Par Jean Désy
Ciel de puissance à la rivière Manitou
Tous les embruns nous abreuvent
Pour que nous visions l’intérieur
La cataracte la plus intense
Celle de notre âme si fière
D’habiter ce pays
***
Premier bouquet de Côte-Nord
Les homards fêtent la Saint-Jean
Sur les bords de la Pashashibou
Une Innue parle aussi français
La mer découvre ses splendeurs
Pour que nous nous sustentions
De soupe aux algues
Et de moules sans les frites
***
N’être rien
Rien d’autre que soi-même
Et la mer qui touche le sable
Ou le vide d’une cabane
Entre les fenêtres et la porte
Assemblé en soi-même
Avec le sourire du matin
Devant cette vie qui dicte
Pour tout être
De n’être rien
***
T’as un kayak?
Saute dedans pour courir sur les eaux
De la Moisie jusqu’à la George
T’as pas de kayak?
Saute dans un vieux canot
Trouvé entre deux sapins
Franchis six rapides de printemps
Souris aux macreuses et aux kakawis
Et si par hasard t’as pas de kayak
Que tu ne trouves pas de vieux canot cassé
Marche sur les berges d’une rivière du Nord
Respire hume et vole
Ta vraie vie est entre tes tempes
Quand il vente en fou
Quand il neige dans tes bottes
Quand la mer se lève
***
Au bout du monde
Tu marches dans la toundra
Au bout de ta vie
Tu respires les glaces et la pierre
Dans le lointain se dessine un fjord
Est-ce le Groenland ou la Terre de Baffin
Est-ce Ivujivik ou Salluit
Tu ne le sauras qu’une fois rendu
Une fois ta marche accomplie
***
Les mers se remplissent de plastiques
Mais il y a encore deux mésanges
Qui viennent jaser avec moi le matin
Les animaux de la planète se raréfient
Mais il y a un loup qui connaît ma cabane
La planète brasse elle tangue et hurle
Mais un renard me rend visite chaque nuit
Il vagabonde jusque sous ma galerie
Alors quoi dire de plus
Sinon un petit poème
Par déférence pour toutes ces bêtes
Moins sauvages que moi
***
Laissez-moi courir dans la lumière
Me perdre au bout d’une forêt d’hiver
Pleurer de joie dans les scintillements
Des frissons glaciques plaqués sur les branches
Laissez-moi refuser tout le reste
Les hurleurs de nucléaire et les vendeurs d’OGM
Je n’aspire qu’à me fixer à un rameau de Nord
En attendant que le réel printemps advienne
***
Jean Désy est poète. Il enseigne à l’Université Laval en littérature et en médecine. Il pratique toujours la médecine en tant que dépanneur sur la Côte-Nord et au Nunavik. Parmi ses dernières parutions : Noires épinettes, lancé aux éditions du Sabord en novembre 2017, et un petit roman jeunesse, intitulé Tuktu, publié en novembre 2018 aux éditions Les heures bleues.