Le verdissement au service de la santé publique

Par Marie-Claude Robert

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La ville, défis de son évolution

Les défis pour l’habitant de la ville sont multiples : le transport, le logement, l’activité économique, l’alimentation, la sécurité, la salubrité, l’eau potable, l’air pur et la lumière. En constante évolution, cette recherche d’équilibre dans l’aménagement des villes pose toujours les mêmes problèmes de santé publique. Si la densification des villes est une réflexion nouvelle pour les villes du nouveau monde qui sont nées avec l’industrialisation (depuis les 150 dernières années) et plus largement dans l’Occident de l’après-guerre mondiale (1945), c’est toutefois un casse-tête pour la plupart des pays émergents dont l’économie se concentre dans des mégapoles de plusieurs millions d’habitants.

Dans toutes villes, le défi est de taille : prévenir les épidémies contingentes d’une forte densité de population ou de mesures d’hygiène déficientes, donner accès aux commodités considérées comme élémentaires dans les grandes villes du monde – eau potable, traitement des eaux usées, disposition des déchets, électrification des quartiers et modes de communication et de transport. Et c’est sans oublier le contrôle de la pollution urbaine qui a pris une ampleur inégalée dans la plupart des mégalopoles.

 

Montréal, un territoire avec ses atouts et ses contraintes

 

Le regard qu’on porte sur le Québec et Montréal est plus nuancé quand on compare la nordicité de notre territoire aux enjeux de la répartition humaine sur notre petite planète. Quand nous mesurons l’écart entre notre questionnement sur la ville avec la réalité de chaque continent, nous devons examiner la question du verdissement dans le contexte d’une abondance de ressources (eau, espace, financement, climat, etc.) et d’un niveau de richesse qui permet une qualité de vie urbaine enviable sur notre territoire.

 

Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut pas « prendre soin de notre jardin ». Chaque territoire étant un écosystème, chaque communauté appelle à des solutions originales. Dans les pays nordiques, on a un grand avantage climatique qui facilite le verdissement (une pluviométrie équilibrée, une nature adaptée à des conditions rigoureuses, des milieux moins denses et peuplés). Néanmoins, les conditions qui favorisent un verdissement optimal ne sont pas facilement réunies. Ce n’est pas parce que c’est facile en apparence qu’on arrive à le faire sans effort.

 

Des constats qui parlent

 

À Montréal, on peut faire un parallèle entre la notion de « désert alimentaire » et la carence de verdissement dans la ville. On observe que la population est de plus en plus citadine et vit dans un environnement plutôt restreint (rien à voir avec le territoire du Québec qui offre la proximité de milieux naturels immenses) et massivement construit. C’est directement dans le milieu de vie de la population qu’il faut offrir une végétation de qualité qui réponde aux besoins de base des citoyens. Techniquement, la végétation contribue à la qualité de l’environnement immédiat de l’être humain sur deux principaux plans. Elle absorbe une grande proportion des poussières dommageables pour le poumon et le cœur des mammifères (êtres humains compris) et protège l’espace extérieur des excès de température par une climatisation naturelle provenant de la canopée végétale.

 

Par ailleurs, l’amplification des changements climatiques a de nombreux effets désastreux. Ils modifient le régime des pluies et amplifient les problèmes de surcharge des réseaux d’égout. Au niveau hydrique, on observe de plus nombreux épisodes d’inondation de bâtiments, d’érosion et de ravinement des terrains, de surverses d’eaux usées dans les cours d’eau. La végétation compense partiellement ce déséquilibre.

 

Lorsqu’on y regarde de plus près, la végétation joue également un rôle en rapprochant l’humain d’une expression du vivant très apparentée au comportement humain. Elle lui offre le miroir du rythme de la vie : caractère saisonnier, fructification, reproduction, dormance, etc. Certes, ce niveau directement perceptible agit inconsciemment mais il a des effets indéniables sur « l’homo urbanus » et sur ses comportements.

 

Ces constats sont suffisamment parlants pour orienter l’action vers le verdissement comme une piste d’intervention à long terme.

 

Le verdissement, quelle est sa mission ?

 

La Société de verdissement du Montréal métropolitain (Soverdi) a dû se poser cette question tout au long de sa progression. Soverdi  existe depuis 1992 avec un statut d’OBNL dédié à la plantation d’arbres à Montréal. L’organisme a été créé avec le concours d’un programme fédéral de verdissement. Depuis 2005, une réflexion globale a permis de recentrer l’organisation sur le développement durable en milieu urbain. S’il est assez évident que le verdissement contribue à enrichir la biodiversité végétale (ajouter aux arbres des arbustes, des vignes, etc.) et à assurer la présence d’une nature vigoureuse sur le territoire urbain, il a fallu l’arrimer avec les deux autres dimensions du développement durable : l’économie et la société. Dorénavant, le verdissement se situe dans un nouveau paradigme du mieux-être social en utilisant la plantation pour agir sur le rapport social entre la communauté et ses lieux de vie. La dimension économique y est également étroitement reliée, notamment en matière de sécurité publique, de santé publique, d’économie d’énergie et d’infrastructures.

 

Comment travailler au verdissement d’une ville ?

 

Verdir en milieu urbain est comparable à de la haute couture ; chaque projet est fait « sur mesure ». Chaque intervention soulève ses questions et permet d’évoluer vers une réalisation « intelligente » et qui n’est surtout pas « standardisée ». Pour verdir Montréal, il faut de l’audace car le territoire est grand, largement privatisé, et aménagé pour des vocations autres que le verdissement. Le territoire urbain est complexe et varié, telle une jungle, en raison de la diversité de ses écosystèmes massivement humanisés. Il faut intervenir partout et même là où personne ne vit. Car les grandes industries, les réseaux (autoroutes, lignes de transport d’électricité et ferroviaire), les centres commerciaux sont autant d’îlots de chaleur qui influencent le climat du territoire.

 

La Soverdi s’est progressivement dotée d’un certain nombre de moyens pour y parvenir.

 

Il fallait réunir les conditions du succès. En voici quelques-unes :

  • Une bonne connaissance du territoire et la persévérance dans l’action ;
  • L’idéalisme de la vision et le pragmatisme des interventions ;
  • La solidarité et la variété des partenaires et des collaborateurs dans chaque réseau de l’occupation du territoire (industrie, récréation, commerce, habitat, santé, culture) ;
  • Un rôle clair de relais entre les besoins du milieu et la capacité d’engagement de partenaires (financement ou services) ;
  • Des projets pouvant s’étaler sur plusieurs années et qui permettent d’accompagner le rythme et l’ambition du partenaire ;
  • Un financement créatif et humaniste, où la politique de mécénat des entreprises côtoie le subventionnement institutionnel, où chacun met l’épaule à la roue selon ses moyens et qui crée un réseau d’alliés qui soutient les projets qui sont en lien avec ses valeurs ;
  • Des stratégies de mise en œuvre originales et ambitieuses où agir localement est compatible avec une action intégrée à l’échelle régionale (Le réseau des corridors verts, l’alliance des réseaux d’intérêt, le plan d’action Forêt urbaine, les forfait d’aménagement, etc.) ;
  • Des résultats tangibles et une performance vérifiable des méthodes de réalisation dans un processus d’apprentissage continu.

 

C’est le détail qui fait la différence !

 

Parmi ses nombreux projets, la Soverdi gère une partie du Plan d’action Forêt urbaine de la Ville de Montréal avec la plantation de 180 000 arbres en milieu privé et institutionnel sur une période de dix ans (2015-2025). C’est un grand défi, mais la capacité de livrer est au rendez-vous et l’intérêt collectif pour le verdissement se confirme.

 

Pour atteindre cet objectif ambitieux, la Soverdi a dû resserrer son champ d’action. L’intervention est orientée vers le privé et l’institutionnel non municipal (qui constitue 60 % du territoire qui peut être verdi dans une municipalité urbaine typique du Québec) et dispose du soutien de la Ville de Montréal et de ses arrondissements. L’intervention est centrée sur un objet unique, la plantation d’arbres, mais elle est associée à la capacité de conseiller et de soutenir le processus décisionnel sur l’ensemble des dimensions du projet (planification, financement, conception, réalisation, etc.). Les propriétaires désireux de planter profitent d’un accompagnement dans leur cheminement et le verdissement prend la couleur et la signature du site en fonction de leurs attentes. Planter n’est pas un geste idéologique, c’est une pratique complexe qui a un nom : le design végétal. C’est aussi une compétence au service du besoin de mettre de la beauté dans les lieux que l’être humain occupe en majorité, la ville.

 

Verdir, c’est aussi faire l’apprentissage de l’environnement urbain. Pour intervenir en milieu urbain, il faut respecter les caractéristiques des sites où on intervient. Soverdi a dû apprendre à planter différemment et à améliorer ses pratiques d’intervention. Depuis la création de l’organisme, la compréhension des techniques de plantation est en constante évolution (multistrate, plantation mixte, amendement de sol, adaptation au sol). Le suivi des projets nous apprend à mieux exploiter la physiologie végétale pour son adaptation aux conditions du site et la notion du bon « végétal » au bon « endroit ». Chaque site commande d’expérimenter et d’adapter les meilleures pratiques de verdissement développées en milieu urbain.

 

Pour accomplir sa mission, la Soverdi s’est dotée d’un cadre assez simple. En voici quelques clés :

 

Une stratégie végétale

 

À titre d’exemple, la Soverdi travaille avec une plantation adaptée aux conditions du site, d’une taille minimale de 1,70 m (souvent plus) et d’une palette de plus de 90 espèces. Par ailleurs, la Soverdi a signé des contrats de production auprès des pépinières québécoises pour assurer la disponibilité des espèces et des calibres de plantation à coût compétitif avec le marché étranger (Canada et États-Unis). Sur l’île de Montréal, une pépinière de transit permet d’assurer l’approvisionnement continu des projets sur le territoire.

 

Une organisation souple, légère et à échelle humaine

 

L’équipe est limitée à cinq personnes à temps plein. L’organisation intègre à son expertise la diversité des compétences et a recours à des spécialistes qui la complètent. Elle s’entoure d’un réseau étendu de partenaires – l’Alliance forêt urbaine– et travaille dans une attitude de transparence avec chaque acteur et chaque partenaire. Disons que c’est une vision de simplicité « structurelle » volontaire dans un contexte de réseautage optimal. La Soverdi est d’une grande agilité dans ses opérations, d’où sa capacité de répondre rapidement à la demande.

 

Une vision des affaires différente 

 

L’organisation a défini un créneau de marché atypique auquel elle se tient et qui constitue sa « signature sociale ». Sans se définir comme entreprise d’économie sociale, la Soverdi a orienté ses projets vers des contributions que le marché privé ne peut servir utilement (recherche de subvention, projets étalés sur plusieurs années, aménagement ponctuel sur une grande diversité de sites, etc.). Ceci implique que le coût d’intervention soit constamment adapté à la capacité de payer et à la participation variable du bénéficiaire.

 

Au niveau de la communauté, une règle sous-tend l’engagement des équipes de travail, celle de fournir de l’emploi local. D’où une recherche d’utiliser les talents de la communauté pour se qualifier par l’emploi, par l’engagement de la communauté (institution, école, groupe, etc.) et plus largement, par la prise en compte des besoins du site au-delà de la plantation.

 

Une productivité exceptionnelle

 

Un simple regard sur la décennie qui se termine (2006-2016) offre un bilan éloquent du dynamisme démontré par la Soverdi. Parlons de résultats sur le terrain :

 

  • La relance du mouvement des ruelles vertes ;
  • Une nouvelle approche du verdissement des cours d’école « abandonnées depuis plus de 40 ans » en limitant le coût d’immobilisation et en multipliant les projets ;
  • De nouveaux segments de verdissement dans un quartier : les industries et les lieux de résidence en soins de santé ;
  • De nombreux CHSLD et autres institutions ;
  • Des centaines de projets (une croissance continue avec une centaine de projets en 2015) ;
  • Plus de 40 000 arbres plantés depuis 2007 à Montréal, sur des sites privés ;
  • En carnet de commande planifié avec ses partenaires, la plantation de 45 000 arbres pour les trois prochaines années.

 

Où en sera le verdissement dans trente ans?

 

Actuellement, l’action est dans le verdissement de site mais la préoccupation de l’aménagement du territoire est à nos portes. Il débouche sur le concept de réseau de corridors verts de la métropole.

 

Il s’agit d’un projet ambitieux à échelle humaine avec la concertation des partenaires et de leurs projets dans la création d’une trame verte, un réseau d’espaces verts rejoignant tous les quartiers de la ville. Le projet se donne comme but :

 

  • De créer une canopée importante couvrant 30 % du territoire désigné comme Réseau vert montréalais ;
  • D’assurer la distribution démocratique du verdissement, particulièrement dans les coins de la métropole qui manquent d’arbres et de parcs ;
  • De rejoindre les attentes de la collectivité en ramenant la nature en ville près de l’école, de la maison et de la vie communautaire ;
  • De faire participer les propriétaires et les entreprises qui voient l’avantage de ce type d’aménagement avec une meilleure qualité de l’air et la valorisation des secteurs industriels ;
  • La création d’un réseau de corridors verts qui sillonnent la métropole et traversent l’île sur plus de 140 kilomètres et d’une largeur de plus de 500 mètres ;
  • Le réseau récréatif local et régional qui s’y relie – sentiers pédestres, pistes cyclables et autres équipements collectifs ;
  • L’augmentation de la canopée grâce à une stratégie collaborative (d’une superficie de 60 km carrés six fois supérieure à celle du mont Royal).

Participez au mouvement et engagez-vous dans cette mission sur votre territoire. C’est plus qu’un rêve, c’est un projet qui vous interpelle !

 

 

Marie-Claude Robert est architecte paysagistes (AAPQ) et membre du conseil d’administration de la Société de verdissement du Montréal métropolitain depuis 2001

 

 

Soverdi.org

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Voir à Montréal Nord le corridor vert des cinq écoles, un projet qui illustre l’application de la méthode Soverdi 

 

Suggestion de lecture : le livre de François Reeves, Planète cœur, Éditions Multimondes, 2011

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