Le Souffle de l’apocalypse (extraits)

Par Mario Pelletier

(voir aussi la lecture du recueil intégral et le montage vidéo, par l’auteur : https://vimeo.com/305123179)

 

Tant de saisons à tourner en ronds-points fermés
à patauger morose en dédales de soi
dans l’âpre chiendent des morts debout
tout ce temps de portage amer en amnésie
dans l’aboulie du pays aboli

Tant de jours à s’escrimer en vain
sur les glaces fondantes des fidélités
hockey sournois des serments et des trahisons
joute mortelle des amours déconjuguées
dans des villes de suie et de rances regrets
que les lendemains de pluie maquillaient d’oubli

Tant de châteaux en bohème effondrés

Tant d’efforts dans les filatures d’irréel
pour trop de romans de sable et de poudrerie
pour des républiques de papiers mâchés
vains mots mâchouillés jusqu’au dégoût
jusqu’à la trahison ultime des sans-âme 

Et tous les drapeaux de la fierté piétinés
dans les rires du peuple unanime cocu

J’aurai porté le rêve immense des eaux natales
enfourché les chevaux braques d’épopées vaines
effeuillé l’avenir à pétales perdus
dans des provinces de mirage et d’attrition
dévalé des Amériques de fièvre rouge
où coule à l’envers l’alcool des années fleuves
dans les cravaches et coups de sang d’une histoire
contre nous retournée de défaite en débâcle 

Et moi le désâmé dévalant l’amertume
moi le décervelé cascadeur des abîmes
le noyé au long cours des rapides d’oubli
le noyé délirant des grands Mississippi
sous les tams-tams lents des tribus évanouies

Moi vague errant dans des archipels de méprise
chassant dans les îles incertaines du cœur

Saga de l’ego en obsolescence
sous les hasards déboulés
odyssée de soi à la dérive de l’âge
vers des antarctiques de solitude

Désolation des rivages sans partance
tous nos drakkars fracassés
sur le roc de l’impossible récit
et l’éclatant mépris du jour.

Et moi toujours à la barre d’idéals fous
moi le radoubeur des chimères en débris
sans cesse grignoté par le crachin désespoir

Dérivant dans des automnes amers
livré à l’effeuillement des mémoires
sous le scalp hurlant des vents contraires
dans les champs roussis des années incendiées

Et l’échevèlement de la tête en folie
tentant de déchiffrer le braille des alarmes
dans l’enfilade aveugle des hasards 

Je cours après mon ombre évanescente
le pied meurtri sur l’aigu tranchant des jours
empêtré dans les labyrinthes de l’être
des murmures en écho plein la tête
sous la dévorante interrogation des sphinx.

 

***

Mario Pelletier est un poète, romancier, essayiste et traducteur québécois, auteur d’une quinzaine de livres. Il a été notamment journaliste et critique littéraire au quotidien Le Devoir. Parmi ses récentes publications les plus remarquées se trouvent Le souffle de l’apocalypse, un recueil de poésie publié aux Écrits des Forges en 2018, et Au temps des loups de Staline, roman historique paru chez Fides en 2012.

 

Références

 Pelletier, Mario. 2018. « Le souffle de l’apocalypse ». Trois-Rivières : ©Écrits des forges. Extraits choisis par l’auteur. 

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