Par Marie-Pierre Genest
J’habite un quartier de déshérités
le désir tué dans le temps de le dire
au fond des yeux trop grands trop petits
trop vite vidés de leur battement
des yeux fixés de peine et de misère sur des corps en bataille
visages sans regard
qui déambulent
les lèvres à terre et le cœur dans les talons
J’habite un quartier de déshérités
le désert qui descend par à coups
dans les gorges les trachées
qui descend jusqu’aux poumons
et ils respirent encore
comme si ça se pouvait
d’un souffle trop rare trop sec
un souffle suspendu par un fil sur une voix en cavale
qui crache du sable
quand on lui demande son nom
J’habite un quartier de déshérités
le délire triste qui pendouille
au bout des bras trop longs trop courts
trop habitués à la dérive
des bras accrochés par des clous sur des épaules disloquées
et qui font cercle
comme on ferait muraille
J’habite un quartier de déshérités
la débâcle des nerfs des tendons des muscles
la débâcle dans des jambes trop grosses ou trop maigres
collées au hasard sur des fesses fatiguées
des jambes qui s’enfargent s’emmêlent
tournent et détournent leur chemin
mais qui avancent
autant que faire se peut
un pas c’est déjà beaucoup
c’est mieux que rien
mieux que de rester planté là
dans le dur du trottoir et de la vie
J’habite un quartier de déshérités
le destin porté de travers sur des dos de débardeurs
trop droits trop croches
trop maganés par des cargaisons de déboires
des dos soudés de force sur des rêves en déroute
avec des vertèbres rouillées qui grincent dans le détour
pas moyen d’avoir de l’air entre les omoplates
du vent dans le désespoir
du lousse dans les hanches
du flou dans l’aventure de vivre
J’habite un quartier de déshérités
pis des fois, oui, quand je sors de chez nous
j’ai le goût de me cuirasser
de me barder de fer
de me caparaçonner comme un Don Quichotte de ruelle
d’enfourcher un destrier pis de chevaucher
oui, de chevaucher plus vite que la misère
Des fois, oui, quand je sors de chez nous
j’ai le goût de m’emmitoufler dans une pellicule transparente
de m’encapuchonner de légèreté
j’ai le goût de m’enrubanner de la tête aux pieds
dans le petit je-ne-sais-quoi de l’élégance
juste pour être capable de temps à autre
de passer
oui, juste de passer
translucide
comme une chaude pluie d’été sur la ville en vacances
de passer, oui
avec nonchalance
***
Artiste de la parole performée, Marie-Pierre Genest est, selon les heures, poète, slameuse, conteuse, comédienne et animatrice d’ateliers. Elle enseigne aussi la littérature au collégial. Montréal ─ses beautés, ses laideurs, ses élans, ses curiosités─ constitue depuis longtemps son espace de vie et de création.