement difficile de changer radicalement les comportements humains et que la vision anthropocentrique qui s’affirme depuis des années risque de prévaloir encore longtemps. Cependant, des actions peuvent être entreprises pour permettre l’avènement d’une justice écologique; il suffit de travailler avec les outils dont nous disposons. Cette réussite peut passer par l’affirmation d’un droit à un environnement de qualité pour tous, développé autour des droits et libertés déjà accordés, ou encore par un développement sur la scène internationale d’un véritable droit pour la protection de l’environnement qui place sa protection sur un pied d’égalité avec les droits de l’Homme. Dans la conjoncture actuelle, la première option est sans doute plus réaliste puisque l’idée, certes intéressante, d’un droit pour l’environnement dissocié des droits humains constituerait une voie nouvelle. Dans ce qui suit, il sera question de montrer comment il est possible de consacrer un droit à l’environnement pour tous qui se rattache aux droits de l’Homme. Il ne s’agira pas ici d’entrer dans les détails procéduraux de cette problématique mais plutôt de s’attarder aux critiques de ce droit à l’environnement, à sa valeur réelle et à son effectivité.
Une critique très répandue des droits dits de troisième génération ou droits de solidarité dont le droit à un environnement de qualité fait partie, est que selon plusieurs, cette catégorie de droits n’existe pas ou est pour le moins mal définie et sans valeur juridique. D’autres aussi, considèrent que le droit à un environnement de qualité devrait être rattaché aux droits de deuxième génération, déjà consacrés. Le débat sur cette question est actif et les points de vue divergent. Toutefois, nous sommes d’avis que devant la gravité actuelle de la situation environnementale et de la montée constante des inégalités sociales dans le monde, le droit à un environnement de qualité doit être accordé et reconnu d’une manière ou d’une autre. Que ce soit en rattachant ce droit à un droit de l’Homme déjà existant, en créant une nouvelle catégorie de droits de l’Homme ou encore en donnant un statut particulier à l’environnement, des actions concrètes doivent être entreprises avant qu’il ne soit trop tard.
Certes, le droit à l’environnement est un droit collectif dont tous les êtres humains doivent être en mesure de jouir. Comme l’expliquent Jean- Maurice Arbour et al., « Certains sont d’avis que plutôt que d’ajouter simplement des devoirs aux droits de l’homme, les réalités écologiques nous invitent à redéfinir les droits eux-mêmes pour garantir des droits à la nature » (Arbour et al., 2012, p. 171). Cependant il nous semble plus efficace de consacrer ce droit à l’environnement en le rattachant aux droits individuels déjà accordés dans les traités internationaux plutôt que de créer une nouvelle catégorie de droit qui ne fait pas nécessairement l’unanimité puisqu’il peut être complexe d’imaginer une forme de personnalité juridique pour l’environnement. Ainsi, pour donner une véritable force à un droit à un environnement de qualité, il faut, comme nous l’avons mentionné plus haut, reconnaître ce droit dans un traité ou un accord international sur les droits de l’Homme pour le rendre obligatoire. Grandbois et Bérard abondent en ce sens en précisant que : « […] la reconnaissance internationale du droit à l’environnement pourrait générer peu à peu un contenu normatif minimal, des standards environnementaux nécessaires à la vie et à la santé humaine, liant l’ensemble des acteurs de la société civile. Dès lors, les États et les entreprises ne pourraient plus s’abriter derrière des engagements flous et des termes vagues et les droits environnementaux pourraient, au même titre que les autres droits fondamentaux donner une voix aux victimes d’atteintes graves à l’environnement » (Grandbois et al. 2003, p. 427). La Déclaration de Stockholm de 1972 accorde un « […] droit fondamental à la liberté, l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette [l’homme] de vivre dans la dignité et le bien-être […] » (Déclaration de Stockholm). Il importe de donner un caractère obligatoire au droit à l’environnement puisque comme le mentionnent Arbour et al. :
D’une part, parce que seul un droit humain est assez universel pour permettre à tous d’en bénéficier, peu importe l’inaction de leur État à protéger l’environnement et leur garantir des droits de participation en cette matière. D’autre part, parce que ce droit ne sera jamais pleinement garanti pour les victimes qui feront un recours indirect aux autres droits humains ou qui auront recours aux mécanismes procéduraux offerts par le droit de l’environnement, lesquels varient considérablement, d’un État à l’autre, et peuvent être anéantis par une simple loi, au fil du temps.
Le manque d’universalité du droit entre les divers États est un obstacle considérable auquel il faut répondre en donnant une possibilité d’action aux individus sur la scène internationale. Actuellement, il est très long et difficile pour un individu de faire valoir une violation d’un droit garanti dans un traité international puisque dans la grande majorité des situations, il doit épuiser la totalité des recours juridiques de son pays.
Autrement dit, l’individu doit passer par tous les tribunaux auquel il peut légalement s’adresser dans son pays avant de pouvoir exercer un recours à un tribunal international (Gareau et al., 2006). De plus, dans l’état du droit actuel, afin de s’adresser aux tribunaux internationaux pour obtenir réparation à une atteinte à l’environnement, il ne suffit pas de prouver cette atteinte, il faut également prouver une atteinte à un autre droit, comme le droit à la vie, le droit à la santé ou le droit à la sécurité, par exemple. Autrement, le recours ne pourra qu’échouer. Comme le mentionnent Arbour et al. : « La démonstration du lien de causalité entre la dégradation de l’environnement et l’atteinte à un droit garanti pose des problèmes de preuve importants. La dégradation environnementale doit être grave ou sérieuse au point d’entraîner une atteinte au droit à la vie, à la vie privée ou à la santé, ce qui diminue le niveau de protection de l’environnement qui est offerte et nuit à la qualité de vie en collectivité » (Arbour et al., 2012, p. 202). L’état du droit en cette matière illustre quelques difficultés importantes auxquelles les individus doivent présentement faire face lorsqu’il est question de la protection de leurs droits sur la scène internationale et témoigne de la nécessité de renforcer les droits existants en matière d’environnement et de faciliter le processus. Travailler en ce sens permettrait une réelle protection de l’environnement et les individus n’auraient plus à prouver une atteinte significative à un autre droit garanti, ce qui diminue le fardeau de preuve et augmente la protection de l’environnement.
Conclusion
Le développement du droit de l’environnement au cours des trente dernières années s’est fait, comme nous l’avons vu, autour des droits et libertés individuels. Malgré les nombreuses conventions et traités internationaux, et les efforts, parfois insuffisants, des États pour protéger l’environnement, les véritables actions tardent à se faire sentir. Accorder un droit à un environnement de qualité pour tous et établir une procédure précise pour en permettre le respect et l’application pourraient, dans les circonstances actuelles, permettre de fournir une base normative minimale universelle nécessaire pour permettre aux être humains de protéger l’environnement et de pallier aux inactions parfois trop récurrentes des États sur le plan environnemental (Arbour et al., 2012). La justice écologique implique, entre autres, de répondre aux besoins de tous les êtres humains et de leur procurer un certain bien-être, de réduire les inégalités, de permettre aux peuples de s’épanouir dans le respect de l’environnement et de favoriser le respect des principes du développement durable : compromis généralement accepté présentant de bonnes bases pour la protection de l’environnement. La nécessité d’accorder le droit collectif à un environnement de qualité à tous les être humains à travers les droits de l’Homme est nécessaire pour réagir aux enjeux soulevés par la justice écologique. Les juristes et les États les plus engagés en matière de protection de l’environnement auront beaucoup de travail devant eux s’ils veulent que ce droit soit accordé dans un traité international et accepté par une majorité d’États. Cela implique également que les États signataires soient contraints de recevoir les plaintes en matière d’atteinte à la qualité de l’environnement et que les tribunaux régionaux et nationaux rendent des jugements en première instance. Autrement, les tribunaux internationaux seraient débordés et ne pourraient vraisemblablement pas répondre à toutes les demandes, sans oublier que le principe coutumier de l’épuisement des recours, bien qu’il ne soit plus aussi strict qu’auparavant, trouve encore application. Cette réalité soulève encore des questionnements concernant l’uniformité du droit, la force coercitive du droit international et le degré actuel de démocratisation du débat environnemental, questions qui peuvent faire l’objet de discussions futures. Les défis sont considérables et les obstacles nombreux mais l’adoption d’un droit à un environnement de qualité est un processus incontournable dans l’atteinte d’une meilleure équité économique, sociale et environnementale entre les peuples, d’une réelle protection juridique pour l’environnement, ainsi que dans la lutte aux changements climatiques.
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Thomas Brossard est étudiant au DESS en environnement et développement durable option enjeux sociaux et gouvernance à l’Université de Montréal. Il a auparavant complété son Baccalauréat en droit à l’Université du Québec à Montréal.
Références
Arbour, Jean-Maurice, Sophie Lavallée et Hélène Trudeau. 2012. Droit international de l’environnement. 2 éd., Cowansville (Québec). Éditions Yvon Blais.
Gareau, Jean-François et François Crépeau. 2006. Les recours internationaux en matière de protection des droits de la personne. Montréal. Barreau du Québec – Service de la formation continue. Grandbois, Maryse et Marie-Hélène Bérard. 2003. La reconnaissance internationale des droits environnementaux : le droit de l’environnement en quête d’effectivité. Les Cahiers de droit 443, pages 427 à 470. Conférence des Nations Unies sur l’environnement. 1972. Déclaration de Stockholm. Repéré à http://www.diplomatie.gouv.fr/sites/odyssee- developpementdurable/files/1/Declaration_finale_conference_ stockholm_1972.pdf.
Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c Q-2. Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c3.