Par Marco Boudreault
hey, t’es indien toé
tu peux m’avoir des cigarettes
on sait ben
vous payez rien vous autres
vous chassez quand ça vous tente
vous restez à plusieurs dans vos maisons
payées par les gouvernements
vous avez rien à chialer
même pas besoin de travailler esti
la belle vie
vous êtes jamais contents
pis en plus
vous faites des barrages
st’écoeurant
le ski-doo, le quatre roues, le char
payés par de taxes
pas d’impôts
vous êtes gras dur
l’ignorance irréelle
vous avez donc oublié,
qu’il fut un temps
où nous partagions
les mêmes souffrances
vous avez donc oublié
que sans nous
vous n’existeriez pas
vous avez oublié
que nos sangs n’ont fait qu’un
vous avez oublié
que nous avons échangé
la même bannique,
la même sagamité
oui vous avez oublié
ou vous ne voulez pas vous rappeler
Nikanis
Nous avons vu au loin
L’horizon des montagnes
Partir en fumée
épaule à épaule
Dans l’éclat lumineux de la brise
Nos ennemies ont fui
Pendant de longs jours
Dans la purification de la solitude
Jeuner nous faisions
Nikanis
Nous étions en partie rêve
En partie feu
De l’Ahashu-sipiss (la rivière de la Corneille)
À Aissimeu-shipu (la rivière St-Paul)
Akamitshikamit (de l’autre côté de la mer)
Cousu de fil blanc
L’incompréhension a maçonné nos cœurs
À grands coups de tomahawks
Dans l’indifférence de l’un, de l’autre
Nikanis
Chacun de notre côté
Éloignés mais si proches
On a monnayé nos croyances
Des chemins pistés
Mendié notre pitance
Ignorant les cicatrices rouge sang
Nous nous sommes dénudés de sueur
Désappris le langage de nos premiers pas
Pour boire aux autres et non à nous
Nikanis
Il faut réapprendre à canoter
Sur la mémoire de ce que nous sommes
De ce que nous avons été
Écouter ce que l’autre a à dire
Réapprendre à nommer les portages
Pour suivre la même rivière
Aux racines des âges
Nos rives se rejoignent
Pour qu’à nouveau nous ne formions qu’un
Nikanis
Il nous reste la survivance
Pendus à nos raquettes
Pour noyer dans le blizzard échauffé
Ces colporteurs de belles idées
Même si nous sommes fatigués
D’avoir marché si loin
C’est nous qui décidons de notre sort
Deux peuples pour écoper
Les soirs de marée
Nikanis
Mamu (ensemble)
Nous serons maîtres
De nos mémoires affranchies
Reformer les mots de nos silences vifs
Marier nos retrouvances
Pour être non plus des nains de jardins
Mais des géants dans la toundra
Figure neuve d’un nouveau pays
Où le fleuve se rejoindra
Nikanis
Innu, M’icmaq, Anishnabe,
Atikamekw, Wabanaki, Cris,
Wendat, Mohawks, Inuit
métchif [i]
Territoire commun
Des paysages à la prose d’écorce
Nous portons le cœur des arbres
Des traditions des premiers pas
Ni-uikanisituna
***
Marco Boudreault est un poète qui danse avec les mots. D’origine innue et micm’aq, ses origines ont façonné sa personnalité. Né sur le bord du Saguenay et issu d’une famille de marins, sa poésie canote sur les rivières métaphoriques de notre imagination. Il portage sur les sentiers de son identité, de ce qui a été, de ce qui est, de ce qui sera toujours un éternel cercle.