Pollution lumineuse : conséquences de l’éclairage artificiel de nuit sur l’intégrité nocturne et la santé humaine

Par Johanne Roby

 

Voir PDF
La splendeur d’un ciel étoilé a toujours fasciné l’être humain. Sa contemplation a été une des sources majeures de l’extraordinaire aventure créative que notre espèce a connue à travers les âges dans les domaines artistique et scientifique. Désigné comme patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, le ciel étoilé est en voie de disparition. Aujourd’hui, dans les pays industrialisés, la majorité de la population n’a jamais vu un ciel étoilé de qualité. Depuis l’avènement de l’électricité il y a ~130 ans, la lumière artificielle de nuit est omniprésente et ne cesse de croître. La disparition du ciel étoilé n’est plus le seul facteur préoccupant, car les preuves des effets de plus en plus inquiétants sur la faune, la flore et la santé humaine s’accumulent dans la littérature scientifique. Cet article expose l’état actuel des connaissances sur ce nouveau type de pollution.

Figure 1. La splendeur de la Voie lactée et du ciel étoilé. Photo prise dans le parc national du Mont Mégantic. En 2007, l’International Dark Sky a reconnu la première réserve internationale de ciel étoilé au Mont-Mégantic (RICEMM), Québec, Canada.Photo : Rémi Boucher

 

 

Figure 2. Image représentant la dégradation de l’intégrité nocturne par la pollution lumineuse et de l’autre, la splendeur de cette dernière. Image : Cake Communication pour Johanne Roby et Martin Aubé. 

 

Qu’est-ce que la pollution lumineuse?

La notion de pollution lumineuse est apparue dans les années 1980. On l’associe intimement à l’industrialisation et à l’expansion de l’urbanisation. La figure no 2 montre d’un côté, la pollution lumineuse due à la lumière artificielle de nuit (LAN) et de l’autre, la beauté de l’intégrité nocturne.

Ce sont les astronomes qui, les premiers, ont rapporté la dégradation rapide de l’environnement nocturne due à la LAN. Depuis, plusieurs groupes se sont joints à eux pour étudier, comprendre, dénoncer et proposer des solutions aux effets néfastes de cette LAN sur l’intégrité nocturne et la santé humaine.

De façon générale, la pollution lumineuse désigne la lumière artificielle qui détériore la qualité du ciel nocturne, qui altère les cycles de la lumière naturelle, ou qui modifie l’intégrité nocturne de l’environnement. Selon l’observateur, sa définition peut varier.

 

Du point de vue de l’astronome

On la désigne par « pollution lumineuse astronomique », c’est-à-dire toute lumière artificielle qui détériore la qualité et l’accessibilité du ciel nocturne en masquant la lumière des étoiles, des astres ou tout autre corps céleste. Cette LAN limite leurs études et contribue à la disparition de ce patrimoine naturel. Selon l’Union Astronomique Internationale, il y a pollution lumineuse lorsque la LAN émise dans le ciel nocturne est supérieure à 10 % de sa luminosité naturelle la nuit.

 

Du point de vue de l’écologue

On la désigne par « pollution lumineuse écologique », c’est-à-dire toute lumière artificielle qui détériore les cycles de la lumière naturelle, cycle jour/nuit ou saisonnière, en modifiant l’intégrité nocturne de l’environnement. Cette LAN a des conséquences sur les comportements, sur les rythmes biologiques et sur les fonctions physiologiques des organismes vivants, ainsi que sur les écosystèmes.

 

Du point de vue du médecin

On la désigne par « pollution lumineuse », c’est-à-dire toute lumière artificielle émise par une source artificielle au cours de la nuit émettant une longueur d’onde dans la zone spectrale du bleu (entre 460 et 480 nm) avec une intensité susceptible de supprimer la production de mélatonine pinéale, ou d’altérer les rythmes journaliers en initiant une réponse de stress chez l’être humain.

 

Sources et causes de la pollution lumineuse

Figure 3. La lumière émise par les sources artificielles est réfléchie sur différentes surfaces et est diffusée dans l’atmosphère en interagissant avec les particules en suspension dans l’air (molécules et aérosols). Cette diffusion génère des halos lumineux qui masquent le ciel nocturne et perturbent l’intégrité nocturne. Plus il y a de pollution atmosphérique, plus il y a de particules en suspension et plus il y a de pollution lumineuse. Photo : Johanne Roby

La pollution lumineuse provient de toute source d’éclairage artificiel qui contribue à la dégradation ou à la modification de l’intégrité nocturne. Il s’agit de l’éclairage extérieur ou d’éclairage intérieur rayonnant vers l’extérieur. Elle inclut la lumière émise par les lampadaires de rue, les éclairages publics, les édifices, les véhicules, les enseignes, etc. Dans certains cas, elle est responsable de la lumière intrusive qui pénètre dans nos maisons la nuit et perturbe la qualité de notre sommeil. Elle peut aussi être responsable de l’éblouissement causant une gêne visuelle due à un éclairage trop intense ou un contraste d’éclairage trop subit contribuant à un danger sur la route. La multiplication des lampadaires de rue est la cause principale de l’augmentation de la pollution lumineuse. Depuis une dizaine d’années, l’apparition des nouveaux lampadaires à diodes électroluminescentes (DEL), riches en lumière bleue, contribue substantiellement à l’augmentation du phénomène. En effet, la lumière bleue est diffusée beaucoup plus efficacement dans l’atmosphère selon le principe de diffusion de Rayleigh[1]. Ainsi, la pollution lumineuse bleue émise par les DELs, pour une source de même intensité, pollue un environnement plus grand que les lumières traditionnelles.

La réflexion de la LAN sur les surfaces, les aérosols et les molécules en suspension dans l’atmosphère produit des halos lumineux (figures 3 et 4). En plus de voiler le ciel étoilé, ces halos ont des effets importants sur la faune et la flore. Chacun de ces aspects est décrit un peu plus loin dans cet article. À titre d’exemple, ils perturbent les oiseaux migrateurs en les déviant de leur trajectoire. Les deux tiers des oiseaux migrent la nuit, et la LAN interfère avec leur système d’orientation basé, entre autres, sur la vision. Ils perdent une énergie cruciale à leur migration et peuvent heurter les immeubles éclairés. L’organisme Fatal Light Awareness Programm estime à plus de 100 millions le nombre d’oiseaux qui meurent chaque année en Amérique du Nord en raison de la LAN.

 

Figure 4. La lumière artificielle émise par les villes est en compétition avec la lumière naturelle du ciel nocturne. Elle génère des halos lumineux nuisibles à l’intégrité nocturne. Photo prise dans le parc national du Mont Mégantic, Québec, Canada. Photo : Rémi Boucher

 

En 2016, Falchiet ses collaborateurs ont publié un nouvel atlas mondial de la brillance artificielle du ciel nocturne basé sur les plus récents relevés satellites et sur des mesures de clarté du ciel à différents endroits du monde. Ils produisent des cartes de pollution lumineuse à partir des données compilées dans un modèle numérique qui calcule la propagation de la pollution lumineuse (Voir figure no 5). Selon cet atlas, 80 % de la population mondiale vit sous un ciel artificiellement lumineux. Le taux monte à 99 % aux États-Unis et en Europe. Toujours selon cet atlas, plus d’un tiers de la population mondiale ne voit plus la Voie lactée.

 

Figure 5a. À gauche, la pollution lumineuse dans le monde. À droite, la pollution lumineuse en Amérique du Nord. Les couleurs expriment le degré de pollution lumineuse (noir= peu polluée par la LAN, blanc= très polluée par la LAN). Les zones de noirceurs sont de plus en plus rares. Science Advances, CC BY NC

 

Figure 5b. La pollution lumineuse en Europe. À gauche, la situation en 2016. À droite, la prédiction dans quelques années, après la transition à l’éclairage DEL. Science Advances, CC BY NC

Dans ces populations, plus de la moitié des habitants est exposée à une pollution lumineuse équivalente à la luminosité d’une pleine lune permanente. Enfin, la pollution lumineuse n’est pas un problème qui se résorbe ; au contraire, elle augmente globalement à raison d’environ 6 % par année. En d’autres termes, elle double tous les 12 ans.  De plus, cette augmentation semble maintenant s’accélérer. Les zones de véritable noirceur deviennent de plus en plus rares et les effets néfastes sur l’intégrité nocturne et l’être humain sont de plus en plus préoccupants.

 

Pourquoi la lumière artificielle de nuit perturbe-t-elle l’intégrité nocturne et l’être humain?

Pour bien comprendre les conséquences de la LAN sur l’intégrité nocturne et la santé humaine, il est important d’avoir quelques notions de bases en lien avec la lumière naturelle et artificielle et le rôle qu’elle joue sur les processus biologiques.

Rôle de la lumière naturelle sur les organismes vivants

Depuis des milliards d’années, les organismes vivants ont évolué sous un cycle de lumière naturelle qui fluctue selon l’emplacement géographique et aux rythmes des saisons. Cette fluctuation a conditionné l’apparition de systèmes photosensibles et d’horloges biologiques chez les organismes vivants. Elle a permis à ceux-ci de développer une représentation spatiale de leur environnement et donc de s’y adapter. Par conséquent, la lumière joue un rôle essentiel dans la régulation de nombre de ces processus biologiques. Plusieurs mécanismes biologiques sont basés ou répondent à des caractéristiques ou couleurs de lumière particulières, ce qui est appelé la sensibilité spectrale. En effet, la lumière naturelle est composée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ainsi que de l’infrarouge et de l’ultra-violet. Notre œil perçoit une couleur blanchâtre qui inclut toute cette gamme de couleurs. La figure no 6 illustre le spectre de la lumière visible d’un soleil de midi en intensité et en couleur. Celles-ci varient en fonction de l’heure de la journée et sont modulées au fil des saisons (figure no 7). On remarque que, tôt le matin, la partie bleue du spectre est plus importante.

Figure 6. Distribution spectrale de la lumière naturelle, en couleur et en intensité,
pour un soleil de midi.

 

Ainsi et à titre d’exemple, les rythmes circadiens, la vision, et la photosynthèse sont des processus biologiques régulés, en partie, par la couleur de la lumière et qui ont donc leur propre sensibilité spectrale. Dans chacun de ses processus, la distribution du spectre de la lumière joue un rôle clef. La figure 8 en illustre deux exemples. Dans le premier exemple, la synchronisation du cycle circadien (ou horloge biologique) chez l’être humain (figure 8a). Un photopigment non visuel retrouvé dans les cellules ganglionnaires présentes dans la rétine, la mélanopsine, découverte par Brainard en 2001, contribue à la synchronisation de nos cycles jour/nuit. Notre horloge biologique interne se synchronise deux fois par jour, au lever et au coucher du soleil. Elle anticipe les changements journaliers et saisonniers afin d’acclimater les systèmes physiologiques et immunologiques. Lorsque stimulée par la lumière, la mélanopsine envoie l’information à la glande pinéale pour inhiber la production de la mélatonine. Cette hormone, aussi appelée hormone du sommeil, est un indicateur de noirceur, secrétée pendant la période nocturne. Certains chercheurs lui attribuent des propriétés antioxydantes, antitumorales et cardioprotectrices. La perturbation du cycle circadien par la lumière peut entraîner des retards de phase qui peuvent mener à des problèmes de santé tels que des troubles de sommeil, d’obésité, de dépression et de certains cancers et ce, à des intensités aussi faibles que celle de l’éclairage d’une chandelle. La mélanopsine (figure no 8a-2) possède une sensibilité spectrale allant de 425 nm à 560 nm avec un maximum dans la zone des longueurs d’onde bleue soit à ~450 nm. Cette particularité fait en sorte que l’œil est plus sensible à cette longueur d’onde pour réguler notre horloge biologique. L’abondance relative du bleu dans la lumière naturelle du matin est donc cruciale pour l’éveil. Il est alors important d’avoir une lumière riche en bleues le matin à notre éveil, mais d’éviter ce type de lumière le soir avant d’aller dormir.

La photosynthèse chez les végétaux est un autre exemple patent (figure 8b). La photosynthèse est le processus par lequel la plante transforme l’énergie lumineuse et le carbone atmosphérique en sucres utilisables. Les chlorophylles a et b sont les pigments les plus abondants dans la photosynthèse. Ils absorbent plus efficacement la partie bleue et rouge du spectre lumineux et beaucoup moins dans le vert. C’est pourquoi les plantes sont vertes. La courbe de distribution spectrale de l’absorption des chlorophylles est illustrée à la figure 8b-2. On remarque les maximums d’absorption dans ces régions. D’autre part, la régulation fine du processus de photosynthèse est complexe et mal connue. En plus de s’ajuster aux variations quotidiennes et saisonnières de la lumière naturelle, les chlorophylles ne sont pas les seuls photopigments actifs dans le processus. Selon les espèces végétales, l’importance relative de chaque photopigment diffère, et la plante peut utiliser à différents degrés certaines couleurs et intensités de la lumière disponible dans le spectre naturel du soleil. Les lumières bleues et rouges de forte intensité sont requises pour la photosynthèse tandis que les lumières rouges et infrarouges de faible intensité interviennent dans le contrôle des rythmes biologiques tels que la germination des graines, l’élongation des tiges, l’expansion des feuilles, le développement des fleurs et la dormance. La lumière artificielle ne peut donc remplacer la complexité de la lumière naturelle dans sa variation quotidienne et photopériodique pour le développement complet des végétaux.

 

Figure 8. Différents processus biologiques qui sont régulés par la couleur de la lumière : les rythmes circadiens et la photosynthèse.


Différence entre lumière naturelle et lumière artificielle

Depuis l’avènement de l’électricité, les organismes vivants sont influencés, voire perturbés, par la lumière artificielle tant nocturne que diurne. Cette lumière masque les cycles naturels de l’alternance jour/nuit. Elle fait partie intégrante de notre environnement sans que l’on s’attarde à ses effets bénéfiques ou indésirables. La période de luminosité a ainsi augmenté de quatre à sept heures par jour en moyenne chez les Occidentaux. Depuis une quinzaine d’années, de plus en plus d’études scientifiques sont menées pour comprendre les effets de cette surexposition à la lumière.

Comme la distribution spectrale de la lumière joue un rôle crucial dans nos processus biologiques, il est essentiel d’en connaître sa composition pour évaluer son effet potentiel. La distribution spectrale nous renseigne sur l’intensité de chaque longueur d’onde de la lumière, c’est-à-dire la quantité et la couleur de chacune des longueurs d’onde exprimée en nanomètre (nm). La figure no 9 illustre la distribution spectrale de différents types d’éclairage commun qui nous entourent.
Outils pour gérer l’éclairageTel qu’illustré à la figure no 9, les courbes de distribution spectrale de l’éclairage artificiel sont très différentes de celle de la lumière naturelle, en couleur (longueur d’onde) et en intensité (quantité de chaque couleur). Depuis les années 60, la LAN a progressivement évoluée passant de l’incandescent (INC, spectre jaune-orangé) à la lumière sodium haute pression (HPS, spectre orangé) et plus récemment aux diodes électroluminescentes (DEL, spectre enrichi en bleu). Son rendu énergétique et son cycle de vie en font la technologie de l’avenir dans le domaine de l’éclairage. Les DEL blanches sont les plus utilisées (DEL bleues couplées à un phosphore jaune). Ces dernières contiennent une surabondance de rayonnement dans la région du bleu avec un maximum d’intensité à ~450 nm. Cette longueur d’onde correspond exactement à celle qui perturbe le cycle circadien chez l’humain (la mélanopsine, figure no 8b). La technologie progresse rapidement et les risques sur l’environnement et la santé sont mal connus. Il est nécessaire d’en étudier tous les aspects afin d’informer les autorités et la population des risques associés. Les études sur la pollution lumineuse rapportées dans la documentation scientifique proviennent, pour la plupart, d’études effectuées à partir de données impliquant des lumières de type HPS. Les résultats de ces études sont déjà préoccupants. L’apparition des lampadaires avec la technologie des DEL, riche en lumière bleue, devient encore plus préoccupante.

Développés dans les années 1930, les standards utilisés pour caractériser l’éclairage dans l’industrie sont la température de couleur (CCT) et l’indice de rendu de couleur (IRC). Ils ont été développés pour des considérations principalement esthétiques et réfèrent au spectre du corps noir. L’industrie a tenté de les adapter aux nouvelles technologies d’éclairage, mais ces indicateurs présentent plusieurs lacunes. La plus importante est qu’ils ne donnent aucune information quant au contenu spectral de la lumière et son effet sur les réalités physiques et les processus biologiques. La température de couleur, exprimée en kelvins (K) nous renseigne sur les nuances de couleur de la lumière. La figure 10 illustre l’échelle des CCT avec des exemples concrets : l’éclairage d’une ampoule incandescente est de 2500K et est appelé blanc chaud. Les DELs ont des CCT variées. Une DEL à 2700K est dite blanc chaud et une DEL à 4500K est dite blanc froid. Un ciel de midi sans nuages a un CCT de 5000K, etc.

Figure 10. Échelle des températures de couleur avec différents exemples de lumières associées. Les lumières dites chaudes sont inférieures à 3000K, celles dites froides se situent entre 4000K et 6500K. (MH : halogénures métalliques, HALO : Halogène, INC : incandescent, HPS : sodium haute pression, DEL : diode électroluminescente). Image : Johanne Roby

Comme ces paramètres sont nettement insuffisants pour évaluer l’effet de la lumière sur tout processus physique ou biologique, il est nécessaire de développer et de valider de nouveaux outils pour mieux gérer l’éclairage public et domestique en minimisant les risques connexes. En 2013, Aubé, un pionnier international de la pollution lumineuse, a élaboré des indices spectraux novateurs. Ces derniers permettent d’estimer rapidement les conséquences potentielles d’un dispositif d’éclairage sur la santé humaine, la photosynthèse et la visibilité du ciel étoilé en tenant compte de la concordance entre la réponse du processus biologique et du spectre de la lampe. Ces indices découlent de modèles mathématiques intégrant les caractéristiques spectrales de la lumière et celles des processus biologiques (fig. 11).Ces trois indices sont : 1- MSI : Indice de suppression de mélatonine, 2- SLI : Indice de visibilité du ciel étoilé, 3-IPI : Indice d’induction de photosynthèse. (Les acronymes proviennent de l’anglais : MSI : Melatonin Suppression Index, SLI : Star Light Index, IPI : Induced Photosynthesis Index.) Ces indices permettent de comparer, de façon objective, les différentes technologies d’éclairage existantes sur le marché. Ces indices ont fait l’objet d’une publication scientifique en 2013 par Aubé et al dans la revue PlosOne. Ils prennent des valeurs de 0 à 1 ; 0 indique peu d’effet et 1 indique que la lampe a autant d’effet qu’un soleil de midi. Certaines lampes vont au-delà de cette valeur, ce qui signifie que leur effet est plus grand que celui du soleil de référence. 

 


Indice de suppression de la mélatonine (MSI)

Il mesure l’effet de l’éclairage artificiel sur la suppression de mélatonine et a été développé à partir de la sensibilité spectrale de la mélanopsine. Il permet de déterminer le type d’ampoule à utiliser pour ne pas nuire au cycle sommeil-éveil. À titre d’exemple, une ampoule avec un MSI élevé, qui tend vers 1, sera à favoriser le matin. En effet, cette ampoule contiendra une grande proportion d’ondes bleues et stimulera l’éveil. L’utilisation d’ampoule dans les teintes blanches et bleutées sera donc privilégiée en début de journée.   À l’inverse, un MSI bas, qui tend vers 0, sera favorisé en soirée pour éviter la suppression de la mélatonine et favoriser le sommeil. L’utilisation d’ampoule dans les teintes de jaune orangé sera privilégiée pour éviter de perturber l’horloge biologique en soirée.

 

Indice de visibilité des étoiles (SLI)

Cet indice mesure l’effet des différentes lampes sur la capacité de l’œil humain à voir les étoiles. Il a été développé à partir de la sensibilité spectrale de la vision de nuit, c’est à dire, la vision scotopique. Cette vision est en effet sollicitée lors de l’observation du ciel étoilé. Ainsi, un indice SLI qui tend vers 0 est favorable pour l’observation nocturne et un indice qui tend vers 1 perturbera cette dernière. La lumière émise par la plupart des dispositifs d’éclairage que l’on retrouve sur le marché contient une proportion importante de lumière bleue. Si l’installation de lumières artificielles est nécessaire près des zones d’observation du ciel étoilé, il serait approprié d’utiliser des éclairages déficients en bleu et riche en lumière jaune-orangé (indice qui tend vers 0) pour maximiser l’observation du ciel étoilé.

 

Indice d’induction de photosynthèse (IPI)

Cet indice mesure l’effet des différentes lampes sur la capacité des végétaux à produire la photosynthèse. Il a été développé à partir de la sensibilité spectrale de la photosynthèse. Un indice qui tend vers 1 favorisera la photosynthèse tandis qu’un indice qui tend vers 0 la défavorise. D’autre part, un équilibre lumière/obscurité est crucial en fonction du type de végétaux.


Figure 11. Nouveaux outils pour évaluer l’effet de l’éclairage sur trois processus biologiques : la santé, la visibilité du ciel étoilé et l’induction de la photosynthèse.

 

Par ailleurs, il faut aussi continuer d’améliorer les modèles numériques qui produisent les cartes de pollution lumineuse à partir de données satellites ou de mesures de la brillance du ciel. Ces outils nous permettent de mieux comprendre le phénomène de pollution lumineuse et de proposer des solutions pour réduire les effets négatifs ou pour accroître les effets positifs de la lumière artificielle.

 

Effets nuisibles de la lumière artificielle de nuit sur la faune

Les organismes vivants sont tous régulés par les cycles jour/nuit et saisonniers. Ces rythmes naturels, lumière/obscurité, régissent donc les comportements de survie de la faune tels que la reproduction, l’alimentation, la migration, la recherche d’habitat, le sommeil et la défense contre les prédateurs. L’augmentation de la lumière artificielle de nuit (LAN) depuis une dizaine de décennies est venue perturber ces cycles naturels. Les preuves scientifiques s’accumulent et démontrent que la LAN a des effets négatifs et même parfois mortels sur de nombreuses espèces animales. Des exemples réels ont été répertoriés chez les invertébrés, les amphibiens, les oiseaux, les chauves-souris, les tortues, les poissons et les reptiles. Les effets de la LAN sont fonction de la source d’éclairage (intensité lumineuse et longueur d’onde), du phénomène de pollution lumineuse (éblouissement, flux de lumière direct ou indirect, halo lumineux produit par les villes à proximité) et de la sensibilité de l’espèce en cause (sensibilité spectrale de leurs photorécepteurs). L’augmentation de la LAN est maintenant un enjeu crucial en lien avec la perte ou la fragmentation de l’habitat nocturne. À titre d’exemple, la LAN a un pouvoir attracteur ou répulsif sur certaines espèces animales. En 2001, Eisenbeis a démontré que chaque lampadaire entraîne la mort de plus de 150 insectes par nuit (dont des pollinisateurs essentiels). Pour ces mêmes insectes, la lumière blanche a quatre fois plus d’effet que la lumière jaune. Autre exemple, les bébés tortues de mer fraîchement éclos sur la plage utilisent la brillance naturelle de la lune ou du coucher de soleil et de la mer pour s’orienter et retourner dans l’océan. Elles sont désorientées et attirées par la lumière artificielle urbaine et plusieurs meurent de faim, mangée par des prédateurs ou écrasée par des véhicules sans jamais avoir pu se rendre à la mer (voir figure no 12).

Figure 12a. Jeunes tortues de mer après l’éclosion qui retournent à la mer en s’orientant avec la brillance de la lumière naturelle. Photo : René van Bakel, Getty image

 

Figure 12b. Jeunes tortues de mer temporairement désorientées par la lumière artificielle. Photo : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2627884/

 

En 2015, Le Tallec a produit une première thèse sur les répercussions de la pollution lumineuse sur les comportements, les rythmes biologiques et les fonctions physiologiques d’un primate non humain, le microcebusmurinus. L’introduction de sa thèse constitue un excellent portrait des conclusions scientifiques relatives aux effets de la LAN sur la faune.

 

Effets nuisibles de la lumière artificielle de nuit sur la flore
L’augmentation de la LAN depuis les dernières décennies répand dans l’environnement nocturne une lumière artificielle dont l’intensité varie de plusieurs ordres de grandeur : de faible (halo lumineux provenant des villes éloignées) à intense (lumière directe de sources lumineuses). Cette lumière dirigée vers le sol ou dans l’atmosphère masque la lumière naturelle et perturbe la végétation en affectant leur bon développement (figure no 13). Dans de nombreux cas, cette LAN est suffisamment intense pour induire une réponse physiologique chez les plantes. En présence de la LAN, les rythmes biologiques des végétaux sont susceptibles d’être désynchronisés par la perception non naturelle du cycle jour/nuit ; la durée du jour est ainsi augmentée de façon artificielle. Cette perturbation artificielle peut promouvoir la croissance continue des végétaux, en inhibant la dormance qui leur permet de survivre aux rigueurs de l’hiver. Elle peut favoriser l’expansion foliaire, les exposant davantage aux polluants atmosphériques et aux stress hydriques. En milieu urbain, il n’est pas rare d’observer un retard de la chute des feuilles pour les arbres situés à proximité des lampadaires. À New York, Matzke a reporté que la chute des feuilles d’arbres peut être retardée de plus d’un mois. La recherche doit continuer pour déterminer l’effet réel de la lumière artificielle de nuit sur les végétaux. Certains chercheurs lancent un cri d’alarme à cet effet. Pour eux, la disparition locale des insectes nocturnes pollinisateurs sous l’effet de la LAN serait à prendre beaucoup plus au sérieux. Ainsi, comprendre les conséquences écologiques de la LAN est essentiel pour déterminer l’influence de l’activité humaine sur les écosystèmes.La flore est fortement influencée par la lumière. En effet, celle-ci utilise l’alternance entre la lumière et l’obscurité pour régir son cycle de vie. Le changement de la durée de la photopériode au cours de l’année influe sur plusieurs paramètres biologiques du développement des végétaux, dont la mise en dormance des bourgeons et la floraison. Ce sont par ces cycles journaliers et au fil des saisons qu’ils réussissent à déterminer les saisons et à s’y adapter.

 

Effets de la LAN sur le ciel étoilé

La noirceur du ciel est essentielle à l’observation et à l’étude d’objets célestes de faible luminosité. Les astronomes et les astrophysiciens furent les premiers à dénoncer le phénomène de pollution lumineuse car il perturbait les études et les travaux de recherche. Elle met aussi en péril les activités de recherche de grands observatoires tels que le David Dunlap Observatory, le plus grand observatoire en sol canadien. Ce dernier a dû fermer ses portes à cause de la luminosité excessive du ciel de Toronto produit par la LAN. L’observation des astres et des étoiles et l’imagerie du ciel étaient devenues impossibles. Ainsi, le voilement des étoiles est l’une des plus importantes conséquences qu’a la LAN sur le ciel nocturne. En plus de perturber la recherche, elle prive la population de la beauté du ciel étoilé. On estime que plus de 97 % des étoiles sont aujourd’hui imperceptibles à l’œil nu dans les grands centres industriels et dans les grandes villes du monde. À titre d’exemple, seulement une centaine d’étoiles sont perceptibles à l’œil nu dans le ciel de la région de Montréal tandis qu’il est possible d’en contempler plus de 3 000 dans la Réserve internationale de ciel étoilé du Mont-Mégantic. Encore une fois, les éclairages riches en lumière bleue contribuent plus au voilement du ciel que les éclairages plus jaunes car la lumière bleue diffuse plus efficacement dans l’atmosphère et l’œil humain adapté à la noirceur est plus sensible au bleu.
Lors de la mégapanne de courant du 14 août 2003 qui a touché plus de 55 millions de personnes, une photo prise avant et pendant la panne de courant montre bien le voilement du ciel causé par la pollution lumineuse.

 

Figure 14. Photos prises en banlieue de Toronto pendant et avant la panne de courant. Photo : Todd Carlson, 2003

 

Effets de la lumière artificielle sur la santé humaine

L’origine du questionnement sur les répercussions potentielles de la LAN sur la santé humaine provient d’étude des problèmes de santé chez les travailleurs de nuit. En étudiant cette population, on a constaté qu’il y avait des incidences de maladie plus élevées : cancer du sein et de la prostate (30 % et plus), dépression, problèmes cardiaques, obésité, problèmes de sommeil, etc. La cause suspectée était la perturbation du cycle circadien. En 2007, le travail posté, qui implique une perturbation du cycle circadien, a été classé comme agent cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé du Centre international de recherche sur le cancer. En parallèle, plusieurs effets de la LAN sur l’intégrité nocturne étaient rapportés dans la documentation scientifique : voilement du ciel étoilé et perturbation de la faune (perte d’habitat, perturbation de la période d’activités, migration et orientation, comportement social, survie d’espèces, etc.) En même temps, des études en laboratoire contrôlées sur des animaux exposés à la LAN rapportaient des résultats inquiétants : certains liens avec la dépression, l’obésité, le cancer et les maladies cardio-vasculaires s’avéraient. Puis, des études épidémiologiques comparant des populations rurales et urbaines ont démontré des incidences de cancer du sein et de la prostate plus élevées dans la population urbaine (30 % de plus) qui seraient directement liées à la LAN.

 

En 2013, Abraham Haim, un chercheur en pollution lumineuse de renommée internationale, déclare : « l’augmentation de LAN amène les gens à vivre dans des conditions similaires à celles des travailleurs de nuit… Cette exposition peut supprimer la production de mélatonine et devrait être considérée comme un perturbateur potentiel de l’horloge biologique ». Depuis une dizaine d’années, les études sur le risque potentiel de la lumière artificielle de nuit pour la santé humaine ne cessent de se multiplier. De nature épidémiologique ou en laboratoire, contrôlées sur des animaux, ces études donnent des résultats qui inquiètent de plus en plus. De plus, à cause de l’efficacité de la lumière bleue à inhiber la mélatonine et l’augmentation des lumières blanches riches en composantes bleues dans notre entourage, la LAN devient de plus en plus menaçante.

 

En 2012, The American Medical Association (AMA) a adopté une résolution qui stipule que certains types d’éclairage sont une source de pollution environnementale qui interfère avec le rythme circadien et peuvent être liés au cancer du sein et autres maladies. L’AMA recommande que les nouvelles technologies d’éclairage soient développées de façon à réduire les risques pour la santé. Il recommande aussi davantage de recherches sur les risques potentiels sur la santé. Cette résolution est fondée sur le rapport intitulé Light Pollution: Adverse Health Effects of Nighttime Lighting.

Que faire pour limiter la LAN ?

L’utilisation de l’éclairage artificielle, ce n’est pas cesser d’éclairer, mais mieux éclairer.

Il y a cinq principes d’éclairage de base qui contribuent à la diminution de la LAN dans l’environnement nocturne tels qu’illustrés à la figure no 15. En plus de contribuer à la protection de la santé et de l’environnement, ces principes permettent des économies d’argent et de ressources primaires.

·       Période : éclairer selon les besoins et quand cela est nécessaire. Utiliser des détecteurs de mouvement.

·       Quantité : éviter de suréclairer en diminuant l’intensité du flux lumineux.

·       Orientation : orienter le flux lumineux là où cela est nécessaire. Privilégier les dispositifs d’éclairage à défilement total.

·       Couleur : éviter les lumières trop blanches. Ces dernières contiennent une proportion importante de lumière bleue qui est nuisible à la santé et à l’intégrité nocturne. Favoriser des sources lumineuses de couleur jaunâtre ou ambrée.

·       Obstacles : considérer les obstacles pour couper la lumière, par exemple les murs ou les arbres.

·       Indices spectraux : convaincre l’industrie de l’éclairage d’utiliser de nouveaux outils pour gérer l’éclairage, par exemple les indices spectraux (MSI, SLI et IPI).

 

 

Figure no 15. Les 5 principes d’éclairage de base pour diminuer la pollution lumineuse
(X= mauvaise pratique, √= bonne pratique). Image : ASTROLab du Mont-Mégantic.

En juin 2016, l’AMA a publié de nouvelles recommandations concernant l’éclairage extérieur avec les lumières à DEL. Il appuie la conversion des éclairages DEL dans les localités sur la base d’une réduction énergétique et d’une diminution de combustibles fossiles. Il suggère de contrôler et de minimiser l’éclairage riche en bleu afin de diminuer l’éblouissement. Il encourage l’utilisation d’un éclairage avec une température de couleur maximale de 3000K. Il recommande que les dispositifs d’éclairage soient à défilement total pour minimiser l’éblouissement et les effets nocifs pour l’être humain et l’environnement. Il suggère d’utiliser la versatilité des DEL pour diminuer l’éclairage dans les périodes hors pointe.

 

La RICEMM publie aussi en ligne un guide pratique de l’éclairage qui s’avère une excellente source d’information (http://ricemm.org/wp-content/uploads/2013/02/astrolab_guide_d_eclairage.pdf). Le Cégep de Sherbrooke publie en ligne une base de données spectrale qui réunit des informations sur plusieurs ampoules d’usage domestique telles que les indices spectraux et le pourcentage de bleu contenu dans l’éclairage de l’ampoule (www.lspdd.com).

 

Finalement, en septembre 2016, la province de Québec a adopté une norme sur la pollution lumineuse afin de promouvoir de meilleures pratiques d’éclairage artificiel (BNQ 4930-100 « Éclairage extérieur – Contrôle de la pollution lumineuse »). Cette norme a été élaborée en collaboration avec IDA Québec (section québécoise de l’International Dark-Sky Association), la Réserve internationale du ciel étoilé du Mont Mégantic (RICEMM), plusieurs ministères du gouvernement du Québec, Hydro-Québec, et plusieurs acteurs de l’industrie de l’éclairage, des municipalités et du milieu scientifique, dont le groupe de recherche sur la pollution lumineuse du Cégep de Sherbrooke. Elle présente un ensemble d’exigences qui portent sur quatre facteurs qui caractérisent l’éclairage, soit la quantité de lumière émise, son orientation, sa composition spectrale et sa durée d’utilisation.

 

Elle représente le premier document provincial officiel à se préoccuper de la réduction de la pollution lumineuse. C’est un premier pas dans la bonne direction, il reste beaucoup de travail à faire pour réduire et limiter l’éclairage afin de protéger l’intégrité nocturne et la santé humaine. Cette norme sera révisée dans trois ans. D’ici là, le principe de précaution prévaut !

 

Johanne Roby est une experte de la question de l’éclairage artificiel. La chercheuse a publié de nombreux articles et ouvrages en plus d’être conférencière invitée partout dans le monde dans les domaines de la chimie et de la biologie. Elle enseigne au département de Génie électrique et informatique de l’Université de Sherbrooke et au Cégep de Sherbrooke.

[1] Selon le phénomène de diffusion de Rayleigh, la lumière bleue (455nm) est diffusée 4,4 fois plus que la lumière rouge (660nm) dans l’atmosphère. Ceci explique que le ciel paraît bleu.

Laisser un commentaire