L’utopie est dans les prés

Par Lise-Anne Léveillé

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Figure 1 Communauté adoptant des pratiques agroécologiques, Potosí, Bolivie.

Autosuffisance et forêts vibrantes

Des femmes représentantes

Des cultures diversifiées et vivantes

Tout comme les semences

Des communautés autogérées

Des terres redistribuées

Une eau propre en quantité

L’utopie est dans le pré

Dans un monde où l’avenir paraît sombre, le système agroalimentaire industriel dominant contient et représente les failles du système capitaliste. « L’ouverture » des marchés entraîne une déréglementation favorisant un modèle d’exportation et l’adoption de cultures industrielles. Les effets sont dévastateurs sur l’alimentation, les communautés, les paysan-nes et l’environnement. Polanyi (1944) nous disait que tout mouvement, tel que celui de libéralisation qui cause le passage de l’agriculture comme mode de reproduction sociale à une activité économique capitaliste et industrielle déconnectant l’agriculture de son cadre social, culturel et écologique, entraîne un contre-mouvement. De fait, la résistance est fertile et s’oppose au modèle stérile en redonnant le contrôle du système agroalimentaire à ses acteurs les plus importants : les paysans et paysannes. Bien qu’ils soient marginalisés, ceux-ci nourrissent toujours 70% de la planète en ayant accès à 30% des terres (Grain 2014). En 10 000 ans d’agriculture, les paysan-nes ont démontré une grande capacité à s’adapter, à innover et à défendre leur territoire et leur mode de vie. Aujourd’hui, les paysan-nes s’organisent et proposent des alternatives basées sur leurs connaissances. Le contrôle de semences par les paysan-nes et la conservation de la biodiversité agricole par la recherche participative est un exemple concret de mise en pratique d’un système pouvant sembler utopique, basé sur la souveraineté alimentaire et semencière. Au Honduras et au Canada, des agriculteurs et agricultrices créent de nouveaux savoirs et par le fait même définissent de nouveaux liens à leur territoire et leur communauté et nous laissent entrevoir que l’utopie est dans le pré.

Semences et souveraineté alimentaire

Articulée par La Via Campesina, la souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles (Nyéléni 2007). Elle propose une réorganisation radicale du système politique et économique. La construction de la souveraineté alimentaire repose sur trois composantes principales interconnectées : le bien-être socioéconomique, l’écologie, et la gouvernance démocratique (Massicotte 2014, 369).

Démocratie participative et bien-être socioéconomique et culturel

Le libéralisme intensifie la marchandisation haussant le contrôle corporatif sur le régime agroalimentaire au détriment du pouvoir citoyen (Bello et al 2010; McMichael 2008 ; Weis 2007; Rosset 2006). Six compagnies contrôlent 75 % du commerce international des semences et des pesticides (ETC group 2015). L’absence de justice alimentaire et la perte de contrôle des communautés sur leurs propres systèmes alimentaires sont à la source de profondes problématiques sociales et de soulèvements populaires tels que ceux insufflés par la crise alimentaire de 2007-2008. La composante démocratique de la souveraineté alimentaire met l’accent sur la volonté des paysan-nes de reprendre le contrôle sur leur régime agroalimentaire, soit le « quand », « où » et « comment » de leurs pratiques agricoles (Massicotte 2014, 371). Le droit de contrôler le cycle agricole, dont la production, conservation et échange de semences, implique la décentralisation de la prise de décision afin de permettre aux populations de participer à la construction des régimes agroalimentaires qui les affectent et dont ils font partie. Il faut, dans cette optique, revitaliser les processus démocratiques participatifs, culturels et écologiques permettant aux populations de faire ces choix (McMichael 2008, 266 ; Holt-Giménez et Patel 2009, 84 ; Pimbert 2010, 18).

La composante bien-être socioéconomique de la souveraineté alimentaire fait référence au rôle de production et de reproduction sociale des petits agriculteurs-trices. La souveraineté alimentaire propose une alternative à la dislocation des communautés rurales en s’appuyant sur la création d’emplois justes et culturellement appropriés et des systèmes d’approvisionnement alimentaires locaux (Massicotte 2014, 369).

Environnement

La composante écologique de la souveraineté alimentaire fait référence au rôle de gardien de la terre et des ressources naturelles des paysan-nes par une variété de pratiques productives et culturelles (Massicotte 2014, 370). Alors que les pratiques agricoles industrielles exacerbent les changements climatiques en produisant jusqu’à 50% des émissions des gaz à effet de serre (GRAIN 2016), l’agroécologie, aussi appelée agriculture écologique, est une approche holistique de la production alimentaire qui respecte la nature. L’agroécologie se définit comme « l’application de concepts et principes écologiques à la gestion durable des agroécosystèmes » (Altieri 2010, 121). Les pratiques agroécologiques protègent la biodiversité menacée : le système industriel a entrainé une perte de 75% de l’agrobiodiversité depuis le début du siècle (FAO 1999) en priorisant la monoculture et l’uniformité : 75 % de l’alimentation mondiale repose donc sur huit céréales, alors que 80 000 sont comestibles. Cette perte de la biodiversité diminue les ressources génétiques nous permettant de nous adapter, mais représente aussi une perte de plantes sacrées et culturellement significatives parfois liée à des pratiques agricoles traditionnelles et historiques.

L’utopie en pratique / appliquée

Ce que les agriculteurs et agricultrices du monde entier partagent, c’est l’intérêt pour la diversité et le contrôle de leurs semences.  Marvin Gomez, agronome, Honduras.

La mise en pratique de la souveraineté alimentaire pour la construction de régimes agroalimentaires alternatifs peut prendre diverses formes concrètes : les priorités dépendant des contextes particuliers où la souveraineté alimentaire s’implante. Néanmoins, les semences (leur production, conservation, distribution) doivent être et sont au cœur de cette transformation. La façon de produire les semences influence la qualité nutritionnelle et la quantité produite d’aliments. La façon de les échanger influence les dynamiques de pouvoir entre les différents acteurs des systèmes agroalimentaires et les revenus des agriculteurs-trices. La façon de les conserver influence la capacité de résilience du système agroalimentaire, car les semences sont au cœur de la conservation de la biodiversité agricole. Redonner le contrôle des semences aux paysan-nes, est une des bases importantes pour la construction de pratiques de souveraineté alimentaire.

L’agrobiodiversité est caractérisée par l’ensemble de variétés et cultures à la disposition des agriculteurs-trices la cultivant. Cette biodiversité peut être augmentée par l’introduction de variétés ou le développement de nouvelles variétés de culture. La biodiversité agricole offre une meilleure résistance aux conditions météorologiques exceptionnelles liées aux changements climatiques (Letter 2003 cité dans Bauta 2013). La diversité génétique des variétés appartenant à même espèce de culture permet aussi à celle-ci de s’adapter à des conditions comme de nouvelles maladies et un environnement en évolution (Frankel 1974 cité dans Bauta 2013).

Les paysans-nes qui cultivent 7000 cultures différentes sont les gardiens ancestraux de cette diversité. Les variétés cultivées sont liées à l’histoire des sociétés et ont souvent une signification culturelle. Leur rôle dans l’utilisation et la multiplication de la diversité agricole est essentiel. Selon l’agroécologie, les paysan-nes et les scientifiques doivent travailler main dans la main pour développer des pratiques alliant tradition et innovation qui valorisent l’eau, les sols la faune et la flore. En matière de semences, la recherche participative permet de développer des variétés adaptées localement, et accroître la base des ressources génétiques disponibles pour la production alimentaire en construisant et/ou renforçant des réseaux locaux de semences. Deux méthodes principales permettent le développement de cette recherche participative : la sélection variétale participative et l’amélioration phytogénétique participative. Ces deux pratiques révolutionnent la construction du savoir scientifique en revalorisant les savoirs détenus par les agriculteurs et agricultrices, souvent sauvegardés par les méthodes traditionnelles agricoles et expressions culturelles.

La sélection variétale participative est un ensemble de techniques facilitant l’accès à différentes variétés par les fermiers qui peuvent par la suite les sélectionner selon leurs propres critères de sélection, tel que les rendements lors de conditions climatiques variables (plasticité) (Bauta, 2013, 3). Les agriculteurs-trices ont accès à une grande diversité de matériel génétique, provenant parfois des banques nationales de gènes, qu’ils plantent dans des champs tests, familiaux ou communautaires. S’ensuit un processus d’observation au fil de la saison pour voir les capacités des différentes variétés à s’épanouir dans les conditions locales propres à la terre et aux pratiques agricoles.

L’amélioration phytogénétique participative est une méthodologie établie pour que les agriculteurs-trices puissent créer de nouvelles variétés. Elle se distingue de la sélection conventionnelle par le développement d’un processus complet est axé sur un dialogue et une collaboration entre agriculteurs-trices et scientifiques. Accompagnés par des chercheurs ou agronomes, les agriculteurs-trices déterminent qu’elles sont les cultures et les pratiques à travailler. Ils identifient les caractéristiques qu’ils recherchent et sélectionnent des plants qui y correspondent, après le croisement de variétés existantes. Ils multiplient ces plantes qui correspondent à leurs attentes. En obtenant une stabilité et une population suffisante, ils développent de nouvelles variétés. Des études montrent que ce processus permet d’obtenir des variétés offrant un meilleur rendement que celles issues d’une sélection conventionnelle, surtout dans des conditions biologiques, hétérogènes ou exigeantes (Bauta 2013, 3).

Ces deux méthodes sont souvent combinées et forment des espaces pour poser les premiers jalons d’un système semencier contrôlés par les agriculteurs-trices. Des espaces créatifs où la science ne répond plus aux besoins des multinationales, mais de ceux qui cultivent la terre et en récolte ses fruits. Que ce soit au Honduras ou au Canada, ces lieux apparaissent, forment une brèche dans le modèle industriel et laissent entrevoir la possibilité d’une transformation radicale où la recherche contribue à l’atteinte de la souveraineté alimentaire.

Honduras: Art et savoir au service de la communauté

L’insécurité alimentaire est une réalité des terres montagneuses du Honduras connue sous le nom « los junios», d’après la période où la disette arrive. Des stress climatiques récurrents tels que les ouragans ou la sècheresse affectent les récoltes (Humphries 2015). FIPAH, la « Fundación para la Investigación Participativa con Agricultores de Honduras », croit que la réponse à ces problématiques réside dans les semences. L’organisation a établi un important réseau de recherche participative avec des comités locaux de recherche agricole (appelés CIAL en espagnol). Les CIAL sont des communautés d’agriculteurs bénévoles qui font des recherches basées sur les besoins de leur communauté. Ils identifient des solutions concrètes à des problèmes locaux. Ils expérimentent, analysent, évaluent les alternatives et stimulent l’innovation. Ils réussissent à créer des liens et influencer l’agenda des institutions de recherches et autorités locales (USC Canada 2016).

Le fonctionnement des CIAL respecte les principes et processus de recherche : les agriculteurs-trices adhèrent à une méthodologie rigoureuse. Les CIAL reçoivent un appui technique, mais au contraire de la recherche privée, les agriculteurs-trices sont les principaux récipiendaires des résultats de leur propre recherche. Beaucoup d’avancées ont été faites pour le développement de nouvelles variétés de maïs et de fèves adaptées aux conditions locales. Par exemple, la création de la fève Don Rey, en l’honneur du fermier l’ayant développé, est maintenant enregistrée et distribuée à l’échelle nationale. En participant aux activités du CIAL, Don Rey a identifié et cultivé une lignée possèdent les caractéristiques qu’ils recherchaient : un bon goût, une longue vie « en pot » (non réfrigéré), une cuisson rapide, une maturation précoce et une gousse rouge facilement identifiable au moment de la récolte (Humphries et al 2015). En développant une variété adaptée à leurs besoins, les agriculteurs-trices embrassent leur culture, leur territoire et développent un sentiment de fierté par rapport à leur travail.

Une étude sur les impacts des CIAL a démontré que les familles participantes avaient augmenté la disponibilité d’aliments dans leur ménage et les temps de disette ont diminué de 5.63 semaines à 1.63 semaine par année (Classen et al. 2008). L’atteinte de la souveraineté alimentaire passe par la construction de cette sécurité alimentaire communautaire respectueuse du talent savoir-faire paysan.

Au-delà de la sécurité alimentaire, les participants récoltent de multiples améliorations sociales. Les CIAL refaçonnent le partage et la construction du savoir. Le travail des comités se fonde principalement sur le savoir et la culture des agriculteurs-trices :

Figure 1 Transmission intergénérationnelle (C) USC Canada
Figure 2 Transmission intergénérationnelle (C) USC Canada

Nous avons beaucoup de respect et d’amour pour les semences paysannes. Une variété locale est une variété cultivée depuis longtemps par les paysans. Nos ancêtres ont planté ces variétés. Nous devons protéger notre culture et les conseils que nos ont données nos grands-parents. C’est pour ceci que nous conservons nos variétés soutient un agriculteur participant (cité dans USC Canada 2015).

Ces comités sont aussi lieu au respect des traditions et de transmission intergénérationnelle des connaissances. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre la diversité, si nous perdons quelques variétés, nous pourrions perdre des plantes très importantes pour notre futur » affirme un agriculteur participant (cité dans USC Canada 2015). Le respect s’établit également entre les chercheurs et les membres des CIAL. Un agronome accompagnant les CIAL constate : « Les agriculteurs et agricultrices produisant des semences sont à la fois artistes et scientifiques ». En valorisant les savoirs locaux et en améliorant les pratiques traditionnelles, la recherche contribue au développement du pouvoir citoyen essentiel à la création de systèmes agroalimentaires axés sur la souveraineté alimentaire.

Les impacts sociaux comprennent également le développement et valorisation du travail des femmes et de leur leadership communautaire. Les comités créent un espace où les hommes et les femmes peuvent surpasser les rôles genrés inégalitaires (Humphries et al 2008). Ce sont des espaces de reconnaissance des connaissances et cultures des femmes et d’accès à des ressources comme des parcelles pour la production agricole (Dalle et al 2015). Des agricultrices en témoignent : « Je crois que les femmes nous pouvons également travailler et cultiver, pas seulement les hommes. J’aime beaucoup travailler la terre, pour ne pas dépendre de personne et être indépendante » (cité dans USC Canada 2015). « Nous avons beaucoup appris en travaillant, cela me donne le goût de continuer à travailler la terre » (cité dans USC Canada 2015). Au sein des CIAL, on reconnaît que les participantes ont des besoins, voire des priorités différentes, et on leur permet de sélectionner les variétés à produire selon celles-ci.

Figure 3. Comité de jeunes (c) FIPAH
Figure 3. Comité de jeunes (c) FIPAH

Finalement, l’effet émancipateur des CIAL se reflète particulièrement au sein des groupes de jeunes. Vivant dans un contexte de forte émigration des jeunes vers les villes, les comités jeunesse ont identifié la génération de revenus comme priorité pour leurs groupes. Le CIAL ne se limite pas à la sélection ou à l’amélioration phytogénétique participative : les groupes sont devenus des lieux d’apprentissages techniques sur la production de compost et de pesticides biologiques, mais aussi sur l’organisation et la gestion de coopératives. Certains jeunes ont par la suite créé de petites entreprises tels une pépinière et un lieu d’entreposage pour les récoltes locales.

L’organisation FIPAH et les CIAL ont réussi à créer des lieux d’expression pour les jeunes et les femmes, mais surtout des lieux d’expression de la culture, la créativité et de définitions des besoins communautaires. La fin de la marginalisation est centrale à la création de cette souveraineté alimentaire.

Sécurité semencière canadienne :

Réappropriation du territoire par la sélection

Des variétés adaptées aux conditions locales sont encore cultivées sur de petites fermes du Honduras et ailleurs, mais dans les régions industrialisées comme l’Europe et l’Amérique du Nord, presque toutes les variétés élaborées et cultivées par les agriculteurs-trices ont disparu au cours du dernier siècle (Jarvis, 2008). Au Canada, les agriculteurs-trices dépendent principalement de semences cultivées dans des conditions contrôlées et à des fins d’uniformité et de rendement, avec une utilisation régulière d’intrants synthétiques (Lammer 2011 cité dans Bauta 2016). Ces dynamiques donnent lieu à un système semencier vulnérable (intempéries, insectes et maladies) peu adapté à l’agriculture biologique diversifiée.

Figure 3 Sélection participative de pommes de terre  (c) Initiative bauta sur la sécurité semencière
Figure 3 Sélection participative de pommes de terre
(c) Initiative bauta sur la sécurité semencière

(c) Initiative bauta sur la sécurité semencière

Dans ce bastion de l’agriculture industrielle germe un mouvement agraire, à la fois social et économique. Inspirée par le travail d’USC Canada en matière de sécurité semencière dans les pays du Sud tel que le Honduras et de Semences du patrimoine au Canada, se forme l’initiative Bauta sur la sécurité des semences au Canada. Ce programme vise à transformer le système semencier pour le centrer sur les besoins des agriculteurs-trices. Pour que le programme soit réellement participatif et que les agriculteurs-trices aient un réel impact sur la direction du programme, une consultation nationale a été organisée pour connaitre leurs intérêts et les besoins en matière de matériel génétique (Bauta 2013). Le programme collabore avec des agriculteurs-trices, organisations et universités pour atteindre les objectifs suivants :

  • Accroître la qualité, la quantité et la diversité des semences biologiques cultivées au Canada.
  • Promouvoir l’accès public aux semences
  • Faciliter le partage d’information et la collaboration entre les personnes et les organismes dévoués à l’avancement d’un système de semences varié et écologique au Canada.
  • Respecter, développer et favoriser le savoir des agriculteurs-trices en matière de semences et de production alimentaire.
  • Élaborer des variétés adaptées à l’agriculture écologique et aux différentes régions canadiennes.
  • Créer un système de semences qui fournit des fondements solides en matière de sécurité alimentaire, de résistance au climat et de communautés locales dynamiques.

Loin de l’approche de recherche agricole fortement descendante (top-down), le programme a eu pour effet de changer le statut des agriculteurs-trices participants : ils n’en sont plus les destinataires, mais plutôt des collaborateurs essentiels.

Le programme facilite la sélection et l’amélioration de variétés par les agriculteurs-trices canadiens en production biologique, une pratique innovatrice dans ce contexte. Cette méthodologie a été principalement développée dans les pays du Sud global pour aider à répondre aux besoins des agriculteurs-trices travaillant sur des terres qui s’écartaient considérablement des conditions « idéales » observées dans les postes de recherche où bon nombre de variétés sont créées (Bauta 2013, 1). Plus de 170 agriculteurs-trices ont participé aux travaux de sélection et d’essai sur des variétés de blé, maïs, pommes de terre, avoine et de plusieurs légumes : courge, tomates, fève, laitue, aubergine, radis, betterave, concombre, chou et poivrons.

Les impacts de ce jeune programme se font déjà sentir. Les populations sélectionnées par des agriculteurs-trices sont mieux adaptées à la production biologique que des variétés sélectionnées de manière conventionnelle. Les lignées de blé sélectionnées par les agriculteurs-trices offrent un rendement de 9% plus élevé et une meilleure vigueur hâtive que les témoins (Ertz, 2016 3). Les blés sélectionnés ont affiché également une meilleure valeur nutritionnelle par une plus forte de concentration de certains micronutriments (calcium, zinc, fer et manganèse) dans les grains que dans les cultures témoins (Ertz 2016, 2).

L’effet du programme sur ses participants est émancipateur : l’agriculteur reprend confiance en ses capacités et ses connaissances, et tisse des liens avec le territoire qu’il occupe. Un agriculteur participant au programme affirme « Je pense être un meilleur sélectionneur de plants et de semences. Mais ce que je trouve encore plus génial, c’est que l’on encourage les agriculteurs-trices à faire des sélections en fonction de caractéristiques qui sont avantageuses pour leur propre ferme. Appuyer la spécificité du lieu est la voie de l’avenir » (Bauta 2016). Les participants au programme développent des variétés qui les rendent indépendants du marché et assure une stabilité de l’approvisionnement pour le futur de variétés adaptées à leur contexte. Un semencier participant explique :

Nous participons à un essai de variétés de choux chinois à pollinisation libre, une trentaine de variétés. Si nous en trouvons qui fonctionnent bien, nous pourrons les produire chez nous et les utiliser. Je ne sais pas si nous pourrons trouver une variété parfaite qui existe déjà, sinon nous croiserons des variétés pour développer une population et sélectionner les choux qu’on aime. Dans quelques années nous aurons une variété adaptée pour nous autres. C’est important, car nous avons seulement accès à des variétés hybrides, dépendantes du marché. Si une variété devient moins populaire, les compagnies arrêtent de la distribuer et nous perdons l’accès à une variété qui fonctionnait bien. En conservant nos propres semences, on sait qu’on peut les avoir dans le futur.

Les agriculteurs-trices voient l’opportunité de créer des liens à long terme avec leur territoire en développant la spécificité locale de leurs semences.

En plus de changer la perception des agriculteurs-trices sur leur rôle dans le système, l’expérience est également transformative pour les chercheurs travaillant avec eux. Un chercheur participant s’exclame :

L’Initiative de la famille Bauta sur la sécurité des semences au Canada nous a permis d’adopter une approche beaucoup plus locale quant au développement des semences. Et je parle d’un développement considérable ! Nous ne faisons pas que tester certaines variétés. Nous créons du nouveau matériel génétique et les agriculteurs sont présents à toutes les étapes du processus (Bauta 2016).

Le processus transforme la façon de développer la recherche, la découverte n’est plus liée uniquement à sa valeur marchande. La recherche permet également le réseautage entre chercheurs et participants.

Au Honduras et au Canada, la recherche participative permet de développer de nouvelles variétés adaptées aux besoins des agriculteurs-trices et aux particularités de leur territoire. À la différence des variétés hybrides, les variétés ainsi créées sont à pollinisation libre. Cela signifie que les agriculteurs-trices peuvent conserver leurs semences et assurer l’accès à ces variétés à long terme. Ces recherches permettent aux agriculteurs de reprendre confiance en leurs savoirs et affirmer leurs besoins. En ce sens, la recherche participative contribue à la création d’une science citoyenne où le savoir se coconstruit. Cette co-création du savoir permet d’intégrer à l’agenda scientifique les préoccupations des agriculteurs et de changer la balance de la structure au sein de la recherche (Temper et als 2016, 43).

Conclusion

Les processus participatifs au sein des groupes de recherche sont catalyseurs de développement communautaire. Au Honduras, les comités locaux de recherche agricole ont permis aux agriculteurs-trices des régions montagneuses de développer de nouvelles variétés reconnues répondant à leurs besoins tout en créant des espaces de participations pour les femmes et les jeunes. En ayant accès à plus de ressources et à la possibilité d’innover, ils ont développé des opportunités économiques, mais aussi créé un espace d’expression sociale. Au Canada, les agriculteurs-trices participants se sont réapproprié le droit de produire des semences et imaginent la création d’un système local et régional, adapté à leurs besoins. Que ce soit au Canada ou au Honduras, le processus de recherche participatif débute par la prise de conscience des participants du pouvoir qu’ils ont d’innover, de créer des nouvelles variétés, mais de prendre possession de nouveaux espaces de partage communautaire.

En mettant en pratique dans la production de semences, les principes associés au discours de la souveraineté alimentaire, tels que l’agroécologie et la prise de décisions participatives, les paysan-nes démontrent que l’alternative peut naître au sein d’un courant dominant contraire. Ils reprennent une part du pouvoir en conservant les semences et l’agrobiodiversité. Leur rationalité ne se limite pas au calcul des coûts et bénéfices associés à l’économie marchande, mais à la création d’un système résilient et durable. Les agriculteurs-trices innovent, protègent la terre, dynamisent leur communauté, et promeuvent le savoir-faire paysan. La réalité se rapproche de l’utopie.

Lise-Anne Léveillé est gestionnaire de programmes – Amérique latine  chez USC Canada. Elle est aussi fervente locavore et apprentie paysanne dans la belle région de  l’Outaouais.

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