En regardant passer les bateaux

Par Jorge Palma

Traduit de l’espagnol par Jean-Pierre Pelletier

 

MIRANDO PASAR LOS BARCOS

Vengo a ver
la resurrección de la luna.

A mis espaldas, la ciudad
agoniza en su falsa intimidad.
No cuenten conmigo hoy
para velar a sus muertos.
He venido a ver
la resurrección de la luna.

Un barco, inmenso y negro
como la muerte, pasa
empujando el día.
Hay zozobra en la ciudad
y quedan, todavía en llamas,
gritos atravesando el viento.

Vengo a ver la resurrección
de la luna.

Mientras miro pasar los barcos,
la humedad hace nidos
y la carcoma anuncia
una nueva devastación.
Crujen las casas
de los olvidados de la tierra
y yo vengo a ver
la resurrección de la luna.

Los barcos abren el agua
y yo me pregunto de qué
hablarán en las cubiertas
en los camarotes
si alguno siente crujir
en sus dedos
el olor de la humedad
de los olvidados de la tierra,
cada vez que juegan
con un trozo de pan.
A mis espaldas
la ciudad corre, se infarta,
devora trozos de cielo, mientras
reparte lluvia en viejos canastos.

Señor, vengo a ver
la resurrección de la luna,
y sólo veo barcos, enormes
y negros como la muerte.
¿Dónde está la luna, Padre?
Esto empieza a congelarse
y oscurece.
La ciudad corre, se infarta,
mientras reparte lluvia
en viejos canastos.

Pero no llueve sobre mi rostro.
Pero no llueve sobre mis manos.

Llueve en las casas húmedas.
Llueve en los patios sin luna
donde la ropa tendida
no se termina nunca de secar.

¿Por qué les siguen pagando
con sal, a los más solos
de la tierra?
¿Hay algo que no he
comprendido realmente?
¿Alguien puede explicármelo
de una buena vez?
Traigan sus ábacos
y pizarrones.
La luna tarda en salir
y un gemido de parto
atraviesa esta tierra.

Yo he venido a ver
la resurrección de la luna.
Y lo único que veo
son barcos enormes, negros
como la muerte,
entrando y saliendo
de la ciudad.

 

En regardant passer les bateaux

Je viens voir
la résurrection de la lune.

Derrière moi, la ville
agonise dans sa fausse intimité.
Ne comptez pas sur moi aujourd’hui
pour veiller sur vos morts.
Je suis venu voir
la résurrection de la lune.

Un bateau, immense et noir
comme la mort, passe
en poussant le jour.
C’est le naufrage dans la ville
et des cris, toujours en flammes,
traversent le vent.

Je viens voir la résurrection
de la lune.

Tandis que je regarde passer les bateaux,
l’humidité forme des nids
et la vrillette annonce
une nouvelle dévastation.
Les maisons des oubliés de la terre
s’écroulent et je viens voir
la résurrection de la lune.

Les bateaux ouvrent l’eau
et je me demande de quoi
on parlera sur les ponts
dans les cabines
si quelqu’un sent craquer
dans ses doigts
l’odeur de l’humidité
des oubliés de la terre,
chaque fois qu’ils jouent
avec un bout de pain.
Derrière moi
la ville court, fait une crise cardiaque,
dévore des bouts de ciel,
tandis qu’elle répartit la pluie
dans de vieux paniers. 

Seigneur, je viens voir
la résurrection de la lune
et je ne vois que des bateaux, énormes
et noirs comme la mort.
Où se trouve la lune, mon Père?
Il commence à faire froid
et il fait nuit.
La ville court, fait une crise cardiaque,
tandis qu’elle répartit la pluie
dans de vieux paniers. 

Mais il ne pleut pas sur mon visage.
Mais il ne pleut pas dans mes mains.

Il pleut dans les maisons humides.
Il pleut dans les cours sans lune
où les vêtements suspendus
n’en finissent jamais de sécher.

Pourquoi on continue de payer avec du sel
les laissés-pour-compte de la terre?
Il y a quelque chose que
je n’ai pas vraiment compris?
Quelqu’un peut-il me l’expliquer
une bonne fois pour toutes?
Ils trimballent leurs bouliers
et leurs ardoises d’écolier.
La lune tarde à se lever
et un gémissement d’accouchement
traverse la terre.

Je suis venu voir
la résurrection de la lune.
Et tout ce que je vois,
ce sont des bateaux énormes, noirs
comme la mort,
entrer et sortir
de la ville. 

 

Biographie

Poète, nouvelliste, journaliste culturel, Jorge Palma est né 1961 à Montevideo (Uruguay). Il a travaillé dans différents médias tant écrits que parlés. Il a animé des ateliers d’écriture (prose et poésie). Il est l’auteur depuis les années 1980 de nombreux livres dont une demi-douzaine de poésie, en plus d’avoir participé à des anthologies du continent et d’ailleurs. Il a été traduit et publié en plusieurs langues et pays, à Londres, à Munich, Ramallah (Palestine), à Hong Kong, au Nigéria, en Italie, en Amérique latine, tant dans des revues papier qu’électroniques. Il a été invité à plusieurs festivals de poésie dans le monde, dont la 35e édition du Festival international de poésie de Trois-Rivières (Québec) en 2019.

 

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