par Ève Marie Langevin
Louis Riel, ad 1880
En 1885, le Métis canadien-français de St-Boniface en terre de Rupert Louis Riel (1) est condamné à mort au Manitoba pour avoir défendu et armé les siens pour protéger leurs terres, retrouver leurs droits civils et de propriété et lutter contre l’avancée des arpenteurs de la colonisation et du Canadian Pacific. Après des actions pacifistes, il lance un appel à une résistance armée aux chefs amérindiens Big Bear et Pound-Maker. Ils sont aussi épaulés par un autre chef Métis, Gabriel Dumont (2). Selon l’historien québécois Jacques Lacoursière (1973) (3), « cet événement remet en cause les fondements mêmes de la Confédération » naissante. Selon l’historien et professeur américain Hugh Mason Wide, « L’agitation dans le Québec contre l’exécution d’un Canadien-Français sommairement condamné par un jury et un juge anglais devint une révolution politique.» (1963) (4).
Le nouveau chef du parti National au Québec, Honoré Mercier, en fera d’ailleurs l’éloge dans un de ses discours resté célèbre au Champ-de-Mars à Montréal en novembre 1885 (5), juste après la pendaison de Louis Riel à Régina : « Riel, notre frère, est mort, victime de son dévouement à la cause des Métis dont il était le chef, victime de fanatisme et de trahison ; du fanatisme de Sir John [Macdonald, premier ministre du Canada, en 1885] et de quelques-uns de ses amis; de la trahison de trois des nôtres qui, pour garder leur portefeuille, ont vendu leur frère. »
Un nouveau chant, sur l’air de la Marseillaise et avec de nouvelles paroles « La Marseillaise rielliste » est en vogue au Québec.
La Marseillaise rielliste
Enfants de la nouvelle France,
Douter de nous est plus permis!
Au gibet Riel se balance,
Victime de nos ennemis (Bis).
Amis, pour nous, ah, quel outrage!
Quels transports il doit exciter!
Celui qu’on vient d’exécuter
Nous anime par son courage.
Refrain
Courage! Canadiens! Tenons bien haut nos cœurs;
Un jour viendra (Bis) Nous serons les vainqueurs.
Que veulent ces esclavagistes?
Que veut ce ministre étrangleur*?
Pour qui ces menées orangistes**,
Pour qui ces cris, cette fureur ? (Bis)
Pour nous, amis, pour nous, mes frères,
Ils voudraient nous voir au cercueil,
Ces tyrans que leur fol orgueil
Aveugle et rend sourds aux prières.
Refrain
Honte à vous, ministres infâmes***,
Qui trahissez, oh! lâcheté!
¬Vous avez donc vendu vos âmes!
Judas! Que vous ont-ils payé? (Bis)
Dans la campagne et dans la ville
Un jour le peuple vous dira :
Au bagne, envoyez-moi tout ça!
La corde n’est pas assez vile!
Refrain
Source de la chanson : reproduction d’un texte de l’Institut d’Histoire de l’Amérique française, collection Lionel Groulx (3)
* Possiblement une allusion au premier ministre conservateur canadien John A. Macdonald, qui préféra une politique d’apathie (selon Lacoursière, 1973) face aux revendications des Métis en 1885, avant d’avoir recours à l’armée. Pourtant, quelques années plus tôt, en 1869, les 10 000 Métis francophones de la Rivière-Rouge (actuelle région de Winnipeg) des terres d’Assiniboia, « avaient obtenu des garanties et des promesses solennelles de la part du gouvernement Macdonald, selon lesquelles ils pourraient conserver leur mode de vie, leur langue, leur religion et leurs terres.» (5) À noter qu’il y a eu deux rébellions avec Riel : une au moment de la Confédération en 1870 et une autre, en 1885.
** En 1885, « les Orangistes d’Ontario réclament la tête de Riel pour venger la mort de Scott » J. Lacoursière (1973). Pendant le gouvernement provisoire de Riel de 1870 dans l’Ouest canadien, « reconnu pour sa haine des Métis francophones, Thomas Scott [avait] menacé, avec d’autres colons ontariens, de se rebeller. Arrêté en 1870 [par les Métis], Scott est jugé, condamné et exécuté. » Pierre Rousseau (2003) (6)
*** De quels ministres québécois infâmes, traîtres et lâches parle-t-on ici ? On peut penser, en lisant le discours célèbre de Mercier cité plus haut, qu’on parle du premier ministre conservateur québécois A. Chapleau (passé au fédéral sous J. A. MacDonald en 1882). Quel rôle a-t-il joué dans ce drame ? Quant au ministre conservateur fédéral H.-L. Langevin (un des pères de la Confédération, réalisée pour contrer les dangers de l’annexion américaine), auquel Mercier fait également allusion dans son discours, Langevin aurait au contraire plutôt joué en coulisse après de son chef pour faire annuler la pendaison de Riel, mais sans succès.
Sur un sujet connexe et tout aussi litigieux, également abordé dans ce numéro de Possibles, Langevin joua cependant un rôle que l’histoire jugera très sévèrement en ce qui concerne la politique canadienne d’assimilation des Amérindiens (7), en étant un des architectes des écoles résidentielles qui séparaient les enfants autochtones de leurs parents : « The fact is that if you wish to educate the children, you must separate them from their parents during the time they are being taught. If you leave them in the family they may know how to read and write, but they will remain savages, whereas by separating them in the way proposed, they acquire the habits and tastes…of civilized people.« (8). Pour remettre en contexte et éviter le révisionnisme, il faut savoir toutefois qu’à l’époque, les familles bourgeoises canadiennes envoyaient leurs enfants dans des pensionnats huppés, dirigés par le clergé, pour faire leur cours classique. Certains enfants des villes revenaient chez eux le soir et la fin de semaine, mais de très nombreux enfants canadiens-français et anglais restaient au pensionnat toute l’année scolaire. Ces pensionnats étaient différents de ceux des Amérindiens.
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La Cour suprême du Canada a entendu en février dernier (2015) la cause Caron-Boutet au sujet des droits linguistiques des francophones de l’Ouest canadien, qui sont, pour une bonne part, des Métis (9). Les juges devaient déterminer si « la Reine Victoria a réellement promis à Louis Riel de préserver l’ensemble des droits des Métis de la terre de Rupert (vaste territoire duquel sont nés la plupart des provinces et territoires de l’Ouest) en échange d’une adhésion pacifique à la Confédération ; et établir si ces engagements ont une valeur constitutionnelle » (10). Après des recherches approfondies dans les archives du Manitoba, à Ottawa, à la Compagnie de la Baie d’Hudson et à Londres, pour trouver des preuves historiques et constitutionnelles pour cette cause, l’avocat Roger Lepage affirme qu’« à l’époque, la Couronne nous a dit que si l’on déposait les armes, elle respecterait nos droits civils, religieux et de propriété. Ça incluait nos droits linguistiques. » (10) « Car, oui, les Métis francophones représentaient la majorité de la population du Nord-Ouest canadien, appelé la terre de Rupert. » (11) Un des avocats associés à cette cause, Me François Larocque, également professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, nous écrit : « Espérons que la Cour suprême donnera enfin justice à Riel ».
La plus haute Cour du Canada a finalement rejeté l’appel de Caron et Boutet et les demandeurs ont perdu leur cause.
Dans une affaire similaire en 1979, « la détermination de Georges Forest et le rétablissement par la Cour suprême des droits garantis aux Métis ont contribué à ce que ce peuple autochtone, brimé et profondément bafoué, commence à recouvrer sa fierté. » (11)
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Ève Marie Langevin est une artistes interdisciplinaire et chargée de cours en français au département d’éducation de l’Université de Montréal. Elle est membre de la revue, coordonnatrice de ce numéro et responsable de la section poésie et création.
Notes de fin_________________________________