Par Catherine Caron
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Le Forum social mondial (FSM), m’a-t-on dit, c’est bien plus qu’un évènement; c’est un processus, un mouvement. En fait, j’ai pu découvrir que le simple fait de comprendre ce qu’est un FSM est une démarche en soi.
Découvrir le concept du FSM, c’est presque se faire happer par un train : des dizaines de milliers de personnes, une gestion horizontale, des centaines d’ateliers et d’activités en simultané, une multitude de thématiques, des citoyens venus de dizaines de pays, des présentateurs-participants et des participants-présentateurs, des salles de conférence un peu partout en ville, des marches, des kiosques, des performances artistiques… En quoi l’évènement consiste-t-il? La réponse est floue, mais assurément plurielle.
Apprivoiser le concept du FSM, c’est presqu’apprendre une nouvelle langue, tant je suis bombardée de mots inconnus. Je fais face à une mouvance qui a son propre champ lexical : espace ouvert, non-directivité, autogestion, assemblées de convergence, forums par extension, forums parallèles, agora des initiatives… Quelle forme prendra la programmation? La réponse est floue, mais assurément plurielle.
En apprendre sur les racines des FSM, c’est presque se perdre dans un labyrinthe idéologique. Les dédales de l’altermondialisme sont aussi vastes que la diversité de ses acteurs et surtout de ses revendications : justice sociale, justice économique, autonomisation et autodétermination des peuples, démocratie, paix, patriarcat, environnement, droits humains, droits des travailleurs, décolonisation, etc. Quels seront les enjeux au cœur des débats? La réponse est floue… mais assurément plurielle.
Conséquemment, se préparer à un FSM ne peut être qu’un paradoxe : on se prépare à l’imprévisible. Inévitablement, on ne planifie pas notre passage au Forum social mondial comme on le fait pour un congrès ordinaire. Comment se préparer à ne pas être prête? Je n’en ai pas la moindre idée, mais je me lance!
La préparation : le Collectif québécois de la société civile
Il est inconcevable de vivre de façon individuelle un événement rassemblant des dizaines de milliers de personnes. Au Québec, depuis 10 ans, nous avons la chance d’avoir le Collectif québécois de la société civile qui offre un espace pour rassembler les Québécoises et Québécois désirant participer aux grands évènements mondiaux comme le FSM. Le Collectif nous met en réseau avant le départ via six journées de formation, nous accompagne durant l’évènement, et surtout, nous invite à unir nos actions citoyennes au retour.
Fidèles à l’esprit du FSM, les formations pré-départ du Collectif ciblent l’échange d’expériences et la reconnaissance mutuelle des instances participantes. Ainsi, la discussion et l’apprentissage par les pairs est au cœur de la structure de nos rencontres : plusieurs participants prennent également le rôle de formateur sur une thématique qui les anime.
Par ailleurs, le Collectif québécois de la société civile honore également l’esprit du FSM en respectant le pluralisme et la diversité des causes et des enjeux. Nos formations pré-départ partent de l’hypothèse selon laquelle le cerveau doit s’oxygéner d’enjeux sociaux variés et en apparence déconnectés (changements climatiques, racisme systémique, luttes autochtones, engagement jeunesse, droit du travail, etc.) pour être en mesure de faire de liens nouveaux, de s’ouvrir à des rencontres nouvelles, de constater la convergence des luttes. J’ai donc passé six samedis complets en compagnie d’autres citoyens d’ici à passer en revue des problématiques variées, dans le seul but d’acquérir la meilleure posture pour vivre pleinement le FSM.
Ce type de rencontre m’a également permis de déconstruire l’idée classique qu’on se fait généralement de la formation et de l’apprentissage, souvent réduite à la transmission unilatérale d’information selon un curriculum bien ordonné. L’école, les camps de jours, l’université, la formation continue, les congrès, les retraites stratégiques : j’ai rapidement pris conscience que les principaux moments d’apprentissage formels vécus au cours d’une vie nous prédisposent d’une part à l’ordre (l’ordre du jour, le plan de cours) et d’autre part à la hiérarchie (la relation enseignant-élève, instructeur-apprenant). Je m’attends donc à être chamboulée par le FSM, par ses espaces ouverts et sans dirigeants, où les participants sont autonomes et où nombre d’entre eux sont à la fois présentateurs et apprenants.
Ainsi, je pense comprendre qu’il est vain de tenter d’aller au FSM avec un agenda rigide en tête. Je vise plutôt un état d’alerte et d’ouverture global.
Attentes et perceptions : des souhaits pour 2018
Qu’espérer retirer d’un évènement dont on ne connaît à l’avance ni la programmation ni les acteurs? Quelles types d’attentes entretenir envers un rassemblement si gigantesque qui « ne prétend pas être une instance représentative de la société civile mondiale » tout en postulant à la fois être « le plus grand rassemblement de la société civile visant à trouver des solutions aux problèmes de notre temps »? Mes réponses sont à la fois professionnelles et personnelles.
Personnellement, j’espère être capable de me remettre en question, d’avoir une attitude réflexive autant sur le contenu que sur le contenant du FSM. Autrement dit, être apte à revisiter non seulement mes positionnements idéologiques sur divers enjeux altermondialistes, mais aussi revoir mes propres façons d’agir en tant que citoyenne et de véhiculer de l’information sur ces thèmes – par exemple ma façon de communiquer avec les élus, de mobiliser mes pairs, de donner une conférence.
J’espère être capable de profiter autant du formel que de l’informel. Je pense que je ne pourrai maximiser mon séjour qu’en ayant la vivacité d’esprit de percevoir que l’apprentissage se fait autant au cœur d’un panel ou d’une conférence qu’autour d’un kiosque de bouffe de rue ou dans une file d’attente.
J’espère pouvoir bénéficier de la rencontre trop peu fréquente des mondes communautaire et universitaire, pouvoir mélanger les types de savoirs : ancestraux, académiques, littéraires, de terrain, expérientiels, professionnels, etc.
J’espère profiter de la dimension intergénérationnelle du Forum social mondial, de rencontres entre jeunes et moins jeunes. Déjà avant de partir, au sein de notre seule délégation québécoise, je partage mon expérience à la fois avec des gens dans la jeune vingtaine et avec des retraités, une occasion qui s’offre à nous trop rarement.
Professionnellement, en tant qu’agente de mobilisation chez Oxfam-Québec, j’accompagne une délégation de jeunes qui vivront aussi le FSM pour la première fois. J’espère donc les amener à la pêche aux idées, dans l’espoir que nous rencontrions des gens, des activistes et des organismes qui sauront nous inspirer et nous permettre de ramener des propositions innovantes au Canada.
Dans quel but? Influencer la Politique jeunesse du Canada, rien de moins! En effet, le gouvernement fédéral a annoncé le 13 février dernier plusieurs moyens qui permettront aux jeunes Canadiennes et Canadiens de prendre part à l’élaboration de la première politique jeunesse du Canada. Chez Oxfam-Québec, en plus de mener des consultations par et pour les jeunes ici au Québec pour alimenter cette future politique, nous avons pensé permettre à des jeunes d’aller chercher des idées au Brésil en vivant le Forum social mondial.
Ce sera non seulement pour eux une occasion en or d’aller présenter là-bas les constats recueillis lors des consultations menées au Québec, mais aussi une chance unique d’aller nourrir ces réflexions avec celles des mouvements sociaux jeunesse d’Amérique du Sud et d’ailleurs. J’espère que le FSM sera pour eux une occasion d’apprentissage « par les pairs » de niveau international, une possibilité de ramener chez nous les idées créatives de jeunes venus de partout dans le monde. À une époque où les technologies nous donnent l’impression de pouvoir connaître en quelques clics ce qui se fait aux quatre coins de la planète, la délégation jeunesse d’Oxfam et l’ensemble des participants du Collectif font le pari qu’une semaine de discussions entre citoyens du monde sera aussi fertile en idées que plusieurs mois de recherche!
L’approche d’Oxfam est de travailler avec les jeunes en tant que citoyens actifs. Le but est de leur permettre d’utiliser ouvertement, librement et efficacement leur énergie et leurs compétences pour devenir des influenceurs aptes à créer un changement transformateur dans la société et dans la prise de décision qui les concernent. L’approche expérientielle qu’offre le FSM sera, je l’espère, transformatrice pour les jeunes. Elle permet de bâtir un réseau engagé et d’acquérir des compétences et connaissances pour assurer une participation soutenue à long terme.
Les jeunes délégués rédigeront à notre retour un rapport à l’intention du gouvernement, compilant l’essentiel des idées recueillies ici et au FSM, pour la future Politique jeunesse du Canada. Stratégies, actions concrètes, idées de financement, mesures législatives, principes porteurs? Impossible de savoir à l’avance quelle forme prendra le fruit de notre récolte. Mais j’ose croire qu’une Politique jeunesse du Canada qui s’inspire de la convergence des meilleures pratiques mondiales de participation citoyenne jeunesse ne pourra qu’être une politique plus forte et mieux orientée vers l’avenir.
Conclusion
Enfin, dans l’esprit du FSM, j’ai pensé qu’une réflexion individuelle sur mes perceptions ne serait enrichissante que si elle s’accompagne d’un point de vue collaboratif. Je termine donc avec un collage des pensées de mes compatriotes du Collectif québécois de la société civile. Voici leurs réponses personnelles à la question « Qu’est-ce que j’attends du FSM? » :
Un partage des savoirs. Que dans le « Ensemble » réside un univers de possibles… – Sylvain
Faire comprendre à mes enfants (nous y serons en famille) les enjeux internationaux, les conditions de vie dans le monde et les actions que nous pouvons faire ici pour un monde plus juste et équitable. – Stéphanie
Je pars au FSM avec une grande ouverture et peu d’attentes fixes, si ce n’est celle d’absorber le plus de visions du monde possibles afin d’enrichir les pistes de solution pour un monde plus sain, plus humain et plus viable. J’aimerais tout simplement en revenir plus optimiste quant à l’avenir des sociétés, riches de toutes leurs diversités et des liens entre leurs membres qui sont, et c’est ce que je souhaite confirmer lors de cette expérience, nombreux, innovateurs et motivés. – Jessica
Au FSM je souhaite voir vivre des utopies concrètes, combinant esprit d’entreprise et volonté de changer le monde, convictions fortes et ouverture à l’Autre, réussite individuelle et intérêt collectif, capacité de révolte et ancrage dans le réel. #RienDeMoins – Rudy
J’espère que mon expérience au FSM me permettra d’enrichir ma vision des enjeux mondiaux actuels et m’amènera à échanger avec des acteurs qui se trouvent au cœur de grands changements sociaux. J’espère que les différents échanges que j’aurai avec les participants du FSM me permettront de grandir, et ce, tant au niveau personnel que professionnel. J’espère aussi que cette expérience nourrira mon inspiration et m’aidera à développer de nouveaux projets jeunesses uniques au Québec. – Justine
Au FSM, je m’attends à être à la fois confrontée dans mes idées et surprise par l’universalité des enjeux abordés. Dans la vie, mes réflexions se nourrissent de mon intérêt pour les rapports de pouvoir. Ça, il y en a partout dans le monde. Et j’ai bien hâte de découvrir le contexte brésilien qui est, rappelons-nous, en plein bouillonnement.
– Kimberly
Au Forum social mondial, je veux écouter les représentants du monde et partager ma motivation ainsi que mes aspirations. Je veux mieux saisir les problèmes qui affectent les jeunes et la perception de ces derniers en fonction des régions ainsi que d’analyser les actions qui ont apporté du concret. – Dardan
Je souhaite me laisser surprendre, découvrir, écouter, aller à l’encontre d’enjeux que je connais moins et m’alimenter de l’expérience des acteurs sur des enjeux qui font déjà partie de mes luttes quotidiennes. Je souhaite rencontrer des individus avec une multitude de points de vue différents et qui se rejoignent dans leur envie de créer un monde plus juste, plus humain et où la dignité de chacun est prise en compte. Je souhaite aller à la rencontre d’individus de tous les horizons, discuter avec eux, apprendre de leur vécu et me laisser inspirer par leurs réponses individuelles et collectives, leur résistance. Je souhaite ressortir du FSM la tête remplie d’idées, le corps animé d’une nouvelle énergie et outillée pour démarrer ces nouveaux projets et surtout bien entourée (par ces gens que j’aurais la chance de rencontrer lors du FSM) pour les réaliser. Finalement, je souhaite pouvoir témoigner à mon retour de la force qui nous anime collectivement dans nos luttes et nos contextes spécifiques. Je souhaite avoir la chance de poursuivre ces relations qui dépassent les frontières et alimenter cette solidarité internationale à travers nos luttes locales. – Janie
Le FSM n’étant pas en soi un évènement, mais un processus, je m’attends à ce que celui de Salvador soit catalyseur d’une plus grande convergence entre les mouvements en lutte ! – Patrick
How do we move from I to We? – Jennifer
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Catherine Caron est Agente de mobilisation 18-30 ans et grand public chez Oxfam-Québec. Elle fait également partie du Collectif québécois de la société civile qui ira au Forum social mondial à Salvador de Bahia en mars 2018.