Chronique : samedi soir à Verdun

Par Marie France Bancel 

Texte publié dans Facebook

16 septembre, à 06 h 41

🍂

Il fait une nuit douce dans l’antre de septembre. Je reviens du fleuve, régénérée. J’ai suivi le mouvement du courant et je m’en découvre parcourue de nouvelles énergies. Pour continuer d’imiter la vague, je laisse s’écouler le poids de mes eaux stagnantes dans les craques du trottoir. Les passants défilent comme des perles grises sur la corde raide de la solitude urbaine. L’étoffe de la nuit noire se noue sur nos têtes. Tout le monde est voilé de ciel. 

En m’approchant de chez moi, j’entends un beding-bedang qui ne m’est pas inconnu. La quiétude se fait tasser solide, faisant place à un branle-bas de combat et à ses menaces drolatiques. « M’as t’casser les couilles que t’as pas, moé! » Des êtres poqués enchevêtrent leur détresse. Les beats funky disputent leur place à la pop criarde. Mon voisin Willy est complètement saoul.

C’est samedi soir à Verdun.

Notre fanfaron, tout en sueur et en jurons, tente de convaincre les femmes du bloc qu’il est le Don Juan que nous attendions toutes. Fidèle à lui-même, l’alcool dilue la pudeur dans son philtre sacré et découvre couche par couche mon voisin éméché. La marée monte, la coupe déborde. Et c’est ainsi que de pudeur diluée en conscience décousue, on en arrive à des « coming out » d’une candeur inattendue. Invectivant le proprio déconfit, Willy se met alors à hurler qu’il n’a pas à payer son loyer parce que c’est LUI qui a embrassé le premier ministre à la parade de la Fierté! Un argument d’anthologie pour son prochain passage à la Régie? Puis, les événements dégénèrent dans un désordre anticipé. C’est alors que, fidèle à lui-même, un team de 10-4 finit par débarquer. 

Je suis consciente que la brutalité policière existe, mais ce duo-là n’y participe pas. Ils ne sermonnent pas notre homme échevelé et confus, ne le brusquent pas non plus. D’ailleurs, l’habitude faisant fondre les procédures comme un glaçon dans le meilleur whiskey, ils s’adressent à lui en l’appelant Willy. Pas « vous », pas « monsieur », Willy. « Qu’est-ce c’est qui a encore, Willy? T’as pas tenu ta promesse? » Croyant se dépêtrer, il se met à leur conter comment il est devenu la star de la parade gay. Les deux flics, grisés de rigolade, se retiennent pour garder leur contenance d’officier. C’est alors que Willy se met à leur jazzer de ses problèmes d’éviction. Mais comment oserait-on le sacrer dehors quand il est un ami intime du Premier Ministre? Ils éclatent de rire. « OK, Willy, on va mettre ça dans nos dossiers. »

William, c’est un doux-dingue, amateur d’oiseaux qu’il observe avec l’attention d’un sommelier. Il est déjà venu me sonner pour m’avertir de l’heure à laquelle les cardinaux viennent picorer les bouttes de pain que sa mère leur jette dans la cour. Inquiet des enfants maltraités dans le voisinage, il est souvent en longue conversation avec son chat. Les deux demandent à boire. Les deux hurlent à la lune. Mais je ne pourrais jamais lui tourner le dos, c’est un « fellow alcoholic ».

Finalement, Bon cop/Bon cop décident de l’emmener au poste. Après tout, «il trouble la paix publique ». Pourtant, il ne trouble pas la mienne. Je suis ancrée en mon centre, d’où il est possible d’être à la fois équanime et empathique. Mes seize ans de sobriété se tiennent au garde-à-vous devant la tyrannie de l’ébriété. Je trouvais don’ mon café plate avant d’être témoin de cette scène-là! Merci la vie de m’avoir incluse parmi les gracié.es. C’t’un peu une loterie c’t’affaire-là. William a perdu.

Le lendemain, dans la nuit noire, j’entends des chuchotements provenant de son balcon. Willy est rentré du poste. Sous la pleine lune, il écoute Cœur de Rockeur en caressant son chat. À marée basse, la maladie de l’alcool prépare en silence son prochain coup d’éclat. Des nuages noirs se dissipent. Les étoiles clignent, complices. Quand on perd à la loterie, il nous reste à parcourir le ciel, équilibriste.

 

***

Marie France Bancel – alias tatie èmèf – se veut un croisement entre conteuse, poète et chroniqueuse. Au cours des vingt dernières années, elle a participé à plusieurs festivals de conte, cabarets littéraires et publications de toutes sortes dans l’underground poétique montréalais. Elle est descendue de scène en décembre 2016, après un spectacle d’ouverture à la Place des Arts pour la chansonnière Francine Christie, avec le BLT de la poésie (Bancel, Lebeau, Therrien). Actuellement, elle se consacre aux Microaventures urbaines de tatie èmèf, ainsi qu’à la nouvelle aventure de l’écriture spirituelle.

Laisser un commentaire