Par Sonia Robertson
avec essai (extraits) par Guy Sioui Durand, commissaire de l’exposition
Cette œuvre a été créée pour l’exposition « Toronto’. Trialogue », présentée à la galerie YTZ Artists Outlet, à Toronto, du septembre au décembre 2018 (puis reconstituée en 2020 à la Biennale de l’art contemporain autochtone – BACA – à la Galerie d’art Stewart Hall dans la région de Montréal).
Écoutons l’artiste : « c’est comme une peau de castor géante tendue dans l’espace sur laquelle sont projetées des images qui évoquent le lac Ontario. […] La façon dont je travaille, c’est que mes œuvres sont uniques. Je les fais une fois dans un lieu, en rapport avec le lieu. Elles existent pour le lieu parce qu’elles ont été réfléchies pour le lieu. Comme là, c’est l’idée de la traite des fourrures, le lac Ontario » (Sonia Robertson, en entrevue avec Ici Radio-Canada, le 7 septembre 2018). Aussi, « le castor géant fait référence à une légende Innue selon laquelle ce dernier serait à l’origine du lac. En effet, l’eau c’est l’habitat du castor, l’eau c’est la vie. » (S. Robertson, en entrevue avec la journaliste Claire Gillet de L’Express, le 13 septembre 2018) Par ailleurs, « chez nous la spiritualité n’est pas détachée de la vie. Les chasseurs rêvent de leurs proies avant d’aller à la chasse. Moi, je rêve de mon projet artistique, j’ai des visions sur ce que je vais créer… Les cheveux [quelques-uns, de l’artiste, coupés par elle et placés sur le sol, intégrés ainsi à l’installation NDLR] permettent une relation avec le monde des esprits. » (S. Robertson, en entrevue avec Claire Gillet)
Présentation de l’exposition « Toronto’. Trialogue » par Guy Sioui Durand, commissaire (extraits)
Robertson est une « femme-territoire » (je reprends ici l’exclamation de la poétesse Ilnu Natasha Kanapé Fontaine). Elle habite et rêve les lieux. Elle en ressent l’esprit pour créer ses œuvres. Dans la langueur de la canicule, elle a résidé à Artscape Gibraltar Point, pris le traversier, parcouru la cité à vélo et marché les alentours de l’édifice du 401 Richmond. Outre nos échanges et ses recherches, des indices, des signes locaux allaient l’inspirer.
Le premier sera l’omniprésence du castor. Un premier élément déclencheur sera l’apparition inouïe de l’un d’eux trainant une branche de tremble dans un parc de la ville. Relayée dans les médias sociaux, la scène captée par un quidam est devenue virale. S’en allait construire un barrage et inonder les arbres, expliquant que Toronto’ est « là où les arbres poussent dans l’eau » ? Il a surtout réveillé chez Robertson sa lignée familiale de commerçants de fourrures, ainsi que les anciennes routes d’eau des Innus pour commercer avec leurs alliés. L’autre stimulation viendra du passé manufacturier de lingerie et de couture des édifices du quartier.
Circulez lentement, regardez attentivement, écoutez. L’espace de la galerie laisse serpenter une rivière de tissus qui ne forment qu’un élément avec une grande peau de castor. Des sons en émanent et des images du grand lac Ontario’ en émanent. Dans son installation, les voies d’eau rejoignent le monde ouvrier des femmes. Bien tendu un castor mythologique est aussi en suspension. Fabriqué de peaux agencées et œuvrées finement, laissant apercevoir cette transformation des poils en feutre, qui était la grande demande européenne pour les fourrures d’Amérique du Nord. Il installe ce Toronto’ autochtone.
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Notez l’apostrophe ajoutée à la fin de Toronto’. Symbole linguistique qui indique une coupure dans le son dans son appellation en langue huronne-wendat, il recèle une grande signification. Il suppose de rêver.
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Rêvons. Dans la langue Wendat, Toronto’ veut dire « là où les arbres poussent dans l’eau ». En effet, des Grands Lacs et leur chute tonnerre Niagara jusqu’aux îles dans le lac Ontario’, il y a la grande bourgade. Derrière sa forêt de métal et de verre en gratte-ciels, elle est sillonnée par trois importantes rivières (Humber, Don et Rouge). Les castors y sont toujours présents. Ils rappellent l’histoire de la traite des fourrures au cœur des relations entre nos Peuples des maisons longues et les arrivants. Aujourd’hui, ce sont sans conteste les lieux de l’art de Toronto’ qui ressortent. Ils n’ont jamais été si ouverts aux artistes et aux œuvres actuelles des Autochtones.
WENDAT
Kwatra’skhwatha’
Yaronhkha’ kwatatiahk. De’kha’ yändata’ Toronto atehchiendayehtats. Yändata’yeh teyarontayeh ndien’. Khondae’ teyarontayeh teyaronto’. Yaro’ de ontarowänenh, ha’teiontarayeh. Tho on’wahti’ Niagara ayänderondiahk. Kha’ Ontarïio’ iyaen’. Ontarayonh yändatowänenh iyaen’. Ahchienhk iyahndawayeh. Humber, Don chia’ Rouge atiatsih. Khondae’ yahndayowänenh. De’kha’ yahndayowänenh yarhayonh endien’. De yarha’ ohwihsta’ ïohtih chia’ de yarha’ oyahkwe’nda’. Chia’teohtih. De yaronta’ atironhiach. Yahndayowänenh tsou’tayi’ etiawehtih. Yahndayowänenh Tsou’tayi’ yändare’. Tho ïawenhchonnion’ ayoahronkha’. Kwatendotonnionhk. De öne de yändehwa’ ahonwendatenhndinon’. Onhwa’, tho ayorihwahchrondih iyaen’. Tho ayohsohkwahchrondih iyaen’. Hendia’tate’ de hatindarahchrïio’. Hendia’tate’ de aweti’ hatirihiwahchondiahk. Hendia’tate’ de aweti’ honhsohkwahchondiahk. Onyionhwentsayeh ekwatiehst. Onyionhwentisïio’ lyennen’, lyen’ chia’ chih eyenhk.
INNU-AIMUN
Toronto: e nishtuetshinakan
Puamutau. E innu-aiminanut anite tetshe Wendat mak Senaca ka itakaniht, nanikutini Toronto issishuemakan ume: ¨<Nish mishtikuat nitautshuat nipit> eku ne kuatak essishuemakak ¸<Tamipeku mishtik(u)> e innu-aiminanut, ume…Miam, kamishakamati shakaikana (SMB1), mak Nanimassiu-paushtikua (SMB2), ne Niagara nuash minishtikkut ka takuak anite Ontario shakaikanit, takuan anite utenass. Akutit anite assikuman-minashkuatmak anite mistshetuau kashamatikutshuaputi (SMB3), nisht anite pimukuna mishta shipua (Humber, Don mak Rouge ka ishinikateti). Eshk(u) tauat amishkuat miam tipatshimutau ka atauatshenanut upiuau-shuniau, ka atamakaniht anitshenat ka ussi-takushiniht ute tshitassinat, tshinanu ka uitshiak(u) mishta shapituana, ka tshinuati mitshuapa ka inanut. Kashikat ekuata anite e nukuak eshi-pikutaiak(u), natshi-uapatakanu anite Toronto. Apu nita ut eshk(u) ishpish nukutakan eshi matau-pikutaiak(u), ka ishi- unishinataitsheiak(u), ka ishi-mukutatsheiak(u¨), tshinanu autochtones ka ishi-uinikuiak(u).
(SMB1) Grands lacs: Kamishakamati Shakaiukana
(SMB2) Nanimassiu-apaushtik(u) Niagara ka ishinikatet
(SMB3) Mitshetuau kashamatikutshuap Gratte-ciel
ABÉNAKI
Abaziak nebik ala kwenakwamal nebik, pazgwen liwizow8gan wji kchi odana msinebesalek magwakik. Megenigan akik wji n8jihob paamiwi azwato wakasenolsizal, let8 mtanaw8gan.
Biographies et démarche artistique
Ilnu de Mashteuiatsh où elle vit actuellement, Sonia Robertson est artiste, art-thérapeute, commissaire et entrepreneure. Bachelière en art interdisciplinaire de l’Université du Québec à Chicoutimi depuis 1996, elle a participé à de nombreux évènements artistiques au Canada, en France, en Haïti, au Mexique et au Japon. Elle a développé une approche in situ et de plus en plus participative. L’art est pour elle un moyen d’expression et de guérison. Elle vient de compléter une maîtrise en art-thérapie à l’UQAT au cours de laquelle elle a créé une approche liée à l’imaginaire des peuples chasseurs-cueilleurs. Impliquée dans sa communauté, elle a cofondé divers organismes et évènements ; dont la fondation Diane Robertson devenue Kamishkak’Arts qui soutient les artistes à tout niveau et utilise l’art comme levier social à travers divers projets ; les ateliers d’artistes TouT-TouT de Chicoutimi en 1995 ; Kanatukulieutsh uapikun en 2001 qui travaille à la sauvegarde et à la promotion des savoirs des Pekuakamiulnuatsh sur les plantes et le Festival de contes et légendes Atalukan en 2011. Comme commissaire, elle travaille surtout à des projets à long terme et participatifs, situés à la frontière entre l’art et l’art-thérapie.
Sa démarche artistique puise sa source dans sa culture marquée par la répétition du geste et la recherche de l’Unité. Elle questionne la tension entre les polarités, le lien entre l’invisible et le visible, entre le monde des Esprits et celui des humains, entre intérieur et extérieur. Les installations qu’elle propose questionnent le mouvement, l’utilisation de l’espace, la lumière et la perception. Elle y intègre la photographie, la vidéo, le son et les mots. Elle crée, pour chaque lieu où elle est conviée, une œuvre inédite en fonction de l’espace, de l’histoire du lieu et de l’esprit des lieux. Ses œuvres sont comme des rituels, des espaces sacrés, des espaces de connexion à la terre, parfois porteuses de guérison.
Wendat (Huron), Guy Sioui Durand est sociologue (Ph.D.), théoricien, commissaire indépendant, critique d’art et conférencier-performeur (Harangue performée). Son regard sur l’art autochtone et l’art actuel met l’accent sur le ré-ensauvagement de nos imaginaires et le renouvellement des relations. Ses livres L’art comme alternative. Réseaux et pratiques d’art parallèle au Québec (1997) et Riopelle Indianité (2003) sont des références. S’y ajoute l’Esprit des Objets (2013) sur l’art autochtone actuel. Il prépare un ouvrage sur « Actes Sauvages / Indian Acts », l’art performance autochtone. Il a notamment produit et/ou participé aux dossiers « Amérindie » (Esse 2002), « Indiens, Indians, Indios » (Inter 2010) et « Affirmation Autochtone » (Inter 2016). Il a été commissaire des événements Gépèg. Souffles de Résistance (2009) et des expositions La Loi sur les Indiens revisitée (2009), Akakonsah’/Fabuleux Dédoublements (2013), Archives Vivantes (2014) Résistance. Plus Jamais l’Inaction (2014), Miroir d’un Peuple. L’œuvre et l’Héritage de Zacharie Vincent (2016). Plus récemment, Sioui Durand est commissaire du projet en cours Hommage aux Skywalkers/Ironworkers Mohawks, de l’événement Actes Sauvages / Indian Acts. Le Rassemblement International d’Art Performance Autochtone (RiAPA) à Wendake, 14-15-16 septembre 2018, et du projet d’exposition De Tabac, de Sauge et de Foins d’odeurs, Musée d’art de Joliette, hiver 2019. Il enseigne « Initiation à l’art autochtone moderne et contemporain » à l’institution autochtone Kiuna, seule institution postsecondaire entièrement autochtone, depuis 2012.
Note
Tous les textes et propos ci-dessus, de Sonia Robertson et Guy Sioui Durand, sont reproduits ici avec leur autorisation, accordée à Anatoly Orlovsky en décembre 2020.