par Charles-Félix Paquin
Bien qu’il y ait plus d’un million d’autochtones vivant au Canada, les enjeux de ces peuples ne bénéficient pas d’une grande couverture médiatique. Récemment, cette tendance fut renversée alors que la violence à l’endroit des femmes autochtones a fait les manchettes. Pourtant, en 2014, la Commission interaméricaine des droits de l’homme avait publié un rapport alarmant sur la situation des femmes autochtones au Canada, sans que ce rapport ne soit repris par les médias. Ce n’était alors pas la première fois que des juristes se penchaient sur la situation des autochtones canadiens; d’ailleurs il existe une jurisprudence excessivement riche en la matière de la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal au pays.
L’appareil judiciaire étant fondamental dans une société démocratique telle que la nôtre, il n’est pas possible de dresser un portrait juste de la situation des autochtones sans s’intéresser à l’aspect juridique. Au Canada, la vie des membres des Premières Nations est réglementée par la Loi sur les Indiens[1]. Par conséquent, il est plus que pertinent de jeter un coup d’œil aux dispositions appropriées de cette loi régissant le quotidien des amérindiens au Canada et à quelques-uns des principaux jugements rendus par les tribunaux portant sur ces mêmes dispositions.
Pour y parvenir, ce texte abordera le pouvoir constitutionnel du législateur fédéral sur les affaires autochtones, le statut d’« Indien », l’organisation politique des Premières Nations et la création des terres de réserve.
Le pouvoir constitutionnel du législateur fédéral sur les affaires autochtones
La Loi constitutionnelle de 1867 énonce que « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » relèvent de la compétence du fédéral (art. 91(24)). Ainsi, c’est le législateur fédéral qui a compétence pour réglementer la vie des autochtones au Canada.
En raison de cette compétence, c’est en 1876 que le législateur fédéral a adopté L’acte des Sauvages, maintenant connu sous le nom de la Loi sur les Indiens. Il s’agit d’une loi fédérale réglementant la vie des Premières Nations et de leurs membres, en légiférant notamment sur le statut d’Indien, sur la vie dans les réserves et sur la création des terres de réserve.
L’emploi du terme « peuple autochtone » au sein la constitution canadienne réfère aux Amérindiens, aux Inuit et aux Métis. Ce principe est d’ailleurs énoncé expressément à l’article 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. De plus, il fut interprété par les tribunaux que la compétence du gouvernement fédéral sur les « Indiens », prévue par la Loi constitutionnelle de 1867, s’étendait également aux Inuit (Renvoi sur les Esquimaux) et aux Métis (Daniels v. Canada). À l’opposé, la Loi sur les Indiens, qui emploie aussi le terme « Indien », se doit d’être interprétée restrictivement alors qu’elle ne fait référence qu’aux membres des Premières Nations, n’étant par conséquent applicable qu’à l’égard de ceux-ci.
En droit canadien, cette différence entre les lois constitutionnelles et la Loi sur les Indiens est fondamentale, la Constitution protégeant un groupe plus large. Ce même groupe peut même bénéficier d’une protection, celle-ci étant énoncée à l’article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982, pour le titre aborigène et les droits ancestraux. Cependant, des conditions bien précises préalablement définies par la Cour suprême doivent être satisfaites afin de bénéficier de ces mêmes protections. Dans le cadre du présent texte de vulgarisation, il n’est pas nécessaire d’étudier ces conditions, car il s’agit d’une jurisprudence extrêmement riche et complexe rendue par la Cour suprême du Canada.
Le statut d’« Indien »
La Loi sur les Indiens énonce les situations permettant de revendiquer le statut d’« Indien ». En effet, la Loi sur les Indiens octroie au ministère des Affaires indiennes le pouvoir d’identifier les personnes pouvant revendiquer ce statut. La classification juridique présente dans cette loi ne prend en considération que le lien de sang, le lien de parenté. Cela ne permet pas de revendiquer le statut d’Indien sur la base d’une auto-identification à la culture autochtone puisque seul le critère biologique importe.
Plus précisément, cette classification juridique trouve sa source à l’article 6 de la Loi sur les Indiens, qui prévoit deux statuts d’Indien différents. La distinction entre ces deux statuts repose sur le lien de sang et affecte grandement la transmission du statut d’Indien aux générations futures.
Premièrement, une personne peut avoir un plein statut d’Indien lorsque ses deux parents le possèdent aussi (art. 6(1)f)). Ce statut favorise ainsi sa transmission aux enfants, car les enfants d’une personne ayant celui-ci pourront assurément le revendiquer.
Deuxièmement, la Loi sur les Indiens prévoit un autre statut d’Indien qui est moindre. Celui-ci est octroyé lorsque l’un des parents a le plein statut d’Indien, contrairement à l’autre parent (art. 6(2)). Ce deuxième cas favorise la perte du statut d’Indien, car si une personne ayant le statut d’Indien selon l’article 6(2) de la Loi sur les Indiens ne se marie pas avec une personne ayant le plein statut, elle ne pourra pas transmettre son statut à ses enfants. De plus, cette disposition assure qu’après un maximum de deux mariages consécutifs entre un Indien et un « Non-Indien », il ne serait plus possible de transmettre le statut d’Indien.
D’autre part, il y a une présomption voulant que lorsque le père n’est pas identifié au moment de la naissance, celui-ci ne bénéficie pas du statut d’Indien. Ainsi, l’enfant né en de telles circonstances ne pourra qu’au mieux revendiquer le deuxième statut d’Indien, et ce, seulement si sa mère bénéficie du plein statut d’Indien. Par conséquent, cette présomption favorise également la perte du statut d’Indien[2].
Une telle classification juridique, définissant qui peut revendiquer le statut d’Indien, est souvent qualifiée de « fiction juridique »[3]. Cela est attribuable au fait que la définition du statut d’Indien repose sur des critères qui furent décidés exclusivement par le législateur fédéral. En ne prenant en considération que le lien de sang pour définir juridiquement les personnes pouvant revendiquer ce statut, une fiction juridique est produite, car les critères auxquels les autochtones accordent de l’importance n’ont pas été inclus au sein de la législation.
Pour avoir ainsi créé une fiction juridique dans le but de classifier les personnes pouvant revendiquer le statut d’Indien, la Loi sur les Indiens a été vivement attaquée, de nombreuses critiques soulevant que les dispositions de cette loi visaient à éteindre l’identité juridique autochtone. En effet, à la lecture de ces dispositions législatives, il semble que l’intention du législateur fédéral était de reconnaître de moins en moins d’Indiens en favorisant la perte de ce statut. Ultimement, plus personne ne sera en mesure de revendiquer le statut d’Indien après plusieurs générations.
La législation de la Loi sur les Indiens portant sur l’organisation politique des Premières Nations
La Loi sur les Indiens a mené à la disparition des organisations politiques autochtones déjà existantes en instaurant une hiérarchie politique imposée aux autochtones (art. 74). Pourtant, avant l’imposition des chefs et des conseils de bande, les amérindiens avaient des structures politiques fonctionnelles que la Loi sur les Indiens a reléguées aux oubliettes. En effet, chaque nation autochtone avait son propre mode de gouvernance.
En uniformisant les structures politiques (art. 73-85), le gouvernement fédéral a, entre autres, hérité du pouvoir discrétionnaire de créer des bandes, de les reconnaître, de les scinder et de les fusionner. En étant totalement assujetties à la bonne discrétion du gouvernement fédéral, les bandes se trouvent dans une position vulnérable.
Une bande, terme défini à l’article 2 de la Loi sur les Indiens, est un concept développé par le législateur fédéral afin de créer une entité politique représentant un groupe d’Indiens, cela remplaçant les structures traditionnelles déjà en place. Une bande peut poser des gestes au nom de ses membres, notamment en pouvant ester en justice ou en signant des contrats.
La plupart des pouvoirs exercés par les conseils de bande sont assujettis à l’approbation du ministère des Affaires indiennes et donc du gouvernement fédéral. De cette manière, le gouvernement fédéral a un pouvoir discrétionnaire pour s’ingérer dans les affaires internes des bandes, notamment en décidant de contrecarrer unilatéralement une mesure. En effet, les décisions d’un conseil de bande peuvent, dans certains cas précis, être annulées à posteriori ou à priori par le ministère des Affaires indiennes.
Ainsi, l’article 81(1) de la Loi sur les Indiens énonce les matières où le ministère des Affaires indiennes peut renverser à posteriori une décision du conseil de bande. Ce pouvoir s’exerce notamment sur les décisions prises en matière de santé, sur l’entretien des cours d’eau, sur la construction et la rénovation de bâtiments, ainsi que sur le zonage au sein de la réserve. De la sorte, le ministère des Affaires indiennes peut postérieurement déclarer invalide tout règlement adopté par le conseil de bande sur l’une de ces matières, sans avoir à justifier sa décision.
Pour sa part, l’article 83 de la Loi sur les Indiens énonce les matières où le ministère des Affaires indiennes doit approuver à priori une décision prise par le conseil de bande. Par exemple, le pouvoir de taxation du conseil de bande est soumis à une telle approbation du ministère. Ainsi, il serait impossible pour un conseil de bande de taxer ses propres membres sans l’approbation préalable du ministère, bien que ce pouvoir ne soit qu’en réalité peu utilisé par les Premières Nations.
D’autre part, la Loi sur les Indiens prévoit que le gouverneur en conseil peut adopter des règlements sur la vie politique, sociale et économique d’une bande sans le consentement de son conseil (art. 73).
En somme, la Loi sur les Indiens uniformise les organisations politiques des Premières Nations tout en restreignant les pouvoirs des conseils de bande.
La création des terres de réserve
La Loi sur les Indiens a engendré une dépossession foncière en créant des réserves. Ces dernières sont des parcelles de terre dont la Couronne est propriétaire, mais mises à l’usage exclusif d’une bande (art. 2(1)).
Créées par un pouvoir discrétionnaire de la Couronne, les réserves sont inaliénables, car ces terres peuvent uniquement être cédées à la Couronne, le gouvernement fédéral étant responsable des territoires des réserves (art. 18(1)). En d’autres mots, les terres de réserve demeurent des territoires publics dont les provinces sont propriétaires et que le gouvernement fédéral administre. Par conséquent, les bandes bénéficient d’un droit d’usage sans possibilité de cession sur les terres de réserve.
Ainsi, un conseil de bande ne peut pas céder des droits de possession sur le territoire de réserve à l’un de ses membres sans l’approbation préalable du ministère (art. 20(1)). Conséquemment, les autochtones ne peuvent pas gérer eux-mêmes ces terres, n’ayant aucun droit de propriété sur elles.
Pour remédier à cette problématique, la Cour suprême du Canada a imposé une obligation de fiduciaire à la Couronne, qui doit assurer de bonne foi la protection des autochtones. Cela s’explique par le fait que ceux-ci se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité, car seul le gouvernement fédéral peut céder les terres de réserve.
À ce sujet, la Cour suprême du Canada s’exprime ainsi au paragraphe 94 de l’arrêt Guérin c. La Reine :
[L]a reconnaissance d’une obligation de fiduciaire assujettit l’intervention de la Couronne à des obligations additionnelles : loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation.
Malgré tout, comme le mentionne la Cour Suprême du Canada au paragraphe 86 de l’arrêt Bande indienne Weweykum c. Canada :
Le contenu de l’obligation de fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger. Cette obligation ne constitue pas une garantie générale.
Plus précisément, ce même arrêt définissait quatre critères cumulatifs à satisfaire pour qu’il y ait obligation de fiduciaire de la Couronne. Plus précisément, il doit y avoir un droit ou un intérêt indien identifiable existant, la Couronne doit exercer un pouvoir discrétionnaire à l’égard de cet intérêt, les bénéficiaires de cette obligation doivent être dans une situation de vulnérabilité, et il doit être nécessaire d’évaluer ladite obligation selon le contexte.
Par exemple, il fut déterminé que cette obligation de fiduciaire existait lorsque la Couronne cédait une terre de réserve à un tiers : elle devait alors agir dans le meilleur intérêt des Premières Nations.
Cependant, le simple fait qu’une obligation de fiduciaire existe infantilise grandement les autochtones, qui semblent alors ne pas être en mesure de gérer par eux-mêmes leurs terres. En ne pouvant pas administrer leurs propres territoires, les autochtones ont été dépossédés de ceux-ci et des ressources s’y rattachant. En raison de leur vulnérabilité, la Cour suprême du Canada semble même avoir jugé nécessaire d’imposer une obligation de fiduciaire à la Couronne afin de mieux protéger les Premières Nations.
Conclusion
Le présent texte étudiait quelques dispositions législatives du droit autochtone canadien. En effet, la compétence constitutionnelle du législateur fédéral sur les affaires autochtones, le statut d’« Indien », l’uniformisation des structures politiques des Premières Nations et la création des terres de réserve ont été abordés.
La principale critique à l’égard de la Loi sur les Indiens veut que cette loi soit paternaliste en légiférant sur la vie des Premières Nations de manière totalement incompatible avec leurs traditions ancestrales[4]. À l’opposé, d’autres autochtones sont très attachés à ce texte de loi qui a une grande valeur historique. Ainsi, la Loi sur les Indiens demeure certainement un sujet très complexe et politisé.
***
Charles-Félix Paquin est un étudiant au baccalauréat en droit à l’Université de Montréal. Il a un certificat en droit chinois de la China University of Political Science and Law.
Références
Bande indienne Weweykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245
Daniels v. Canada, [2013] 2 R.C.F. 268
Gehl v. Canada (Attorney-General), 2015 ONSC 3481
Guérin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.)
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)
Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. I-5
Renvoi sur les Esquimaux, [1939] R.C.S. 104
Val Napoleon, « Extinction By Number: Colonialism Made Easy », 2001 16(1) Canadian Journal of Law and Society, p. 113-145
Notes de fin
[1] NDLR. Cette loi s’appelait initialement, en 1857, « Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages » (réf. http://www.ledevoir.com/politique/canada/458414/premieres-nations-pour-retrouver-la-dignite-usurpee ) et « Loi des Sauvages », mot dont le sens a glissé depuis Champlain. Le premier ministre canadien de l’époque, John A. Macdonald, a voulu « abolir le système tribal et assimiler les populations indiennes ». Source : « Le 8e feu », documentaire de Martin Philibert produit pour Radio-Canada en 2012 au http://ici.tou.tv/8e-feu-les-autochtones-et-le-canada/S2015E02?lectureauto=1 (page consultée le 27 décembre 2015). Cette loi a interdit notamment aux autochtones de sortir de leur (nouvelle) réserve, de faire des cérémonies traditionnelles, d’embaucher des avocats, des fréquenter des salles de billard, de se plaindre. À noter que les autochtones ont obtenu le droit de vote en 1960, soit 42 ans après les femmes canadiennes.
[2] Gehl v. Canada (Attorney-General), 2015 ONSC 3481
[3] Voir l’article sur Pierrot Ross-Côté à ce sujet « L’identité autochtone» dans ce numéro et Val Napoleon, « Extinction By Number: Colonialism Made Easy », 2001 16(1) Canadian Journal of Law and Society, p. 113-145
[4] NDLR. Selon Carole Lévesque, sociologue à l’INRS, les dernières réformes « impérialistes » de cette loi remontent à 1969, avec le premier ministre du Canada Pierre Elliot Trudeau et son ministre des Affaires autochtones, Jean Chrétien : « La Loi sur les Indiens est une loi patriarcale et coloniale qui doit être remplacée à plus ou moins long terme, c’est clair. Mais jamais elle ne le sera sans dispositions juridiques et constitutionnelles adéquates pour les autochtones ». «Elle [Carole Lévsque] croit qu’un jour, la Loi sur les Indiens sera éliminée. Ce sera un vaste chantier. Certains diront un panier de crabes.» En effet, « les Premières Nations tiennent à ce qu’Ottawa continue de veiller à ses obligations envers les autochtones. C’est une question de gros sous. Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, en convient. Il ajoute que les autochtones tiennent à discuter de nation à nation avec Ottawa ou Québec. C’est pour ça qu’il est allé dire au congrès du Parti québécois, le mois dernier [novembre 2015], qu’il est « souverainiste ». Mais pas tout à fait le genre de souverainiste auquel s’attendaient les péquistes. « Les Premières Nations sont sous le joug de la colonisation », dit-il. « C’est ça qu’on veut renverser. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, invoqué par le Parti québécois, s’applique aussi à nous ! » Réf. Marco Fortier, Le Devoir, http://www.ledevoir.com/politique/canada/458414/premieres-nations-pour-retrouver-la-dignite-usurpee (page consultée le 19 décembre 2015)