Par Kary-Anne Poirier
En se penchant sur les thématiques liées au G7 de Charlevoix, il est possible de remarquer un certain effort de conciliation des enjeux de genre sous les bannières déployées telles que « se préparer aux emplois de l’avenir » et « promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ». À la lecture des recommandations du Conseil consultatif sur l’égalité des sexes pour la présidence canadienne du G7, il s’avérerait que plusieurs recommandations s’attardent au financement, au soutien financier, à l’importance de l’économie et, enfin, à l’importance de la croissance économique. Un décalage semble s’être installé entre les discours et les répercussions réelles découlant de la tenue de cet important sommet. Les 8 et 9 juin 2018, alors que les dirigeants du groupe des 7 se rencontraient en région éloignée, plus précisément au Manoir Richelieu de La Malbaie, les résidents devaient cohabiter avec les dispositifs de sécurité mis en place, contrariant le bon déroulement des activités touristiques. La situation contribuait parallèlement à accentuer le trou noir de l’assurance-emploi subi par bon nombre de travailleuses et de travailleurs. Or, en arborant la lunette analytique du féminisme local et à la suite de la consultation d’articles et de publications de quotidiens locaux tels que Le Charlevoisien, les femmes, et particulièrement les femmes occupant des emplois saisonniers, semblent celles qui demeurent le plus touchées par la tenue du G7.
Plutôt que de mesurer les retombées économiques réelles de l’événement, reconstruire le discours émergeant qui essaie de dénoncer une réalité locale est une piste qui nous paraît intéressante à creuser. En effet, une analyse critique féministe permettrait de comprendre comment les groupes locaux de femmes ont vécu l’événement et comment certaines inégalités ou divisions des rôles basées sur le genre furent accentuées par sa simple tenue. En quoi la mise en place du G7 de Charlevoix a-t-elle cantonné les femmes dans des rôles genrés, tant sur le plan de l’organisation structurelle (sécurité locale) que sur le plan communautaire ? Nous croyons qu’une analyse féministe des enjeux de premier plan du G7 témoigne de l’opposition de classe qui recoupe en grande partie une opposition de sexe, voire une masculinité hégémonique, renforçant ainsi des structures genrées. Une attention particulière doit effectivement être portée à l’endroit des femmes, ou les personnes s’identifiant ainsi, puisque bon nombre d’indices laissent présager qu’elles furent touchées par des conséquences directes de la tenue du G7 de Charlevoix (Delphy 1998).
Afin de soutenir notre thèse de départ, nous effectuerons une analyse discursive d’articles de presse, tant canadienne que locale, d’entretiens, de pages Facebook locales, d’associations ainsi que les propos d’individus qui se sont prononcés publiquement, directement ou indirectement sur la tenue du G7. L’observation des interactions concitoyennes se déroulant dans le cyberespace permettra de saisir les témoignages « à vif » qui mettront en lumière la manière dont les enjeux locaux furent vécus par le public, notamment les groupes de femmes. La temporalité de la revue discursive se tiendra sur une période circonscrite de 8 à 10 mois environ avant la tenue du G7 et les quelques semaines suivant sa fin, puisque l’attention portée au G7 fut à son comble jusqu’à la tenue du Sommet. Une fois l’événement terminé, l’attention tant du public que de la presse s’en est très rapidement détournée, devenant quasi inexistante. Le contenu fut ciblé en fonction des prises de position, des accords ou désaccords ainsi qu’en fonction de la nature de la participation des actrices et acteurs impliqués. De fait, dans un premier temps, nous présenterons quelques théories qui se penchent sur la mondialisation et le capitalisme ainsi que leurs effets sur la division genrée du travail des groupes locaux de femmes. Ensuite, nous proposerons un parallèle entre ces théories et les enjeux locaux auxquels ont dû faire face les femmes et groupes de femmes avec la venue du G7 de Charlevoix.
Mondialisation et effets sur les organisations et les groupes de femmes
Certains débats entourant la mondialisation ignorent ses dimensions de genre, de classe et d’ethnicité-race. En termes de dimensions genrées, on ignore des aspects liés à la fois aux acteurs (les hommes produisent et les femmes consomment) et à la nature de la production, perçue comme masculine et sérieuse, même lorsque mise en branle par des femmes. En ce sens, l’économie capitaliste mondiale fonctionne de façon à catégoriser la main-d’œuvre de manière à scinder les différentes formes de travail, catégories également perceptibles à l’occasion du G7 de Charlevoix : travail rémunéré contre travail non rémunéré, travail formel contre travail informel, travail masculin contre travail féminin, etc. L’accumulation de profits, telle que le prescrit la base même du capitalisme, est rendue possible grâce à l’extraction des surplus générés par le travail. Ces surplus incluent également les activités rémunérées et non rémunérées des femmes, qu’il s’agisse de ménages ayant autant à leur tête des hommes que des femmes. Les formes variées de travail qu’exercent les femmes témoignent d’une asymétrie des relations entre les genres et surtout, d’une prolifération des idées patriarcales sur le genre. L’accumulation globale devient la source première de motivation de ce système mondial, créant ainsi une tension palpable sur les différences de classes et les différences régionales raffermissant la découpe actuelle des zones économiques mondiales. Il s’agit également d’un processus genré, basé sur les différences de genres dans les sphères de production et de reproduction, se transposant également sur le plan local (Acker 2004).
La division sexuelle du travail
« Toutes les femmes sont d’abord ménagères », est un énoncé conforme au titre que Camille Robert utilisa pour intituler son récent ouvrage qui présente de façon rigoureuse la lutte de la reconnaissance du travail ménager, lutte à laquelle toutes les femmes doivent faire face, mais qui, malgré sa présence dans l’espace public, demeure essentiellement la responsabilité de la femme. Cet ouvrage est un point d’ancrage intéressant puisqu’il tente de rendre visible un travail qui ne l’est pas et de réinscrire au sein des luttes féministes les enjeux liés à la reproduction sociale (Robert 2017). Il s’agit d’autant plus d’un point de départ théorique de choix qui nous amène au G7 de Charlevoix, venant notamment cibler la division sexuelle des tâches auxquelles ses actrices furent attitrées.
Cette catégorisation genrée fait perdurer la survie des économies telles que nous les connaissons, notamment par la prolifération du travail gratuit des femmes et le campement des économies riches qui cherchent à incorporer une main-d’œuvre transnationale et peu coûteuse. Le concept de division sexuelle du travail est en soi une source de revenus et constitue l’enjeu d’un rapport d’exploitation et de dépossession. Il prend à revers les dichotomies « privé-public », « travail-famille », « production-reproduction », « travail domestique-travail salarié », pour tenter de penser l’ensemble du rapport dissymétrique que les hommes et les femmes entretiennent au travail. Prenons par exemple le milieu communautaire qui renvoie la majeure partie du temps à des emplois « féminins » contre le milieu de la sécurité publique qui renvoie à un terrain davantage « masculin ». Les modalités du travail domestique varient également si l’on prend en considération les réalités particulières vécues par certaines femmes, notamment l’expérience des femmes noires, qui doivent souvent exercer simultanément « leur » travail domestique et celui d’une ou d’autres femmes, cette fois, dans un cadre professionnel. Il ne faut donc pas oublier que le bon roulement des activités d’une région touristique comme celle de Charlevoix repose sur un apport considérable du personnel de soutien. Or, une non-reconnaissance du travail des femmes de chambre – comme dans le cas où il pouvait sembler futile de ne pas permettre aux aubergistes d’offrir leurs chambres aux touristes pendant la période du G7, clamant qu’elles seraient occupées par du personnel prêtant main forte G7 – peut s’avérer fatale pour ces employées, déjà très peu rémunérées. Ainsi, le travail domestique – tout comme le travail salarié – apparaît comme une réalité complexe à déconstruire si l’objectif est de démontrer la malléabilité de ses formes, ses complexités et le fait qu’il s’imbrique dans différents rapports sociaux (Masson 2003).
La division sexuelle du travail se dessine aussi selon une division urbaine-rurale, dans la mesure où les concentrations urbaines à hauts revenus suscitent la création d’une multitude d’emplois, de services et une explosion du travail informel. L’explosion de l’offre de ces marchés informels souligne l’hégémonie de la mondialisation, puisque ces emplois informels sont, en quelque sorte, au cœur même de la réorganisation néolibérale du travail. Ce paradigme internationalisé de la division sexuelle du travail émet un créneau patriarcal selon lequel les hommes seraient « en armes » (militaires de toutes sortes, mercenaires, gardiens, vigiles, etc.) et les femmes seraient « de service » (prostituées et domestiques). Effectivement, en s’inscrivant dans ces divisions sexuelles, Geneviève Pruvost s’est prononcée au sujet de la féminisation de la police, mentionnant le fait qu’une femme n’est pas « un[e] policier[e] » à part entière. Curieusement, dans le contexte du G7 de Charlevoix, les femmes policières davantage mises de l’avant étaient celles qui interagissaient avec la communauté ou ayant elles-mêmes déjà œuvré dans le milieu communautaire. Un « vrai » policier est soit un homme, soit une femme + un homme, mais jamais une femme + une femme, faisant en sorte que deux femmes ne font pas un policier (Pruvost 2007).
À notre sens, problématiser la division sexuelle du travail répond à une double nécessité en lien avec le dernier G7 : d’une part, celle d’intégrer le travail ménager non salarié dans la définition du travail; d’autre part, d’expliquer sociologiquement les rapports dissymétriques des hommes et des femmes au travail domestique et salarié. En dénaturalisant la division sexuelle du travail, il nous est possible de remarquer des rapports sociaux de sexe, ces derniers étant définis comme des rapports de forces (classes sociales, classes de sexe), de pouvoir, etc. La division sexuelle du travail permettrait, par ailleurs de faire apparaître la fonctionnalité (pour les dominants) du déni que les femmes soient productrices de richesses économiques, les reléguant à un statut de citoyennes de seconde zone et, puisqu’elles sont assignées à la sphère du privé, de ne reconnaître pour seule « valeur » de leur travail reproductif que celle de son utilité sociale (Galerand et Kergoat 2013).
L’implication genrée de la mondialisation
Un contexte dans lequel des enjeux internationaux se trouvent à donner le ton à une communauté locale peut également donner place au Local feminism, cadre selon lequel les théories des mouvements de femmes sont recueillies à partir de leurs pratiques concrètes et la diversité de leurs discours, afin de repenser le développement « de l’intérieur ». Cette perspective théorique s’applique, à notre sens, à la forme de féminisme local prenant place en région éloignée, considérant que les organisations féminines locales s’appuient sur les organisations féminines internationales de social welfare, dans leur ligne de pensée, leurs discours et orientations. Les organisations locales se retrouvent donc à embrasser des problématiques plus nombreuses, notamment par les voies du cyberespace. Est-ce que les recommandations proposées par le Conseil consultatif sur l’égalité des sexes permettraient de faciliter les grands objectifs déterminés par les comités du G7, même à l’échelle locale? Nous nous posons la question suivante, puisque nous croyons que bien souvent, certaines femmes ou groupes de femmes ne sont pas considérés dans l’équation. Cela s’applique notamment d’autant plus aux femmes œuvrant dans des sphères de travail précaire, lesquelles reposent bien souvent sur une division sexuelle des tâches. Cette logique « d’aide » et « de soutien financier » injectés dans l’économie, afin de « garantir » sa bonne croissance, s’inscrit dans un créneau encore axé sur une forme patriarcale de développement capitaliste. À notre sens, il ne s’agit pas de la voie à emprunter pour soutenir à long terme les femmes détenant des emplois saisonniers, précaires et souvent domestiques, telles que les femmes qui sont engluées dans la réalité régionale de Charlevoix, devant d’autant plus faire face à un taux de chômage qui est non seulement élevé, mais aussi cyclique.
Selon Ester Boserup, cette volonté de soutenir ces femmes de façon à les intégrer dans l’économie s’inscrit dans un féminisme occidental, une sorte de paradigme de « développement » qui repose sur des effets bénéfiques en cascades (trickle down effects). En résumé, il s’agit d’une équation d’effets qui finissent par atteindre les femmes : « incorporation des femmes dans l’industrie = efficacité accrue des dispositifs économiques = développement ». Or, cette équation construite sur des bases de « processus industriel » ignore souvent les réalités vécues par les femmes à l’échelle locale. Justement, « l’émancipation » ne repose pas uniquement sur le travail salarié ou l’appui au moyen d’un support financier ou l’injection de fonds – ceci débouchant bien souvent sur une massification de l’emploi féminin dans certaines industries. Effectivement, une stratégie qui reposerait uniquement sur cette équation s’appuierait sur la conversion d’emplois industriels en emplois dits « flexibles » et mal payés, caractéristiques des postes et emplois occupés par plusieurs femmes en région. Ainsi, l’industrialisation produit un double effet : certaines femmes sont chassées de leurs activités traditionnelles, d’autres se reconvertissent dans la petite production industrielle basée à domicile, ou bien travaillent comme sous-traitantes, et d’autres intègrent l’emploi salarié (Degavre 2011).
Tel qu’avancé plus tôt, les rapports sociaux basés sur le sexe ne s’arrêtent pas à la porte du foyer, ils organisent aussi le marché du travail dans son ensemble, également au sein des marchés régionaux. Les rapports sociaux de sexe et de classe, auxquels il faut ajouter les enjeux intersectionnels, notamment les rapports sociaux de « race » (Blancs par rapport à groupes racisés), sont coextensifs et organisent ensemble toutes les sphères d’activités. Ce faisant, ils se modulent les uns aux autres, se recomposent, se réorganisent mutuellement et de manière réciproque.
Les travailleuses saisonnières et le trou noir de Charlevoix
Avec la venue du G7, la région de Charlevoix a connu son lot de rapports incongrus dans la division sexuelle du travail domestique et salarié. À cet effet, des dizaines de travailleuses et de travailleurs saisonniers de la région se retrouvent année après année sans revenu et sans emploi pendant une période pouvant atteindre 20 semaines. Depuis la mise en place de la réforme de l’assurance-emploi, les travailleurs saisonniers de la région ont vu leur situation s’empirer (Radio-Canada, janvier 2018). Le trou noir de Charlevoix correspond à la période transitoire entre laquelle les gens cessent de recevoir de l’assurance-emploi et la reprise du travail estival. Les travailleuses et travailleurs n’arrivent plus à obtenir le nombre d’heures nécessaires afin de cumuler suffisamment de semaines de prestation pour obtenir un revenu jusqu’à la prochaine saison estivale. Les exigences de l’assurance-emploi augmentant sans cesse, les gens travaillent pendant l’été, mais pas assez pour bénéficier de prestations de l’assurance-emploi jusqu’à ce que leur travail reprenne.
Les travailleuses et travailleurs saisonniers doivent donc surmonter année après année ce problème récurrent. Or, puisque la région roule beaucoup sur l’industrie du tourisme et que beaucoup d’emplois ne sont que saisonniers, nous constatons que ce sont généralement les femmes occupant des emplois précaires et à faibles revenus qui se retrouvent davantage touchées par les conséquences engendrées par le trou noir. Qui plus est, l’avènement du dernier G7 a accentué de plus bel le fossé du chômage. Effectivement, plusieurs femmes de chambre de différentes auberges se sont retrouvées sans travail, étant donné que de nombreux établissement d’hébergement affichaient complets, mais n’étaient pas totalement occupés, voire inoccupés (Tremblay, juin 2018). En parcourant la page Facebook du quotidien Le Charlevoisien, il était clairement palpable que les commentaires de certaines femmes laissaient présager que le phénomène des « chambres inoccupées » allait occasionner une baisse de revenus considérable pour plusieurs travailleuses saisonnières. Cela est dû au fait qu’avant la tenue du G7, la présidence canadienne avait « réservé » la quasi-totalité des chambres disponibles dans la région en vue d’accueillir des membres du gouvernement canadien, sous-contractants et d’autres personnes actives dans la logistique ou l’organisation. Autre fait important, même dans le cas où toutes les chambres étaient bien occupées, certaines femmes de chambre ne pouvaient travailler à proportion de l’occupation puisqu’elles se voyaient refuser l’accès aux chambres par les policiers de la GRC et de la SQ, et ce, pendant plusieurs jours. Les conséquences sur le nombre d’heures travaillées nécessaire pour l’assurance-emploi se faisant alors sentir directement, nombre d’entre elles entreprenant la saison avec un retard substantiel, qui leur semblait déjà difficile à combler.
Dans l’ensemble, nous constatons que cela découle d’une décision top down, alignée sur une structure genrée, enlevant toute considération intersectionnelle et laissant très peu de place à la négociation avec les populations sujettes à être davantage touchées. En parcourant quelques pages Facebook locales, dont celle du journal Le Charlevoisien, certaines personnes demeurent persuadées du fait que les compensations aux pertes occasionnées, promesse du gouvernement avant la tenue du sommet, n’étaient en fait qu’une pilule facile à faire avaler aux habitantes et habitants locaux. Qu’il y ait compensation ou non, nous croyons que les propriétaires seront davantage ceux qui pourront en bénéficier plutôt que les travailleuses précaires, déjà forcées de surmonter une période de chômage prolongée. Effectivement, nous croyons que des rapports incongrus subsistent dans la division sexuelle du travail domestique et salarié dans le cas des femmes de chambre. En appliquant une lunette analytique intersectionnelle, nous pouvons également ajouter le fait que ces femmes de chambre, comme le nom l’indique, occupent des postes sensiblement tenus par des femmes, bien souvent racisées et qui pratiquent un travail domestique ou ménager peu reconnu et sous-rémunéré. Dans le cas du Manoir Richelieu à lui seul, il est à noter que près de 30 % de la main-d’œuvre vient de l’extérieur du Pays (Boulianne 2018). Par conséquent, ce sont surtout les femmes occupant des emplois saisonniers qui se retrouvent directement touchées par les effets du trou noir prolongé par le G7 (Lessard-Mercier 2015). Les personnes touchées par le phénomène doivent donc composer avec des taux d’endettement importants et une hausse flagrante des problèmes sociaux qui l’accompagnent.
Organismes communautaires et travail informel
Plusieurs personnes qui se retrouvent enlisées dans le phénomène du trou noir comptent souvent sur les organismes communautaires, dont les banques alimentaires, afin de leur venir en aide. Toutefois, plusieurs organismes communautaires de Charlevoix ont dû fermer leurs portes pendant quelques jours à cause du sommet du G7, semant le mécontentement des citoyens dans le besoin. Les restrictions de circulation sur les routes, étant donné la présence accrue de policiers, ont forcé la fermeture du Centre communautaire de Charlevoix les 7 et 8 juin, empêchant du même coup les employé.e.s de plusieurs groupes d’accéder à leurs bureaux et d’offrir des services (Robichaud 2018). D’après notre lecture de la situation, la plupart des prestataires de services communautaires de même que les employé.e.s demeurent en grande majorité des femmes. L’interruption de service a créé des effets négatifs autant sur la population bénéficiaire de services communautaires que sur les intervenant.e.s. Selon les propos de madame Renée-Claude Laroche du Centre de prévention de suicide de Charlevoix, le mot d’ordre fut donné de ne pas planifier de rendez-vous de suivi face à face avec les client.e.s, en prévision des déplacements difficiles.
Le Centre Femmes aux Plurielles ferma également ses portes les 7 et 8 juin 2018. La porte-parole Anne-Marie Leroux déplore que le G7 a perturbé non seulement l’accès aux services communautaires, mais également l’accès à d’autres services de base : « Ça ressemble à une prison ici. Les accès sont barrés, la circulation est réduite. Essayez d’avoir un rendez-vous chez le dentiste ou pour réparer un pare-brise. C’est impossible », déclare-t-elle à l’époque. Les clientèles vulnérables en paient encore le prix, d’autant plus que certaines pourraient vivre des moments beaucoup plus anxiogènes à cause de la forte présence policière. De fait, la population déjà marginalisée dû à différentes avenues et vecteurs intersectionnels de précarité, soit le sexe, le genre, la situation économique, la race, la situation maritale ou familiale, etc. devient à nouveau celle qui en subit les conséquences.
Dans un autre ordre d’idées, la division sexuelle du travail est également perceptible dans le travail du sexe. À quelques heures du Grand Prix du Canada, qui eut lieu à Montréal le 10 juin 2018, la demande pour ces formes de services informels connut un glissement jusque dans la région de Charlevoix, alors que certains proxénètes crurent y faire de bonnes affaires. En effet, l’exploitation sexuelle s’invita au G7, le nombre d’offres pour des services sexuels ayant également presque doublé depuis le mois de mai pour Montréal et Québec. Une affluence de travailleuses du sexe en provenance des grands centres et des États-Unis fut notamment perceptible dans la région de Charlevoix. Un nouveau logiciel à la fine pointe de la technologie aurait permis de répertorier toutes les annonces de services sexuels sur le Internet telles que des demandes pour des salons de massage et des prostituées, offrant même un « spécial G7 » et, de façon pitoyable, une réponse à la forte demande pour de jeunes filles mineures… (Néron, 98,5 FM, 2018). Encore une fois, ce sont les femmes marginalisées et étreintes dans des rapports de pouvoirs établis par les réseaux de proxénètes qui subissent des conséquences directes et locales des effets globalisés du G7.
Femmes, sécurité et division sexuelle du travail
Afin d’assurer la sécurité entourant les déploiements du G7 de Charlevoix, un Groupe intégré de sécurité (GIS) a été mis sur pied. Ce groupe était notamment composé de différents corps policiers et des membres des Forces armées canadiennes. Une équipe de relations communautaires y prenait également place. Elle était composée de deux policières de la Sûreté du Québec (SQ) de la région de Charlevoix-Est et de deux autres agentes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Cette équipe s’est installée à la Malbaie en septembre 2017 et est devenue la courroie de transmission entre la population et le GIS. Les policières se rendaient à la rencontre des citoyens de La Malbaie pour répondre aux nombreuses questions concernant la sécurité en prévision de cet événement d’envergure, causant appréhensions et inquiétudes. Les agentes étaient accessibles en personne, par téléphone ou par courriel. Chaque semaine, elles colligeaient les questions des citoyens et les transmettaient aux responsables de la sécurité – les réponses arrivaient généralement une semaine plus tard. En entrevue avec Radio-Canada, l’une des agentes communautaires et policière de la SQ, Laurie Bergeron, affirmait qu’il n’y avait pas que les adultes qui se posaient des questions sur le G7 : « Les enfants voient ce qui se passe. Ils comprennent, on en parle dans les médias du G7, dans les journaux, dans les sorties. Ils peuvent voir des logos et ils nous voient les policiers du GIS partout. Donc, ça suscite des questionnements. »
Les agentes ont également rencontré les élèves des écoles de la région pour les rassurer et leur expliquer à quoi ils devaient s’attendre pour le mois de juin alors que l’action allait devenir palpable dans leur région. Le rôle des agentes était aussi d’effectuer des mises au point, de clarifier certaines rumeurs. Anne Marcotte, policière à la GRC, a raconté en entrevue à Radio-Canada qu’une résidente de La Malbaie lui avait demandé d’expliquer la délimitation de la « zone orange ». Elle a dû bien préciser à la dame que la zone orange dont la population parlait était probablement la « zone sécurisée ». Autre fait intéressant, Anne Marcotte, du GIS, a déclaré lors d’une conférence donnée dans le cadre de l’école d’été du CERIUM, « G7 en immersion », qu’elle a tenu à travailler comme bénévole au Centre Femmes aux Plurielles, ce même centre qui a dû fermer ses portes les 7 et 8 juin 2018. Vrai souci de participation ou entrisme stratégique (sachant que l’une de ses membres était la représentante du REPAC dans Charlevoix, l’organisme qui a organisé la résistance locale au G7…) (Marcotte 2018)?
Comme nous y avons fait référence un peu plus tôt, la division sexuelle du travail prend également part au sein des métiers, d’ordinaire « masculinisés » comme ceux entourant les enjeux de sécurité, dont la police et les forces armées. En effet, dans le cas de l’équipe de relations communautaires du GIS, nous avons pu remarquer que cette dernière était constituée de femmes uniquement. Ces agentes détenaient un rôle renvoyant à la sphère du milieu communautaire, milieu qui emploie majoritairement des femmes. La tâche d’agente communautaire représente effectivement un rôle venant mettre en lumière la sphère domestique dans laquelle la femme est recluse, si l’on considère une division genrée et sexuelle du travail. Les quatre agentes communautaires remplissaient effectivement des tâches en parallèle avec une certaine forme de maternité : l’agente se voulait rassurante (relatant l’apaisement de la maternité), tant auprès des adultes que des enfants, jouait le rôle d’éducatrice, de communicatrice et bien entendu, devenait éloignée de toute forme de violence, bien que les quatre agentes portaient visiblement leur arme de service en tout temps. Pendant ce temps, se sentaient-elles autant policières que leurs homologues au front? Probablement qu’elles nous répondraient de façon affirmative, mais à quel point leurs homologues masculins en seraient-ils convaincus?
Selon les théories de Geneviève Pruvost, avancées un peu plus tôt, une femme policière + une femme policière ne feraient pas un policier à part entière – venant destituer quelque peu la fonction occupée par ces agentes, renvoyant à la matriarche, au rôle maternel et rassurant de travailleuse du secteur communautaire. Cette équipe particulière de policières, mise en place à l’échelle locale pour le G7 de Charlevoix, nous laisse présager une division sexuelle du travail accentuée qui fut vécue par ces agentes et ce, pendant plusieurs mois. En effet, ce rôle d’agente communautaire réitère certains traits féminins genrés qui maintiennent les femmes hors du modèle de chasseuse de criminels, leur infligeant plutôt le carcan de la police communautaire. Peut-être que les femmes sont plus à l’aise dans ces tâches policières particulières, vu l’analogie qui les relaie facilement au rôle de médiatrice (Rabe-Hemp 2009). Clairement, les agentes semblaient apprécier leur affectation dans la magnifique région de Charlevoix, et loin de nous l’idée de dévaloriser le genre de rôle qui leur fut confié. Il s’agit plutôt de cerner les productions et reproductions, venant accentuer ou non la division sexuelle du travail et ses effets sur le plan local. Ici, les agentes entretenaient des interactions au sein même des municipalités touchées par le G7. Toutefois, cela n’écarte pas une répétition de cette division genrée des tâches dans les milieux policiers à l’échelle globale, remaniant le stéréotype des « femmes de service » contrairement à leurs homologues masculins qui sont « en armes ». Cette sous-culture des femmes policières vient certainement renforcer cette conformité sous-jacente aux rôles stéréotypés féminins.
Les propriétaires d’entreprises locales
Charlevoix étant avant tout une région touristique, les emplois gravitent essentiellement autour de trois secteurs d’activités : l’hébergement et la restauration (21,4 %), les soins de santé et l’assistance sociale (16,9 %), ainsi que le commerce de gros et de détail (13,4 %). Les emplois relevant du secteur de la restauration, de loin le plus important, se trouvent être plus souvent occupés par des femmes que des hommes, par exemple lorsqu’il est question d’employé.e.s de bar ou de restaurant. Une des explications possibles réside peut-être dans le faible taux de diplomation qui tend à persister. En effet, les femmes de la région sont moins diplômées que les hommes et occupent davantage des emplois précaires, à faibles revenus (Emploi-Québec 2010).
À l’occasion du G7 de Charlevoix, l’information transmise aux restaurateurs et aux aubergistes semble avoir été quelque peu « moussée », laissant présager une affluence de clients particulièrement importante. Dans un article du Devoir publié en juin dernier, Audrey Gagnon, propriétaire de La Gaufré-Folie, affirmait qu’elle n’avait « pas de monde » et était presque « en crise financière » : « Si je me fie à mes chiffres de l’année passée, j’avais au moins trois fois le revenu que j’ai là ». Même son de cloche pour Nancy Giguère, autre propriétaire de la région (Porter, juin 2018). De fait, les propriétaires d’auberges et de gîtes (bien souvent des femmes), ont reçu le mot d’ordre d’afficher complet en prévision de l’arrivée de membres du gouvernement, de la police ou d’autres personnes associées au G7 qui auraient dû occuper ces chambres. Or, tel que mentionné plus tôt, plusieurs auberges se sont retrouvées inoccupées, surtout dans la région de Baie-Saint-Paul, créant des conséquences directes sur les heures de travail des employés.e.s de soutien, notamment les femmes de chambre.
Du même coup, la puce de cette affluence soudaine et prometteuse avait été aussi mise à l’oreille des propriétaires de restaurants. Ces derniers crurent bon d’engager des serveuses en surplus pour répondre à la demande supplémentaire sur le plancher. Les propriétaires affirment que l’événement leur aurait été vendu comme quoi « ce serait big ». Or, l’affluence ne fut pas plus importante pendant la durée du G7, les restaurants restant quasi-déserts, notamment à Baie-Saint-Paul. De fait, les employé.e.s de bar et de restaurants engagé.e.s pour l’événement se sont pour la plupart retrouvé.e.s sans emploi, puisque les propriétaires n’avaient pas d’heures à offrir. À présent, les propriétaires de restaurants songent même à demander un dédommagement pour combler les pertes occasionnées lors du G7 (Robichaud, 9 juin 2018).
Clairement, une certaine grogne se faisait sentir et entendre, tant dans les commerces et restaurants de Baie-Saint-Paul que sur Internet. Une dame propriétaire d’un restaurant aux abords des rives du fleuve, longeant la route entre Baie-Saint-Paul et La Malbaie, aurait aimé avoir l’heure juste avant le début du G7. Elle aurait aimé être avertie puisqu’au final, la plupart des chambres de son petit motel se sont aussi retrouvées inoccupées. Elle aurait également apprécié obtenir plus de détails, surtout « pour la nourriture », constatant que plusieurs aliments de son restaurant se sont retrouvés périmés, après coup.
Sur Internet, la propriétaire d’un gîte de La Malbaie a cru bon partager ses observations sur Facebook, à la manière de chroniques, en créant même mot-clic #ChroniqueduG7 pour l’occasion. En parcourant ces chroniques, surtout les commentaires sous les différentes publications, il est possible de constater une certaine ironie véhiculée et ressentie autant par la population locale que par les spectateurs extérieurs à l’événement. Clairement, les mesures de sécurité relatives au Sommet sont venues chambouler le bon déroulement des activités des femmes propriétaires d’auberges et de gîtes. Charlevoix n’est pas une région pourvue de grands hôtels, mis à part le Manoir Richelieu et Le Germain à Baie Saint-Paul, bien évidemment. Les femmes propriétaires d’auberges ou de gîtes convertissent souvent leur maison privée en hébergement. À l’occasion du Sommet, il est facilement perceptible de constater sur les pages Facebook publiques que ces femmes propriétaires se sentaient recluses et certainement confinées à domicile. Elles se questionnent à savoir si leur gîte, selon son emplacement, sa situation géographique dans l’une ou l’autre des zones sécurisées, fera en sorte qu’elles seront dédommagées pour les pertes encourues. En plus de cette source de stress financier, blocs de béton, accréditations, clôtures et présence policière accrue rendaient aussi les déplacements très difficiles – créant même des embouteillages de circulation. Les parades de Suburban n’ont certainement pas aidé à la cause. En vain, avec leur accréditation au cou, les gens étaient supposés se sentir un peu plus « libres ».
Conclusion
Cet article doit être considéré à la fois comme un préambule et une invitation à l’étude des rapports qui naissent à l’issue de la rencontre entre l’organisation d’un évènement mondial comme le G7, et les réalités locales des femmes vivant dans une région reculée, comme celle de Charlevoix. Faute de temps et de moyens logistiques, nous n’avons pu mener des entretiens, qui nous auraient permis de voir encore un peu plus en situation et en nuance les contrecoups circonstanciés d’une telle rencontre.
La recherche fut basée sur des éléments (articles ou commentaires) publiés dans l’espace public. Il est à noter que, même seulement quelques semaines après la tenue du Sommet, plusieurs sources d’information importantes n’étaient plus disponibles en ligne, notamment la page Web que la GRC avait mise sur pied pour diffuser de l’information concernant le GIS. Avant tout, il s’agit d’une analyse de contenu qualitatif permettant d’avoir une réflexion sur les réalités vécues dans la région. Enfin, quoi qu’il en soit, la diversité des discours véhiculés par les femmes ayant été touchées et le ton employé dans le cyberespace font certainement preuve d’une forme d’action collective qui, dans ce contexte, s’apparente au Local feminism, notamment pour celles étant venues soutenir les femmes de chambres ou restauratrices ayant subi les conséquences directes du G7. Les femmes détenant des emplois précaires et devant gérer le prolongement du trou noir avec la tenue du Sommet prennent une part importante du lot de conséquences accompagnant un tel événement. Il s’agit d’une réalité peu connue et qui, bien souvent, est passée sous silence tant dans les médias traditionnels que sur la place publique.
Biographie
Kary-Anne Poirier poursuit présentement sa maîtrise en science politique à l’Université de Montréal. Dans le cadre de sa recherche, elle s’intéresse particulièrement à la carrière et aux postes qu’occupent les femmes au sein des Forces armées canadiennes.
Références
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