par Nadine Jammal, Bochra Manaï, Jean-Claude Roc et André Thibault
Rachida Azdouz a publié récemment un ouvrage intitulé : Le vivre ensemble n’est pas un rince-bouche. Par cet ouvrage, cette professeure en psychologie à l’Université de Montréal, voulait examiner concrètement les diverses positions liées au vivre ensemble et voir comment elles pouvaient être réalisées, au-delà des controverses et des compromis possibles qui pouvaient exister dans la société québécoise. En rédigeant son ouvrage elle a dû voir à la fois la nécessité de se prononcer sur cette question et ressentir une certaine insécurité devant le risque d’être mal interprétée ou mal citée à propos de cette question qui a suscité et suscite encore tant de controverses.
Nous, de la revue Possibles, avons aussi ressenti ce risque et nous le ressentons encore plus aujourd’hui, alors qu’un parti populiste est arrivé au pouvoir récemment et que nous ne nous reconnaissons pas dans plusieurs de ses politiques. Toutefois, plus nous y réfléchissions, plus la question de l’interculturalisme s’imposait à nous comme un débat incontournable dans la société québécoise actuelle.
Par ailleurs, lorsque nous avons essayé de nous pencher sur cette question, à quatre responsables, nous nous sommes vite rendu compte que, même entre nous, nous ne voulions ni ne pouvions plus nous cacher derrière un consensus de façade, qui ne servirait qu’à masquer les divergences et à étouffer la controverses. En fait, depuis que nous nous sommes lancés dans ce numéro, nous avons de plus en plus expérimenté l’intérêt que peut représenter la différence des points de vue lorsque les controverses ne sont pas passées sous silence.
En fait, au tout début de ce numéro, nous avons voulu uniquement montrer que le vivre-ensemble se vit au jour le jour, au-delà des diverses visions de la société québécoise et des prises de position diverses. Toutefois, plus nous sollicitions des contributions, plus nous nous apercevions que plusieurs auteurs sentaient le besoin de prendre position et de se prononcer sur la société québécoise telles que nous l’imaginions, à l’heure des mouvements migratoires de plus en plus nombreux et des changements climatiques qui faisaient en sorte de les rendre encore plus fréquents. D’autre part, plus le débat avançait, plus la pluralité des débats nous semblait à la fois très importante et inéluctable dans une revue démocratique et cette pluralité, selon nous, contribuait à la richesse de la revue Possibles.
La section thématique de ce numéro se divise en deux parties : l’une porte sur les réflexions et les débats politiques et philosophiques autour de l’interculturalisme et l’autre relate des expériences concrètes où la rencontre des différences culturelles s’expérimente au quotidien. Dans les deux sections, toutefois, les prises de position sont diverses et les points de vue se contredisent et se répondent. En effet, alors que Bob White fait ressortir les diverses acceptions du concept d’interculturalisme, Jean-Claude Roc essaie plutôt de voir comment les politiques restrictives des pays occidentaux pourraient avoir comme effet de créer deux classes d’immigrants et, par le fait même, d’augmenter le nombre de demandeurs d’asile qui, ne pouvant pas se conformer aux nouvelles politiques en matière d’immigration, seraient obligés de se cacher et de travailler de façon clandestine pour un salaire de misère.
Une deuxième section porte sur les expériences concrètes en matière de vivre ensemble. Dans cette rubrique, Anouck Brisebois examine les conséquences néfastes que les politiques trop rigides des pays occidentaux peuvent avoir sur l’identité des réfugiés climatiques et déplore que ces politiques n’entraînent pour ces personnes, une perte de leur culture et de leur identité. Dans un autre article, Catherine Montgomery se penche sur l’expérience du groupe Sherpa et sur son action auprès des personnes immigrantes dans le quartier Côte des neiges. Un autre article, enfin, est celui de Raphaël Canet qui se penche sur la cohabitation entre des citoyens de diverses cultures dans les forums sociaux. En fait, dans cette section comme dans celle qui porte sur la philosophie de l’interculturalisme, les idées sont diverses et les expériences relatées nous font voir que l’interculturalité se vit au quotidien et qu’elle est incontournable, autant dans le Québec d’aujourd’hui que dans divers pays à travers le monde.
En conclusion, nous dirions que l’interculturalisme est une rencontre entre diverses cultures et expériences de vie et qu’il ne peut s’accomplir qu’à travers un dialogue avec l’Autre. Toutefois, le mot même d’interculturalisme est trompeur, car il suppose une égalité entre les cultures alors même que les pays hôtes ont souvent tendance à imposer leurs lois et leurs façons de vivre à ceux et celles qui, parfois au péril de leur vie, ont fui des situations souvent intenables pour tenter leur chance ailleurs. Nous ajouterions cependant que l’interculturalisme est l’histoire d’une rencontre qui devient chaque jour de plus en plus inéluctable. En effet, avec l’accroissement fulgurant des moyens de communication, avec l’augmentation des migrations partout à travers le monde et avec les conflits qui deviennent de plus en plus fréquents dans plusieurs pays au sud comme au nord, les cultures seront appelées à se côtoyer de plus en plus. Espérons, dans ce contexte, que la réflexion entreprise dans ce numéro contribuera, d’une part, à alimenter les débats politiques et philosophiques et, d’autre part, à informer les lecteurs et les lectrices sur les conditions concrètes de cette rencontre.
Nadine Jammal, Bochra Manaï, Jean-Claude Roc, André Thibault, responsables du numéro sur l’interculturalisme