Par Anatoly Orlovsky
Avec les mots intercalés de Hélène Matte, Stève Michelin, Anatoly Orlovsky et Claudine Vézina
HAMLET :
Le poêle fume dans cet octobre mouvementé
A BAD COLD HE HAD OF IT JUST THE WORST TIME JUST THE WORST TIME OF THE YEAR FOR A REVOLUTION
– Et la lyre dans son amplitude thermique…
À travers les banlieues passe le ciment en fleurs
Le docteur Jivago pleure
Ses loups
– Mille abrasifs délicats…
EN HIVER PARFOIS ILS VENAIENT AU VILLAGE
DÉCHIQUETAIENT UN PAYSAN
dépose masque et costume.
INTERPRÈTE D’HAMLET :
Je ne suis pas Hamlet. Je ne joue plus de rôle…
Je rentre à la maison et tue le temps ne faisant qu’un
Avec mon moi non divisé
– debout sur la crête des palais commerciaux
une crevasse à l’envers
Télévision La nausée quotidienne Nausée
Du verbiage apprêté De la bonne humeur prescrite
Comment écrit-on CONFORT
– Humeur de gestes apatrides
– En terre adolescente
orogenèse de pleurs
Donne-nous aujourd’hui notre meurtre quotidien
Car de toi vient le néant Nausée
– vertige aimanté
Des mensonges auxquels croient
Les menteurs et personne d’autre Nausée
– poussière d’usine ou éclat
Des mensonges auxquels on croit Nausée
– debout sur ce sourire
– Un sceptre valse
Jette à mes pieds
Des minutes des secondes échues
– Des machines pieuses à vomir,
Optimiser, sceller la viande
Des pères, Macbeth en conserve
Des visages de faiseurs marqués
Par la lutte pour les postes voix comptes en banque
– l’homme debout sur deux mains
Nausée Un char à faux qui étincelle de ses pointes
Je traverse rue magasins visages
– goinfre d’écran et de route…
étirant jusqu’à plus soif
Avec les cicatrices de la bataille de la consommation Pauvreté
Sans dignité Pauvreté sans la dignité
– Folie Mage Contractions
Spectre avare Sa Nausée
– D’intraveineux soleils
Tes vieilles lèvres agonisent
Autodafé silence
Du couteau du poing américain du poing
Les corps humiliés des femmes
Espoir des générations Étouffés dans sang lâcheté stupidité
Rires sortant de ventres morts
– Les yeux pleins la neige
Heil COCA COLA
Un royaume
Pour un assassin
– Humant les pluies sanguines.
J’ÉTAIS MACBETH LE ROI M’AVAIT PROPOSÉ SA TROISIÈME CONCUBINE JE CONNAISSAIS CHAQUE GRAIN DE BEAUTÉ SUR SA HANCHE RASKOLNIKOV SUR LE CŒUR SOUS L’UNIQUE VESTE LA HACHE POUR
L’UNIQUE CRÂNE DE L’USURIÈRE
Dans la solitude des aéroports
Je respire
– Pour faire chanter les pierres
Je suis
Un privilégié Ma nausée
Est un privilège
Protégé par mur
Fil de fer barbelé prison
Photographie de l’auteur
Je ne veux plus manger boire respirer aimer une femme un homme un enfant un animal. Je ne veux plus mourir. Je ne veux plus tuer.
Mise en pièces de la photographie de l’auteur
– Préférablement
L’hiver
Je déchire par effraction ma viande scellée
– persienne d’innocence.
– Restent les écrous
… ou la bougie qui ferroie ton ombre
***
Heiner Müller (1929-1995) fut un poète, dramaturge et directeur de théâtre est-allemand, dont l’œuvre scénique établit ce que l’auteur qualifia de « dialogue avec les morts », tels Sophocle, Euripide et Shakespeare. Censuré en République Démocratique d’Allemagne dès le début des années 1960, Müller participa activement en 1989 aux manifestations populaires réclamant la chute du Mur (ce synopsis est basé en partie sur l’article Wikipédia au https://fr.wikipedia.org/wiki/Heiner_M%C3%BCller; page consultée le 17 septembre 2018).
Écrite en 1977, la pièce Hamlet-machine est une œuvre phare du théâtre critique (post)moderniste, s’ouvrant sur ces propos devenus notoires : « J’étais Hamlet. Je me tenais sur le rivage et je parlais avec le ressac BLABLA, dans le dos les ruines de l’Europe » (voir référence ci-dessus à Wikipédia). Selon le metteur en scène Clyde Chabot, « Hamlet-machine de Heiner Müller est un texte limite par sa forme chaotique et condensée. Il sonde la crise de l’individu après la chute des idéologies et la fin du communisme » (en ligne :
http://www.inavouable.net/blog/wp-content/uploads/2011/04/REGISTRE_2005.pdf; page consultée le 17 septembre 2018).
Stève Michelin, poète Longueuillois, récemment publié en France et au Québec. « Je dirais de moi-même, comme le dit Nathalie Nothomb d’elle-même, que c’est le manque du pays natal qui me forge… Né à Sedan (France) près de Charleville la ville de Rimbaud, là où je prenais le train pour aller retrouver ma grand-mère, j’ai grandi en Mauricie (Québec) partageant les ruelles, les bois, les sports de la région. Pianiste compositeur de musique contemporaine, homme de foi donc du vivace de la nature (voilure de l’invisible), je suis le citoyen mitoyen des frontières poreuses ».
Hélène Matte est une poète issue des arts visuels qui dit, une artiste plasticienne qui écrit. Par sa démarche, elle interroge particulièrement le dessin et la poésie en tant qu’acte de présence. Auteure de nombreux articles sur l’art, organisatrice d’évènements culturels, sa pratique est interdisciplinaire. Elle compte à son actif plusieurs expositions de dessins et des performances en Europe, au Canada et ailleurs en Amériques.
Après l’obtention de sa maîtrise en littérature, dans une galaxie lointaine, Claudine Vézina devient accompagnante professionnelle : elle accompagne les lecteurs dans leur temps libre avec ses romans; elle accompagne des étudiants dans leurs dissertations et leurs oraux; elle accompagne à la naissance des femmes et des couples; elle accompagne parfois ses textes de musique et vice versa.
Poète, compositeur et photographe, Anatoly Orlovsky cultive ses sons-sens-images assemblés en hybrides (é)mouvants tendant à rendre commune et tonique une part de l’inextinguible en nous. Anatoly, qui se produit régulièrement à Montréal, a enregistré quatre disques compacts, tout en exposant depuis 2002 ses photographies remarquées par La Presse, la revue Vie des Arts et Ici Radio-Canada.
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Note
Citations de (Müller, 1979) : tout le texte en romain, ainsi que les didascalies en italique, non précédées d’un tiret. Tous droits réservés par ©Les Éditions de Minuit.
Les interpolations des 4 poètes sont en italique et précédées d’un tiret (-) au début de chaque groupe de vers.
Citations de (Michelin, 2017), avec la permission de l’auteur :
– Et la lyre dans son amplitude thermique…
– Mille abrasifs délicats…
– Les yeux pleins la neige
– Humant les pluies sanguines
– Pour faire chanter les pierres
– persienne d’innocence
Citations de (Matte, 2017), extraites du poème « debout », avec la permission de l’autrice :
– debout sur la crête des palais commerciaux / une crevasse à l’envers
– vertige aimanté
– poussière d’usine ou éclat
– debout sur ce sourire
– l’homme debout sur deux mains
– goinfre d’écran et de route… / étirant jusqu’à plus soif
Les autres vers interpolés, tous inédits, sont de Claudine Vézina ou Anatoly Orlovsky.
Références
Muller, Heiner. 1979. « Hamlet-machine ». Paris: ©Les Éditions de Minuit. Titre en ligne :http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Hamlet_machine-1721-1-1-0-1.html (page consultée le 17 septembre 2018). Copyright © 1979, 1985 (nouvelle édition augmentée). ISBN : 9782707310330.
Michelin, Stève. 2017. « Comment retenir un Dieu qui passe… ». Nantes: ©Éditions de Petit Véhicule, Collection « La galerie de l’or du temps ».
Matte, Hélène. 2017. En ligne : http://www.toutacouplapoesie.ca/portrait-helenematte (page consultée le 17 septembre 2018).