Par Ève Marie Langevin
« De grands changements sont en train de se produire et c’est aussi la perception d’autres Autochtones. »
Widia Larivière
« Les Autochtones du Canada sont le socle de l’identité des Canadiens. »
Yves Sioui Durand
Ai, shé: kon, wachiya, waachiya, kuei, kwé(k8é), gwé, hi, bonjour*,
Un de mes aïeuls, Hector-Louis Langevin, un des fondateurs de la nation canadienne a aussi été un des instigateurs des pensionnats indiens1. Au nom de ma famille, je veux m’excuser profondément de ces souffrances infligées et implore le pardon des personnes et de leur famille. C’est cette importante découverte personnelle que mes recherches pour la coordination de ce numéro m’ont permis de faire2.
Les temps ont changé, n’en déplaise aux cyniques et aux éternels pessimistes. Ce qui apparaissait à l’époque être un « avancement » du point de vue des colonisateurs anglais et français qui se considéraient comme les seuls peuples fondateurs du Canada (!), apparait, depuis la fermeture du dernier pensionnat à la fin des années 1990 et surtout depuis la tournée de la Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones (2009-2015), comme un barbarisme sans nom. Depuis quelques années, les Canadiens commencent enfin à comprendre qu’il s’agissait d’une politique ignorante et raciste institutionnalisée par notre gouvernement au sein même des institutions juridiques, religieuses et policières et dans la population qui l’a supportée. Nous comprenons mieux qu’il s’agit d’une violence coloniale, et que cette violence avalée est perpétuée et perpétrée sur et par les siens dans un cycle qui a semblé infini. Et a bien failli exterminer des nations qui sont pourtant un trésor de l’humanité.
Heureusement, de nombreuses prises de conscience se font et se sont faites, et avec leur nombre grandissant, elles toucheront bientôt l’âme des peuples et l’ensemble de la société. Grâce à des voix comme Dominique Rankin et Marie-José Tardif qui ont témoigné ici des pensionnats autochtones avec quelques extraits de l’autobiographie de Rankin. Grâce à tous les auteur.e.s qui témoignent et informent dans ce numéro et à tous les autres que nous n’avons pu joindre… et à tous ceux et celles qui viendront pour la suite du monde.
Pendant le régime anglais, puis sous la coulpe des théories racistes, de sélection naturelle et d’eugénisme des 19e et 20e siècles, des mésalliances et des actions de domination et d’aliénation ont rendu les relations entre les nations du Canada très difficiles. Mais il n’en a pas toujours été de même. Il y a eu aussi amitié et partage.
Histoire d’amitiés
« Mais c’est cette histoire des alliances qui est inconnue. »
Yves Sioui Durand
Les débuts des relations autochtones-européennes semblaient pourtant prometteurs. Dans le film l’Empreinte3, l’historien Denys Delâge affirme que lors des premiers contacts officiels avec les Français (1603), les Amérindiens exigent qu’il y ait des mariages avec les colons. Selon l’historien David Hackett Fisher4, c’est également la vision de Champlain. Pour l’anthropologue, muséologue et ancienne chef de la nation abénaquise d’Odanak, Nicole O’bonsawin, la rupture de cette amitié franco-autochtone se situe à la Conquête (1760-1763) où la honte de soi et le sentiment de manque de reconnaissance de part et d’autre se sont insidieusement installés5. Dans de nombreuses familles, comme dans la mienne, on a caché qu’on avait des aïeux autochtones. Qu’en disent les historiens autochtones ? Tout un autre article serait à écrire.
Bien que ce numéro soit tourné principalement vers l’avenir des nations autochtones dans leurs nouvelles mouvances, il nous a semblé judicieux de faire quelques allers-retours vers le passé.
Avec le principal fondateur de la nation francophone d’Amérique, nous avons présenté le premier texte de Samuel de Champlain qui relate sa première rencontre avec les peuples d’Amérique appelés à l’époque par lui « les Sauvages », en référence à l’étymologie du mot : peuple des bois. Mais ces débuts considérables ne sont pas seulement un jardin de lys… Il y a eu aussi les attaques répétées à Lachine et à Montréal d’une autre nation autochtone qu’on a appelée les « Iroquois », notamment celle de 1689 à Lachine où des colons furent « massacrés » (?) et presque toutes leurs maisons brulées6, laissant les Montréalais ébranlés pour longtemps. Ici comme ailleurs, il y avait aussi des guerres et ces guerres avaient également lieu entre Autochtones, quoiqu’en disent les mémoires de Jacques Cartier en parlant des Indiens qu’il avait rencontrés comme ayant « l’âme aussi pure que des enfants »7.
« Pour la personne colonisatrice, qui reconnaît que sa propre position est illégitime et qui se sent coupable de cette situation, il y aura toujours la tentation d’évoquer la représentation du bon sauvage et de s’identifier à elle pour se sentir plus légitime. Cela a toujours été une tentation, même si je perçois moins souvent ce problème maintenant.»
Gerald Taiaiake Alfred
Faire ce numéro m’a remplie d’admiration pour les Autochtones, ce qui ne m’a pas empêchée d’exercer mon sens critique… qui m’a fait parfois perdre des amitiés auprès de militants… non autochtones parfois plus « catholiques que le Pape » et qui ont tendance à magnifier ‘paternalistement’ les Autochtones… qui ne sont pas exempts eux-mêmes de défauts, il va sans dire…
Des mots sauvages
En tant que linguiste-artiste-poète, il faut dire que suis particulièrement sensible aux sous-entendus porteurs des mots. L’incroyable variété de vocabulaire au sujet des Autochtones dénote « un délire lexical », comme le faisait judicieusement remarquer l’anthropologue Serge Bouchard à la radio. Une collaboratrice et réviseure de la revue, Christine Archambault m’écrivait récemment que « dans le dictionnaire historique de la langue française Le Robert (sous la direction d’Alain Rey), l’on peut suivre l’évolution du terme « Sauvage » ainsi :
« Adjectif d’abord, salvage (début XIIe siècle), puis sauvage (v. 1175), représente l’aboutissement du bas latin salvaticus, altération par assimilation vocalique du latin classique silvaticus « fait pour la forêt » et, en parlant des végétaux, « qui est à l’état de nature ». Cet adjectif dérive de silva « forêt, bois », « parc, bosquet ».
L’adjectif « qui s’écrit aussi en ancien français et jusqu’au XVIe siècle salvage, salvaige, saulvage » s’applique d’abord à des animaux puis progressivement à la gent humaine, au fil des voyages et des grandes expéditions aux buts religieux ou commerciaux.
Sauvage se dit (XIIe siècle) d’ermites ou de brigands qui vivent solitaires, généralement dans les bois. Cependant, dès le XIIe siècle, l’idée initiale de forêt tend à s’oublier, comme en italien pour forestiere qui en est venu à signifier « étranger ». Salvage, l’ancienne forme, est en effet attesté dans ce sens (1125), par une opposition sous-jacente entre la civilisation et la nature non défrichée (silva) représentant l’opposition entre la société où l’on vit et le monde extérieur. La gent salvage s’applique en particulier aux Sarrasins, opposés aux chrétiens dans le contexte des Croisades. Le mot comporte aussi, en ancien français, l’idée d’étrangeté.
Dès la fin du XIIe siècle (v. 1196), sauvage qualifie des êtres humains, des peuples considérés comme étrangers à toute civilisation. Le mot équivaut à peu près à barbare, à primitif. (…) …le bon sauvage (1592) syntagme attesté dès le XIVe siècle, concept développé et diffusé au XVIIIe siècle par Rousseau, témoignent du débat entre valeurs naturelles et valeurs sociales. À la même époque, les sauvages, en français désignent normalement les Amérindiens, et cet usage se maintiendra au Canada jusqu’au XIXe siècle8».
Alors que choisir ? Premières Nations ? Premiers Peuples ? Anaïs Janin notait que « Premières Nations » désignent uniquement les nations autochtones, tandis que « Premiers Peuples » inclut aussi les Inuits qui sont d’une migration différente et plus récente dans l’histoire du monde (et dont nous aurions voulu vous parler davantage dans ce numéro, mais le temps et les contacts nous ont manqué… partie remise !). Pour cette raison, « Autochtone » n’inclut généralement pas « Inuits », mais inclut souvent « Métis », comme étant une des nations autochtones, comme l’a bien fait remarquer Widia Larivière. Il n’empêche que les termes « Métis» (autrefois dit « Sang-Mêlé ») ou « métissage » sont encore empreints de sensibilités, voire de tabous ou de non-dits, comme l’affirmait récemment Nicole O’bonsawin dans une causerie organisée par le CPN-UQAM autour du film l’Empreinte. Et il n’est pas anodin que l’histoire des Métis de la terre de Rupert (Ouest canadien) avec Louis Riel soit passée aux quasi-oubliettes de l’histoire9. Une chanson à sa mémoire, « La Marseillaise rielliste », populaire à son époque est aujourd’hui complètement oubliée dans les archives.
Métissage ?
Je fais un certain parallèle avec les peuples noirs. « C’est en raison de cette stigmatisation que les premiers écrivains et poètes noirs francophones des débuts du XXe siècle ont rejeté catégoriquement le mot métissage, considérés par eux comme un concept colonial10» et leur ont préféré celui de « négritude »11. En contrepartie, dans les années 1990, le concept de métissage a trouvé sa dignité avec les auteurs de la « créolité »12. Toutefois, l’idée et les produits du métissage, s’ils semblent très opérants dans la culture populaire depuis plusieurs années, ont aussi leurs revers comme le montrent certains chercheurs13, car ils ont une acception souvent très superficielle. « Le capitalisme mondial incorpore la différence tout en la vidant de son sens premier » (S. Zizek)14. Ce qui rejoint aussi les préoccupations de Gord Hill quant à l’entrepreneuriat des Conseils de bandes et des chefs d’entreprises autochtones capitalistes.
Des mots (bis)
Mais revenons à la question identitaire de la façon de se nommer ou de nommer l’Autre. Alors… Amérindiens, Indiens, comme la loi du même nom ? Dépendant des périodes historiques. En contrepartie, parlant de la migration européenne, dit-on alors : « Blancs », « non autochtones », « allochtones », « Euro-Américains »? En revanche, Marie-Pierre Bousquet me faisait remarquer que les préoccupations sémantiques sont généralement plus le fait des non autochtones. Bref, nous avons opté pour ce numéro comme générique contemporain « Autochtones » et « non autochtones » ou parfois Amérindiens, selon la vision des auteur.e.s ou la période historique. Les mots sont vivants et polysémiques, ils changent, apparaissent, disparaissent au cours des temps. Il n’est pas difficile de prévoir que le mot « Autochtones » ne voudra plus dire la même chose dans un siècle… Néanmoins tous ces vocables dénotent une ‘désunité’. Avons-nous perdu le « sens commun » ?
« Pendant combien de temps encore on va être capable de vivre avec autant de souffrance ? Parce que c’est pas juste la souffrance des peuples autochtones, c’est la souffrance de tout le monde. On prend les questions autochtones, on les met comme si elles étaient à part. Elles sont pas à part… On vit tous ensemble. À un moment donné, ça déborde. C’est au cœur même de la Constitution canadienne, c’est au cœur de ce pays-là, c’est au cœur du Québec, c’est le fondement de notre histoire »15. Il poursuit : « On s’intéresse aux relations, mais la relation est comme ça (geste vertical) : t’es assis sur moi et tu veux qu’on parle de nos relations ? Y’en a un qui est gros qui est assis sur l’autre puis qui demande ‘comment ça va ?’… Veux-tu vraiment savoir comme ça va ? Ça va pas pantoute. Ça marche pas là !»
Pierrot Ross-Tremblay, dans le film Québékoisie
Les mots, tous les mots, s’ils ont été porteurs et sont encore porteurs de mensonges entre les personnes et entre les nations, peuvent être troubles et troublants. La recherche d’identité est certes un passage obligé pour les peuples en reconquête d’autodétermination individuelle et collective, mais ces mots et ces symboles doivent être portés avec sensibilité et vigilance. En effet, comme le dit Pierrot Ross-Tremblay, « les identités collectives sont souvent produites ou engendrées par les États pour se légitimer, pour mobiliser les gens » et peuvent mener aussi à des impasses, à plus d’intolérance, comme des pièges qui se referment sur eux-mêmes. Mais pas nécessairement non plus. Alors, qu’est-ce qui fait la différence entre un chemin collectif et un autre ?
Sur le plan familial et personnel, la transmission entre les personnes est fondamentale dans la construction de l’identité. Les peuples se rencontrent-ils vraiment un jour ou l’autre ? C’est peut-être le pari qu’avait fait jadis, au tout début de la colonie, Marc Lescarbot avec son théâtre incluant des personnages micmacs. C’est le pari du chef algonquien Léo Shetush en acceptant récemment comme frères et sœurs les Haïtiens. C’est aussi le pari de la Grand-mère Carole Briggs en nous partageant et nous invitant à la Cérémonie de la Pipe sacrée (Chanoupa). Mais… j’insiste. La rencontre aura-t-elle véritablement lieu ? Non… pas tant que l’On ne rencontre pas l’Autre en soi. C’est pourquoi les sections « spirituelle » et « culturelle » me sont apparues si nécessaires… un jour à la fois.
Comment s’y retrouver ? Le métissage est-il une voix et une voie ? Métissage : puissance et tabou à la fois ? Ou la thèse de la « fiction génétique » de Pierrot Ross-Tremblay et la fiction légale dont nous parle Charles-Félix Paquin ?
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Pourtant vous êtes là
De par ces temps énormes
Et après tous ces siècles
Où nos corps se mordaient
Où nos sens se repliaient
Finalement se déchirait le ciel
Sur nous vos larmes ruisselaient
Et ce vers quoi nous tendions depuis toujours (soudain)
Et que même remerciaient nos frocs-linges
Alors enfin venait en nous la grâce du mystérieux (9 octobre 2011)
Identité ?
Pourtant, pourtant, pourtant16 (comme dirait le poète Roland Giguère, un des fondateurs de la revue). Je cherche très fort à quitter les ornières de l’esprit d’un autre siècle ; les oppositions bien/mal, gentils/méchants et autres ont fait tant de ravages en perpétuant l’exclusion sociale et l’oppression. Quand va-t-on sortir enfin de ce dualisme cartésien aliénant ? Ne voit-on pas que la réalité est beaucoup plus subtile et complexe que cela ? En écrivant ces lignes, j’écoute en boucle la chanson de Louis-Jean Cormier « L’étau se resserre/ J’ai mal à ma mère aussi/ L’étau se resserre/ J’ai mal à mon frère aussi / L’étau se resserre/ J’ai mal à ma sœur aussi/ L’étau se resserre/ J’ai peur et mon père aussi. »
Mais les mots sont également porteurs de clarté et de vérité. Ils sont le centre d’intérêt des philosophes et des poètes. « Les écrivains amérindiens forcent les lecteurs québécois à se remettre en question, à affronter la différence à l’intérieur des frontières que tous considèrent comme les leurs », écrit Maurizio Gatti, comme nous le fait remarquer Jonathan Lamy en nous présentant des poètes autochtones : « L’identité n’est pas une parole en l’air, mais un passage à l’acte ». En requête identitaire, il importe de nommer le territoire, la vie quotidienne, les tourments intérieurs, la rage accumulée. Et d’agir dans le désir de ces poètes d’aller de l’avant, sans avoir besoin de « se dire » à tout moment, nous explique-t-il. Les artistes en arts visuels, présentées par Anaïs Janin montrent que les femmes sont spécialement porteuses, à travers les qualités plastiques de leur travail, d’un profond processus de résilience.
Force des femmes
Les femmes sont définitivement mises de l’avant dans ce numéro : comme un clin d’œil à un numéro récent de Possibles portant sur les féminismes. Comment ? À travers l’entrevue de Widia Larivière réalisé par François Fortin sur le Mouvement Idle No More/Fini l’inertie; par les recherches de Catherine Richardson Kinewesquao et Janie Dolan-Cake au sujet de violence faite aux femmes autochtones, faisant écho à la violence du colonialisme des lois canadiennes et des pensionnats autochtones, en appelant à la responsabilisation des gouvernements; comme Prudence Hannis et Marie-Pierre Bousquet, responsables de programmes d’éducation sur et avec les Autochtones à Kiuna et à l’Université de Montréal; et comme tant d’autres ! Et dans la création avec les Mélissa Mollen Dupuis, Glenna Matoush, Sonia Robertson, Eruoma Awashish et Nadia Myre ou les Joséphine Bacon, Rita Mestokosho, Natasha Kanapé Fontaine, Mélina Vassiliou, Virginia Pésémapéo Bordeleau et Éléonore Sioui, ou Dolorès Contré Migwans, Murielle Jassinthe, Sonia Alice Martin, Loca Noregreb, Nicole Marie Burton et aussi Samian, Marco Boudreault, Hugh Goldring et Chester Brown. Et à elles et eux tous, Jacques Laberge nous apprend à dire bonjour et merci dans leurs langues.
Des actions, nouvelles alliances
https://www.facebook.com/ricochetmedia/videos/957163667666380/. Crédit photo : Ricochet
Dans une action directe à Sainte-Justine-de-Newton au Québec, les activistes Vanessa Gray, un jeune homme non identifié et Sarah Scalon ont fermé l’inversion de la canalisation 9B nouvellement inversée de l’oléoduc d’Enbridge, qui assure la liaison entre Sarnia et Montréal. Ils ont été arrêtés par la police. Décembre 2015, Canada.
Un retour aux sources donc ? Une nouvelle alliance est-elle en train de se recréer ? On pourrait en douter quand on voit sur les réseaux sociaux le nombre de quolibets, remarques désobligeantes, jugements intempestifs ou opinions ignorantes et racistes au sujet des Autochtones ou cette vie en parallèle. Néanmoins, le vent tourne et de nouvelles actions « ensemble » = mamu17, comme le dit les poètes Marco Boudreault et Loca Noregreb, émergent entre Autochtones eux-mêmes et avec les non autochtones. Ici comme ailleurs, de nouvelles initiatives qui deviennent parfois des mouvements de la société civile émergent progressivement : des flashmobs contre les pipelines polluants depuis 201218; la Marche des peuples pour la Terre-Mère en 201419; MITSHETUTEUAT20 (signifie en innu «ils sont plusieurs à marcher ensemble») avec le GRIP-UQAM où des militants écologistes et d’Occupons Montréal se sont réunis avec des grands-mères et grands-pères pour apprendre à mieux se connaitre et amorcer des conversations/écoutes21 en 2014; les marches et manifestations au sujet des femmes assassinées ou disparues; les groupes Solidarité Nabro22 ou SOS Poïgan/Territoire qui luttent depuis 2012 contre les compagnies qui exploitent la terre des Autochtones au Québec, les Algonquins de Solidarité Lac Barrière; le festival Présence autochtone23 avec André Dudemaine qui le dirige depuis des années ou le Symposium d’Art Mamu de l’Institut Tshakapesh ou le Wapiconi Mobile ou la nouvelle troupe de théâtre Menuentakan; la Mission de Paix sur le fleuve Saint-Laurent en voyage de canot de Kahnawake (territoire mohawk) à la ville de Québec24 et tant d’autres exemples que vous pourrez ajouter sur notre page internet25 : toutes ces actions sociales et culturelles pour faire (re)connaissance et s’avancer en terre de résolutions. Comme on l’a entendu durant le lancement de livre de la doctorante Isabelle St-Amand « La crise d’Oka en récits : territoire, cinéma et littérature » organisé par le Cercle des Premières nations de l’UQAM : « Dans les trois Amériques, on a une population extrêmement jeune qui veut une dignité et c’est là où on s’en va » a affirmé Yves Sioui Durand lors de cet événement.
Et c’est de ces actions « ensemble » qu’on apprendra véritablement à se connaitre et à s’apprécier, que les préjugés que nous avions les uns à l’égard des autres tomberont progressivement. C’est peut-être là le véritable métissage ? En partie du moins. Ce métissage se fera sensiblement dans et par le territoire. Les Autochtones vivent déjà en grande partie dans nos villes du Sud. Cette ‘migrance’ implique une altération durable de soi26. Le métissage profond se fera quand les non autochtones vivront aussi en nombre dans le (vrai) Nord, quand nous partagerons véritablement les mêmes espaces, les mêmes vents, les mêmes saisons, les mêmes fêtes. Quand nous verrons sur notre chemin le bois coupé, et dans notre cour l’eau pure polluée, les rivières harnachées, les animaux morts. Grand-mère Carole Briggs et plusieurs autres Autochtones commencent à évoquer l’unification des peuples, l’unité et le processus de guérison. Mais aussi : « Avant la réconciliation27, il y a la RÉPARATION » dit encore Sioui Durand.
Est-ce la prophétie du 7e feu qui est en train de se réaliser28 ?
***
« Je garde encore la croyance aujourd’hui que, devant le dilemme de se résigner ou pas à l’oppression, nous devons avoir le courage de choisir la liberté malgré son coût immense. Ce courage qui dépasse la peur de la mort permet en quelque sorte de continuer à exister par la valeur sacrée que nous nous accordons, comme microgroupe, comme minorité et comme peuple opprimé.
C’est seulement en regardant franchement notre condition humaine et notre expérience historique, comme francophones dans les Amériques et comme Premiers peuples, que nous trouverons le récit de notre survivance, de notre continuité. Il doit cependant être clair que l’avenir de nos relations ne peut se faire au détriment de ce qui est sacré pour les uns et pour les autres. Cela signifie, pour les Premiers peuples, un respect intégral de la Terre, de la liberté et de la dignité humaine À la politique de diviser pour mieux régner, les microgroupes vulnérables doivent répondre par l’unité pour triompher des forces qui s’opposent à leur continuité culturelle. »
Pierrot Ross-Tremblay, 2015.
« L’oubli n’est pas absolu : réminiscences et prise de parole chez les Premiers peuples de la francophonie des Amériques ». Minorités linguistiques et société / Linguistic Minorities and Society, numéro 5, 2015.
Numéro 4
Et enfin…
Pour ce numéro, mon intention est toujours, après un an et demi de travail, de susciter une ouverture et d’apprendre à se connaitre. Nous avons voulu donner principalement la parole aux Autochtones. J’espère que la lecture vous a plu, que vous aurez le goût d’aller encore plus loin.
Voici donc pour enfin boucler ce numéro, ce que j’avais écrit en revenant de ma première réunion où j’avais proposé de monter un numéro sur le thème des nouvelles mouvances autochtones et inuites en novembre 2014. J’écoutais alors le nouveau disque de Richard Reed Parry du groupe Arcade Fire : je ne savais pas qu’il se lançait dans la musique classique ! Ce fut un choc esthétique. En même temps, je choisissais des poèmes sur la Terre que je venais de recevoir pour notre numéro « Abus des Minières », dont quelques-uns étaient écrits par des Autochtones. Tout cela s’est alors mélangé dans mon esprit et a donné ces mots que je vous propose en guise de conclusion :
Ici, on accède à un autre rythme. Battements de cœurs et respirations politiques dans l’ornière et le mystère du monde.
Les couleurs, voit-on un lever de soleil rouge-oranger lumineux parcellé de blanc résumé direct ?
Ici on a jeté aux orties nos préjugés. On a souvent mangé nos émotions. Peut-être a-t-on encore trop parlé, pas assez écouté le silence assourdissant du tambour dans notre poitrine ? Peut-être n’a-t-on pas été assez seul encore dans la toundra pour entendre celui qui bat depuis la nuit des temps.
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Merci !
Aux Autochtones qui nous lisent : vous avez une nouvelle amie ! J’aurais aimé aller plus loin dans l’élaboration des sujets, tant de sujets importants semblent manquer ! Certains acteurs culturels ou poètes importants manquent notamment. Nous aurions aimé traiter des questions inuites et métisses29. J’aurais aimé aller plus loin dans la collaboration, notamment, dans un travail intertexte entre auteur.e.s, mais après un an, le temps et l’énergie nous a tout simplement manqué. Par ailleurs, malgré le grand nombre d’auteur.e.s, il est certain qu’un seul numéro ne peut rendre compte de la grande diversité de points de vue et des sensibilités des différentes communautés autochtones et des personnes. C’est partie remise ! Nous vous invitons à communiquer avec nous via notre page internet30 pour nous faire connaitre votre réaction. Et n’hésitez pas à nous envoyer vos textes pour de prochains numéros !
Et surtout, ce numéro, selon notre principe d’autogestion bénévole, n’aurait pas pu être réalisé sans l’apport de très nombreuses personnes. Un grand nakurmik, nià: wen, migwech, tshi nashkumitin, tshi nashkumitin, mikwetc, migwetc – mig8etc, welalin, thank you, merci* à tous les auteur.e.s qui ont participé à ce numéro ainsi qu’aux nombreuses personnes qui y ont contribué par leurs conseils, aide, contacts, correspondances ou encouragements. Je pense entre entres à Gustavo Zamora Jiménez, Catherine Joncas, Marc-André Toupin, Jonathan Thisselmagan Schuld, Mélanie Aracena, France Hamel, Jean-Philippe Paré, Catherine Bédard, Darren O’Toole, Corine (de Disque 7e ciel), Lynn Drapeau, Fabien Longval, François J. Larocque, Louise-Caroline Bergeron, Marie-Chantal Scholl, Nancy Crépeau, Martin Papillon, Pierre Rouxel, François Fortin, Maïka Sondarjee, Christine Archambault, Paule Panet-Raymond, Michelle Payette-Daoust et une pensée toute spéciale à feu Wassim Al Ezzi qui m’a introduite à la revue.
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Ève Marie Langevin est une artistes interdisciplinaire et chargée de cours en français au département d’éducation de l’Université de Montréal. Elle est membre de la revue, coordonnatrice de ce numéro et responsable de la section poésie et création.
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* Ces salutations sont respectivement en langue inuktitute de l’Est canadien, mohawk/kanien’kehá:kas, cri de l’Est/eenou/eeyou), naskapi, innue (montagnais) et atikamekw, algonquin/anishinabeg, mi’kmaq/mi’gmaq, anglaise et française.
Notes de fin