Par Geneviève Boisjoly
La planification des transports : plus qu’un enjeu de circulation
Divers groupes de soutien aux immigrants dénonçaient récemment les enjeux d’intégration liés à la possession d’un permis de conduire dans la ville de Québec. La possibilité de se déplacer en voiture était évoquée par de nombreux nouveaux arrivants comme un élément essentiel de leur démarche d’intégration, notamment pour pouvoir se déplacer jusqu’à leur emploi. Cette situation d’actualité illustre bien les enjeux sociaux liés au transport, l’accès à l’emploi n’étant qu’un exemple parmi tant d’autres.
En effet, le transport affecte chacun de nous dans notre vie quotidienne, que ce soit pour aller au travail, à l’école, faire les courses, visiter des amis, assister à des concerts, etc. Pour plusieurs, les options de transport disponibles et abordables ont une influence non négligeable sur la qualité de vie. En effet, ceux-ci déterminent le temps passé en déplacements, l’environnement dans lequel nous nous déplaçons (autobus bondés, trafic automobile, etc.), et aussi, les activités, services et emplois auxquels nous avons accès. En contrepartie, le manque d’options adéquates de transport constitue une barrière importante pour accéder aux destinations de notre choix, ce qui peut augmenter les risques d’exclusion sociale (difficulté à se trouver un emploi par exemple). De plus, un accès limité aux établissements de santé, aux commerces alimentaires de qualité et aux espaces verts peut avoir des répercussions importantes sur la santé.
Ainsi, le transport constitue un moyen de participer à la vie en société et de tirer profit des occasions et possibilités qu’offre la ville. En suivant cette perspective, le transport n’est pas une finalité en soi, et les enjeux qui en découlent vont bien au-delà des questions de congestion et d’état des routes qui font si souvent les manchettes. En fait, la planification des transports englobe nombre d’enjeux de société, de la lutte aux changements climatiques jusqu’au développement économique des villes, en passant par l’intégration sociale.
De la mobilité à l’accessibilité
Bien que le transport touche à une multitude de questions de société, le domaine de la planification des transports s’est développé de façon isolée. L’accent a été mis sur la mobilité, c’est-à-dire la facilité à se déplacer d’un point A à un point B. Les flux de déplacements, les vitesses de déplacement et les déplacements motorisés ont été privilégiés, favorisant ainsi un développement urbain axé sur la voiture.
Les limites d’une telle planification axée sur la mobilité sont de plus en plus visibles : congestion grandissante, dépendance automobile, iniquités sociales liées au transport et émissions polluantes. Au cours des vingt dernières années, la congestion automobile a augmenté de façon significative dans la région de Montréal et ce, malgré les investissements conséquents dans le réseau autoroutier. De façon générale, il a été démontré que l’ajout de nouvelles voies de circulation ne résout pas les problèmes de congestion à long terme. Bien que l’ajout d’une nouvelle voie de circulation réduise la congestion à court terme, celle-ci influencera les habitudes de transport des résidents et favorisera le développement urbain à proximité. Les citadins qui prenaient le transport en commun ou empruntaient un autre chemin pour éviter la congestion retourneront à l’autoroute, où la congestion a été allégée. De plus, le développement de nouveaux quartiers à proximité augmentera le nombre de voitures circulant sur celle-ci. Ainsi, à long terme, la congestion automobile sera de retour.
Outre les enjeux de congestion, le développement urbain axé sur la mobilité a des conséquences économiques, sociales et environnementales importantes. Tout d’abord, un individu n’ayant pas accès à une automobile a une mobilité limitée et ce, dans un contexte où les distances de déplacement augmentent constamment. Cette réalité soulève de grandes questions d’accès au territoire et d’équité sociale. De plus, les résidents vivant à proximité d’axes routiers importants subissent des externalités négatives significatives, notamment relatives à la qualité de l’air ou à la pollution sonore. Enfin, ce type de développement favorise les déplacements motorisés, ce qui compromet les efforts de lutte contre les changements climatiques.
Étant donné l’ensemble des externalités négatives liées aux déplacements automobiles, la planification des transports basée sur la mobilité est grandement remise en question.
La planification axée sur l’accessibilité
Dans le but de répondre aux besoins de la population et d’atteindre des objectifs sociétaux plus larges, de plus en plus de villes se tournent vers une planification axée sur l’accessibilité plutôt que sur la mobilité. La planification axée sur l’accessibilité vise à améliorer la facilité d’accéder aux possibilités et ouvertures urbaines (emplois, services de santé, commerces alimentaires, activités sociales et culturelles, espaces verts, etc.) pour l’ensemble de la population, plutôt que d’augmenter les vitesses de déplacements à tout prix. Pour ce faire, une planification intégrée des transports et de l’aménagement du territoire misant sur une diversité de modes est nécessaire. En effet, la facilité d’accéder à divers services dépend bien sûr des infrastructures de transport, mais aussi de la localisation de ces services et possibilités. En ce qui a trait aux infrastructures de transport en commun et actif (vélo, marche), celles-ci doivent être développées en tenant compte des pôles d’emplois et de services. De la même façon, le développement du territoire doit être réalisé en fonction des systèmes de transport en favorisant, par exemple, les développements à haute densité à proximité des pôles de transport en commun. De plus, le développement de quartiers plus denses, combinant espaces résidentiels et commerciaux, facilitent l’accès aux possibilités par la marche, le vélo et le transport en commun. En contrepartie, le développement de quartiers peu densément peuplés et à majorité résidentiels compromet souvent l’accès aux possibilités au moyen de modes de déplacements collectifs et actifs.
En soutenant une densité urbaine et une mixité des activités (résidentielles, commerciales, institutionnelles, de loisir, etc.), en conjonction avec des infrastructures de transport en commun et actif de haute qualité, les villes peuvent améliorer l’accès aux possibilités par divers modes, et ainsi réduire la dépendance à l’automobile. Conséquemment, les disparités d’accès liées à la possession d’une automobile peuvent être réduites. Dans un même ordre d’idées, la promotion des modes de transport actif et collectif, jumelée à une planification intégrée de l’aménagement du territoire et des transports procurent d’importants bénéfices pour la santé des populations, et réduit les effets néfastes de l’utilisation de l’automobile, tels que la congestion, la pollution de l’air et les accidents de la route.
La planification axée sur l’accessibilité ailleurs dans le monde
De grandes villes à travers le monde ont mis de l’avant une planification axée sur l’accessibilité. Par exemple, la ville de Londres s’est fixé comme objectif central d’améliorer l’accès des résidents à l’emploi en transport en commun afin de soutenir le développement économique de la région. Ainsi, en 2025, Londres prévoit avoir augmenté de près de 25 % le nombre de résidents pouvant se rendre au centre-ville en transport en commun en moins de 45 minutes, tout en ciblant particulièrement les populations à faible revenu. De la même façon, les villes de Sydney, en Australie, et de Baltimore, aux États-Unis, se basent sur l’accessibilité à l’emploi pour déterminer les investissements futurs en transport. Au moyen d’objectifs liés à l’accessibilité, les villes misent sur une diversité de modes et d’outils de planification du territoire pour régler les problèmes liés à la mobilité et élargir les perspectives de la planification des transports.
Dans un contexte d’étalement urbain et de croissance du parc automobile, Montréal aurait fort à gagner à intégrer l’accessibilité dans sa planification des transports. À titre d’exemple, la carte suivante illustre le nombre d’emplois accessibles en moins de 45 minutes en transport en commun dans la région de Montréal (les zones en rouge ont accès à un nombre plus élevé d’emplois). Cette carte démontre les bénéfices, mais aussi les lacunes du réseau de transport en commun dans la région de Montréal. Afin de soutenir le développement économique et d’assurer un accès équitable, l’accent doit être mis sur les zones où l’accessibilité est limitée, en portant une attention particulière aux quartiers défavorisés, où l’accès à d’autres modes de transport peut être plus difficile.
Afin de s’assurer que les systèmes de transports répondent aux besoins de toutes les populations, tout en s’attaquant aux changements climatiques et aux problèmes grandissants liés à la sédentarité, il est impératif que Montréal et l’ensemble des villes québécoises planifient des villes accessibles. Avec la mise en place d’une Autorité Régionale de Transport Métropolitain, le climat est plus que jamais propice à une planification intégrée misant sur l’accès aux destinations et sur les besoins des résidents.
Geneviève Boisjoly est étudiante au doctorat à l’École d’urbanisme de l’Université McGill