Par Maud Olivier
Il est certainement plus facile de vivre ensemble quand on se ressemble un peu et qu’on a en commun certaines valeurs. C’est une lapalissade. J’entendais souvent dire dans mon entourage, quand je travaillais pour l’Immigration du Québec : « Choisissez donc mieux vos immigrants ». S’il s’agit d’une injonction qui paraît relever du gros bon sens, c’est chose plus facile à dire qu’à faire. Bien que j’aie quitté le domaine de l’immigration il y a quelques années, mon propos est encore d’actualité aujourd’hui.
À l’époque, au Ministère, on cherchait des immigrants (et on en cherche encore) qui pourraient travailler au Québec. On s’intéressait en priorité à leur formation, à leur expérience de travail, à leur connaissance du français, et de l’anglais. On les voulait assez jeunes, avec une famille, pour la relève démographique. On vérifiait tous ces aspects sur papier et, parfois, en entrevue. C’était beaucoup de travail, et le volume de candidatures était grand. Il y a plusieurs décennies, quand l’entrevue était davantage la règle que l’exception, on vérifiait aussi les qualités personnelles des candidats, auxquelles on accordait un certain nombre de points. Ceux-ci étaient souvent contestés : Comment être objectif à ce sujet ? Quelles qualités valoriser ? Il y avait bien quelques outils d’évaluation, mais ils demeuraient somme toute assez vagues, et les conseillers chargés des entrevues disposaient d’une assez grande latitude dans leur jugement. Mais il s’agit d’histoire ancienne, avant les années 2000. Le manque d’uniformité de ces mesures et le volume de travail global en ont eu raison. Désormais, on n’évalue plus les qualités personnelles des individus.
Toutefois, on contrôle un tant soit peu l’honnêteté. Il existe certaines règles auxquelles on ne peut échapper. Les demandeurs ne doivent évidemment pas produire de fausses informations ni de faux documents dans leur demande. Les bureaux du Québec ont acquis une certaine compétence dans la détection des contrefaçons et dans l’analyse de la cohérence d’un dossier en général. Et si le Québec choisit ses immigrants (économiques), c’est le gouvernement fédéral qui leur octroie un visa d’entrée après avoir fait ce qu’on appelle une enquête de sécurité, pour éliminer les criminels.
De plus, les demandeurs doivent (quand il y en a une) passer leur entrevue à visage découvert, pour être bien reconnus. Certains peuvent penser que cela suffit à éviter des candidatures indésirables venant des fanatiques de la burqa[1]… Je vais vous raconter une anecdote. J’étais à faire des entrevues au Moyen-Orient, et une jeune femme (vêtue d’un hidjab[2], c’est important pour la suite de l’histoire) est entrée dans ma salle d’entrevue. Elle était accompagnée d’un homme âgé que j’ai interrogé immédiatement. C’était son père, qui n’avait pas le droit d’être là. Il était venu vérifier si c’était bien une femme qui faisait passer l’entrevue à sa fille. Cette candidate s’était présentée auparavant, mais l’entrevue n’avait pas eu lieu, parce qu’elle était menée par un collègue masculin. Nous avions reprogrammé l’entrevue avec une femme. Une erreur ? Sommes-nous trop gentils ? J’ai mis poliment le monsieur à la porte et j’ai amorcé aussitôt l’entrevue avec la jeune femme. Madame était dans la trentaine, enseignait une discipline scientifique dans une université, quelque part en Occident. Elle avait fait le voyage pour passer l’entrevue dans son pays d’origine. Vive d’esprit, intelligente. Je prenais plaisir à cet entretien. Elle se qualifiait et j’avais accepté sa candidature. Je lui avais remis son certificat de sélection. Je penchai la tête pour ranger les papiers et fermer son dossier. Quand je la relevai, elle était en train d’ajouter un niqab[3] à son hidjab ! J’étais estomaquée et m’écriai : « Mais pourquoi faites-vous cela ? On ne voit plus votre beau sourire ! » Elle m’avait répondu : « Vous savez, c’est très compliqué ».
C’est là-dessus que nous nous étions laissées. Son père l’attendait dans la salle d’attente. Était-ce pour lui qu’elle arborait ce niqab ? Je supposais in petto qu’elle ne le mettait certainement pas pour enseigner à l’étranger. Je m’étais sentie flouée. Qu’est-il arrivé à cette femme par la suite ? Avait-elle eu son visa ? Probablement. J’espère qu’elle vit ici sans niqab. (Voilà, vous connaissez mes couleurs.) Cette anecdote a pour but de vous dire que nous ne contrôlons pas tout dans la sélection des immigrants, même si de grands efforts sont entrepris pour ce faire.
On demande aux candidats de signer une déclaration les engageant à adhérer aux valeurs de la société québécoise dans le cadre de leur demande. L’égalité hommes-femmes en fait partie. Mais qu’est-ce qu’une signature ? Aucune pénalité n’est associée à son non-respect.
L’argument suivant, sous forme de question franche : « Mais que faites-vous à sélectionner des immigrants dans certains pays ? » Pourquoi, en effet, les recruter dans les pays où la culture est éloignée de la nôtre ? La question se pose. Mais elle ne tient pas compte du fait que nous y sélectionnons entre autres des personnes qui, sans être des réfugiées au sens juridique du terme, fuient justement des contraintes sociales et recherchent la vie libre de nos sociétés. Délaisser ces bassins reviendrait à les laisser à leur sort et à nous priver de leur apport.
De plus, pendant plusieurs années, la loi nous obligeait à traiter sur le même pied tous les bassins pour la sélection de l’immigration économique. Toutefois, le gouvernement du Québec a gagné en Cour le droit de privilégier les bassins de son choix. Depuis, il s’en prévaut peu et sans quitter les bassins dont la culture est « plus éloignée de la nôtre ».
On le voit, différentes considérations entrent en ligne de compte, comme le fait que les candidats de tous les bassins sont eux-mêmes diversifiés, sans compter des considérations linguistiques, comme dans le cas du bassin du Maghreb, qui constitue un bon bassin francophone.
La question du choix des bassins est rarement soulevée. Bien qu’il s’agisse peut-être de la seule voie susceptible d’éviter de sélectionner des immigrants aux valeurs trop éloignées des nôtres, elle est pour le moins radicale et laisserait sur le carreau nombre de personnes intéressantes. Ce serait un choix déchirant.
Ainsi, il est difficile de choisir des immigrants les plus « compatibles » possibles, que ce soit à travers le processus de sélection lui-même ou par le choix des bassins. Le défi le plus réaliste reste encore de les intégrer le plus possible à notre société et de les convaincre d’épouser nos valeurs.
[1] Ample vêtement des femmes musulmanes, qui couvre complètement leur corps de la tête aux pieds, exception faite des yeux.
[2] Voile qui cache les cheveux, les oreilles et le cou, tout en laissant le visage à découvert.
[3] Long voile islamique dissimulant le visage d’une femme, à l’exception des yeux. Ici, il s’agissait d’une petite pièce de tissu que la dame ajoutait à son hijab.