Les défis du transport actif à Montréal

Entrevue de Maxime Vézina avec le conseiller municipal Sylvain Ouellet

Par Maxime Thibault-Vézina

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Sylvain Ouellet sert ses concitoyens depuis 2013 comme conseiller municipal du District François-Perrault, situé au sud du quartier Saint-Michel à Montréal. Élu sous la bannière du parti Projet Montréal, il est le porte-parole de l’opposition officielle à l’Hôtel de Ville en matière d’eau, de développement durable, d’environnement, de grands parcs et d’espaces verts. Il a auparavant fait carrière dans le domaine de l’environnement et s’est prononcé activement, en dehors de son rôle de conseiller, sur les enjeux de verdissement, de promotion des transports actifs, d’agriculture urbaine et de participation citoyenne.

Demeurant et travaillant dans un quartier défavorisé tant sur le plan économique qu’en matière d’aménagement, Sylvain Ouellet pose un regard éclairant sur les défis de la santé en milieu urbain. Entrevue avec un politicien engagé.

 

 

En matière d’aménagement urbain, quels sont, selon vous, les principaux aspects que Montréal devrait mettre de l’avant pour favoriser la santé de ses citoyens ?

 

Pour améliorer les indices de santé en milieu urbain, la majorité des études s’entendent sur l’importance de favoriser les transports actifs, c’est-à-dire les déplacements alternatifs à l’automobile qui encouragent l’activité physique. Le simple fait de se déplacer à pied ou à vélo permet d’intégrer au quotidien des activités physiques qui apportent des bénéfices importants pour la santé des individus et leur bien-être. On remarque aussi des effets bénéfiques sur la productivité au travail et l’amélioration des capacités d’apprentissage pour les enfants qui marchent pour aller à l’école. Or, les infrastructures et services des villes doivent permettre ces choix de déplacement et ne pas miser seulement sur les déplacements en automobile.

 

On ne parle pas ici uniquement de déplacement à vélo : Catherine Morency a publié une étude très intéressante qui démontre que les utilisateurs des transports en commun sont beaucoup plus actifs physiquement que les automobilistes.[1] Il faut, en somme, permettre aux citadins de faire des choix de déplacement alternatifs en misant sur un ensemble cohérent d’infrastructures et de services : aménagement sécuritaire pour les piétons et cyclistes, système de transport en commun abordable et efficace, service d’autopartage, etc.

 

 

De plus en plus, de grandes métropoles semblent vouloir faire plus de place aux transports actifs en reconfigurant les espaces publics pour favoriser un partage de la route plus équitable entre automobilistes, cyclistes et piétons. Copenhague, New York ou Minneapolis sont des exemples très souvent cités. Considérez-vous que Montréal en fait assez dans ce domaine ?

 

Nous avons hérité sous l’ère Doré[2] d’un réseau cyclable important, mais qui a surtout été pensé à des fins récréatives : le long de la rivière des Prairies et le long du Canal Lachine. C’est génial pour les balades de fins de semaine, mais ce n’est pas axé sur les déplacements utilitaires. Le problème est là : l’intérieur de l’Île de Montréal demeure peu desservi par un réseau utilitaire sécuritaire. Pour pallier ce problème, l’administration Coderre[3] a beaucoup misé sur la création de voies cyclables marquées par la peinture. C’est bien pour les cyclistes plus aguerris et ça permet effectivement de valoriser le respect des vélos sur rue, mais demander aux cyclistes moins expérimentés de traverser à l’intersection Jean-Talon et Marquette, avec six voies de large sans aucun feu de circulation, c’est dangereux. Ça n’encourage pas de nouveaux cyclistes potentiels, comme des familles avec de jeunes enfants.

 

Montréal, contrairement à d’autres villes au Québec, a l’avantage d’avoir des trottoirs à peu près partout et plusieurs quartiers, comme le Plateau Mont-Royal, Villeray ou la Petite-Patrie, ont réellement mis de l’avant des infrastructures qui encouragent les transports actifs : mesures de réduction de vitesse automobile, aménagement de pistes cyclables, etc. En contrepartie, des quartiers plus défavorisés sont souvent négligés sur le plan des aménagements. Le problème se situe davantage aux intersections, surtout aux grands boulevards. Dans le quartier St-Michel, par exemple, la présence de plusieurs grandes artères découpent et enclavent carrément les secteurs : l’Autoroute 40 et la rue Crémazie, les boulevards Saint-Michel et Pie IX, le boulevard industriel, etc. Des blocs résidentiels se retrouvent ainsi isolés, et il devient extrêmement dangereux et difficile de se déplacer à pied ou à vélo, voire même de marcher jusqu’au métro ou vers une station d’autobus. On remarque que les parents ne laisseront pas leurs enfants se rendre seuls à pied à l’école ou à des activités. Génération après génération, le nombre d’élèves qui sont accompagnés en voiture par leurs parents jusqu’à un âge avancé augmente, surtout dans les quartiers défavorisés.

 

Les médias peuvent évidemment amplifier et alimenter ce sentiment d’insécurité, mais concrètement, les risques d’accident pour piétons et cyclistes sont beaucoup plus grands dans les quartiers qui abritent ces grandes artères et qui ne mettent pas en place des mesures pour améliorer la situation. Les répercussions sont énormes, non seulement pour la santé des habitants, mais aussi pour le développement de communauté dans les quartiers plus précaires.

 

 

Justement, vous êtes conseiller municipal dans un district de Montréal plus défavorisé, où

la pratique du vélo est plus difficile et moins courante. De votre point de vue, quels sont les obstacles à la pratique du vélo spécifiques aux quartiers plus défavorisés de Montréal ?

 

Le principal obstacle est d’abord le manque d’infrastructures de qualité. On remarque effectivement que les secteurs plus pauvres de Montréal sont souvent plus dangereux et ne reçoivent que peu d’investissements pour pallier ces problèmes. Lorsqu’on regarde la configuration du quartier Saint-Michel, énormément de véhicules viennent de l’extérieur en passant par les grandes artères qui découpent le quartier en quatre ou cinq secteurs isolés. La pollution y est exacerbée, les déplacements à pied et à vélo sont beaucoup plus dangereux que dans les quartiers comme Outremont, Villeray ou le Plateau Mont-Royal. Ces inégalités rendent les populations locales plus vulnérables aux enjeux de santé publique. Ils font moins d’exercice, sont davantage exposés à la pollution et sont plus à risque d’être impliqué dans des accidents de la route.

 

Toujours dans le quartier Saint-Michel, il est impossible de traverser à pied, et encore moins à vélo, sous l’autoroute métropolitaine du nord au sud sans mettre sa vie en danger : c’est sombre, mal éclairé ; il faut traverser six voies automobiles dans des couloirs qui ne sont pas protégés et où

les voitures arrivent rapidement de plusieurs directions. Ces infrastructures ont été pensées seulement pour assurer le transit des voitures et non pour les déplacements quotidiens de ceux qui résident dans le voisinage.

 

Il y a aussi le problème de la connectivité des infrastructures existantes. À Saint-Léonard, il existe une voie cyclable qui fait une boucle, mais qui n’est connectée à aucun autre aménagement cyclable vers d’autres arrondissements. Pour que ces kilomètres de voies cyclables aient de réelles répercussions, il faut les connecter vers le centre-ville, les autres quartiers et les grands espaces verts.

 

Il faut également mentionner le fléau du vol de vélos. Se faire voler son vélo pour une personne de classe moyenne ou aisée, c’est certainement désagréable, mais racheter un vélo demeure une option. Un jeune d’une famille défavorisée qui se fait voler son vélo une fois, deux fois… C’est un frein majeur à la pratique du vélo dans de nombreuses familles moins nanties.

 

 

Vous travaillez depuis longtemps pour que des tracés cyclables soient aménagés sur le territoire de François-Perrault. D’après vous, quels sont les principaux points de résistance à Montréal lorsqu’il est question de mettre de l’avant de nouvelles politiques de transport plus favorables aux piétons ou aux cyclistes ?

 

Nous avons énormément d’espaces publics à Montréal : la ville est propriétaire d’environ 40 % du fonds de terrain. Les villes à travers le monde qui ont réussi à augmenter leur part modale des transports actifs ont fait le choix de mettre le citoyen au cœur de l’espace urbain. Que ce soit en agrandissant les trottoirs, en aménageant des terrasses et des pistes cyclables. Mais à Montréal, ces espaces publics sont depuis si longtemps réservés aux automobilistes que ces derniers considèrent avoir un droit acquis. Il devient très difficile de questionner le partage actuel des espaces. La voiture demeure prioritaire pour la grande majorité des fonctionnaires et politiciens aux différents paliers de gouvernement. Il est difficile de changer les mentalités, même avec les meilleurs arguments. La patience est de mise, et il faut souvent convaincre les gens à coups de petits projets-pilotes avant de pouvoir voir un changement s’opérer dans les manières de travailler en urbanisme.

 

En principe, tout le monde est favorable aux aménagements cyclables, aux voies réservées, au protocole de Paris, au verdissement, etc. En somme, tout le monde est pour la vertu. Mais au final, si on enlève ne serait-ce qu’une place de stationnement, le projet a de grandes chances de mourir. L’aboutissement de ce type de projet nécessite une réelle volonté politique. Il ne faut toutefois pas croire que des changements sont impossibles. Sous l’administration Tremblay par exemple, une piste cyclable a été aménagée en plein centre-ville, sur la rue Maisonneuve, malgré les importantes résistances et embûches qu’un tel projet a engendrées.

 

 

Mais est-ce que ce type d’aménagement – tracés cyclable, mesure de réduction de la circulation, etc. – peut être économiquement rentable ?

 

Changer la géométrie de la rue pour donner plus d’espace aux piétons et aux cyclistes engendre des coûts mineurs quand on pense aux économies que ces actions génèrent à plus long terme. Pensons aux frais de santé, à l’environnement et aux interventions des services d’urgence en cas d’accident, par exemple. D’abord, il faut déplorer le nombre d’occasions ratées pour améliorer les conditions de déplacements actifs. Je songe aux travaux présentement en cours sur le boulevard Saint-Michel : une bonne partie de l’artère devra être démolie et reconstruite entre les rues Shaughnessy et Jarry pour refaire les conduites d’eau. Des sommes conséquentes sont investies, mais aucune modification ne sera apportée à la présente configuration de la rue qui est présentement l’une des plus dangereuses à Montréal. On peut vraiment parler d’occasions ratées pour le développement économique durable.

 

Ces rendez-vous manqués sont le résultat d’un important manque de vision. Les gains économiques potentiels pour l’investissement dans les infrastructures favorisant le transport actif sont grossièrement sous-estimés ; les coûts sont dérisoires en comparaison des bénéfices potentiels. Ces infrastructures réduisent les frais de santé, amenuisent les frais de déplacement pour les foyers, réduisent les problèmes de trafic et de pollution, etc. À Copenhague, l’on a évalué que l’utilisation du vélo réduit l’absentéisme au travail pour cause de maladie : 1 million de moins de journées de maladie grâce à l’utilisation des transports actifs. Pour ce qui est des rues commerciales, les installations cyclables tendent à augmenter les chiffres d’affaires de 15 % en moyenne.

 

Le Québec ne produit ni pétrole ni voiture. Chaque dollar investi autour de l’industrie de la voiture creuse le déficit de la balance commerciale internationale du Québec. Ainsi, l’argent économisé par les citoyens qui optent pour les transports actifs peut être investi dans des secteurs plus profitables pour l’économie québécoise.

[1] Morency, C., Trépanier, M., Demers, M. (2011) Walking to transit: an unexpected source of physicalactivity, Transport Policy Journal, Transport Policy, In Press, Corrected Proof, publié en ligne le 26 mai 2011

[2]Jean Doré a été maire de Montréal entre 1986 et 1994.

[3]Denis Coderre est maire de Montréal depuis les élections de 2013.

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