Par Pierre Beaucage
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La majorité des Québécois croyaient, jusqu’à une date toute récente, que leur droit de jouir en paix de la propriété où ils résident avait priorité sur le droit d’une entreprise à y forer des puits pour l’extraction gazière ou l’exploitation minière. Les événements récents leur ont prouvé le contraire. Dans leur dernier ouvrage2, Alain Deneault et William Sacher démontrent comment le laxisme de la législation canadienne et la complicité de la Bourse de Toronto (TSX) ont stimulé la croissance accélérée des entreprises minières au Canada, pour le plus grand bénéfice des spéculateurs. Non seulement le Canada est-il un paradis fiscal pour les entreprises minières, mais le gouvernement « couvre » les opérations de ces entreprises à l’étranger, rendant toute poursuite pratiquement impossible (p. 100-107). Le Canada est ainsi devenu la base d’opérations rêvée pour des transnationales désireuses d’exploiter des mines où que ce soit dans le monde. Selon les auteurs : « Plus de 75 % des multinationales d’exploration et d’exploitation minière ont leur siège social au Canada et 60 % de celles qui sont cotées en bourse le sont à la Bourse de Toronto » (p. 14). En fait, plus de 40 % des entreprises minières enregistrées au pays n’y font aucun investissement ! Par ailleurs, la demande pour les métaux et minéraux non métalliques a monté en flèche depuis 2000, sous l’effet conjugué de la croissance asiatique et de la crise financière occidentale, qui fait rechercher des valeurs sûres comme l’or. L’Afrique et l’Amérique latine ont été les régions de prédilection pour l’expansion outre frontières des sociétés minières canadiennes3.
Le gouvernement canadien joue également un rôle « proactif » dans cette expansion. Par exemple, Julian Fantino, ministre de la Coopération internationale, déclarait le 23 novembre dernier : « Le rôle de l’ACDI doit être d’appuyer les entreprises canadiennes [à l’étranger] pour faire reculer la pauvreté »4!
Pour leur part, la majorité des Mexicains croyaient que le sous-sol de leur pays était encore une propriété de la nation, une des conquêtes de la Révolution mexicaine de 1910. Or, en août 2012, par exemple, 833 nouveaux projets miniers étaient enregistrés par 301 entreprises, dont à peine 12 étaient mexicaines, contre 202 canadiennes5. Nous examinerons ici brièvement les conséquences de cette offensive minière canadienne au Mexique et la prise de conscience qu’elle a suscitée en divers points du pays.
La tradition minière au Mexique : de l’argent des Espagnols à la grève de Cananea
Un document publié par la First Majestic Silver Company, (dont le siège social est à Vancouver et qui est très active au Mexique), rappelle que les mines d’or et surtout d’argent du Mexique ont fait, durant trois siècles, la fortune des conquérants espagnols. C’est à la fin du XIXe siècle, cependant, sous le gouvernement du général-président Porfirio Díaz, qu’ « un Mexique nouveau a surgi. Díaz a rétabli l’ordre […] Les investisseurs étrangers se sont précipités pour tirer avantage du nouveau climat politique et économique. En 1884 y 1892, la législation minière a changé […] permettant la propriété du sous-sol aux propriétaires des terres. […] Ce qui a redonné vie à l’industrie minière mexicaine… »6. Aucune mention n’est faite, bien sûr, du caractère extrêmement répressif du régime de Díaz ni des importants conflits ouvriers qui ont éclaté, notamment pour protester contre les conditions inhumaines de travail dans les mines. Lors de la grève de la mine de cuivre de Cananea, dans le Sonora, de propriété états-unienne, on vit se soulever, le 1er juin 1906, 2 000 travailleurs mexicains qui exigeaient la journée de huit heures, la parité de salaire et de droits avec les mineurs états-uniens, et la fin des vexations sur les lieux de travail. On considère ce conflit extrêmement dur (23 morts et 22 blessés) comme l’un des déclencheurs de la révolution mexicaine de 1910.
La politique minière mexicaine au XXe siècle : du nationalisme révolutionnaire à l’ALÉNA
C’est sous la présidence de Lázaro Cárdenas (1934-1940) que furent atteints deux grands objectifs de la révolution : la réforme agraire et la nationalisation des ressources naturelles stratégiques. Le rétablissement de la propriété de l’État sur le sous-sol a permis à son gouvernement de nationaliser le pétrole (1938) et d’utiliser ces revenus pour le développement industriel et agricole du pays. Il s’est formé un secteur minier national, et les travailleurs ont pu désormais se syndiquer et lutter pour obtenir des salaires décents et de meilleures conditions de travail.
La crise financière de 1982 a cependant révélé au peuple mexicain l’incurie et la corruption des gouvernements qui s’étaient succédé au cours des trois décennies antérieures. Malgré les cours élevés qu’avaient connus le pétrole, la dette extérieure atteignait 60 milliards et les créanciers internationaux ont pu imposer au pays une réorientation radicale de ses politiques économiques et sociales. L’implantation des mesures néolibérales a connu son sommet avec la signature du traité de libre-échange nord-américain (ALÉNA), entré en vigueur le premier janvier 1994. Il fallait désormais favoriser l’entrée massive des capitaux étrangers. En 1992, le gouvernement de Salinas de Gortari frappe un coup double : il privatise les titres communautaires des ejidos7 et il transforme le code minier en s’alignant sur les législations les moins contraignantes pour le capital : celles du Canada, qui établissent la priorité de l’extraction minière sur tout autre utilisateur du sol8. La nouvelle Ley minera de 1992, dans son article 6, stipule aussi que « l’exploration, l’exploitation et la transformation des minéraux […] auront la préséance sur toute autre forme d’utilisation ou de mise en valeur du terrain. »
La table étant mise, le banquet a pu commencer. Les hôtes mexicains ont été généreux. Entre 2000 et 2006, le gouvernement de Vicente Fox a concédé 17 629 claims miniers, couvrant une surface de 30 millions d’hectares, tandis que son successeur a été un plus réservé, avec à peine 8 414 claims, pour un total de 22 millions d’hectares9. En tout, c’est le quart de la surface nationale qui a été ainsi aliénée.
Parmi les principaux invités, il y avait des entreprises minières canadiennes : elles se sont taillé une bonne part du gâteau, avec 2 600 concessions qui couvrent tout le pays. Elles partagent le butin avec des magnats du capitalisme mexicain : Carlos Slim, l’homme le plus riche du monde et patron du groupe Frisco ; Germán Larrea, du Grupo México (qui possède aujourd’hui la mine de Cananea) et Alberto Balleres d’Industrias Peñoles. Parmi les cinq plus grandes entreprises étrangères, l’une est australienne (Azufre Minerals) et quatre sont canadiennes : Almaden Minerals, Die Bras Exploration, Pediment Gold Corp et Goldcorp.
L’exploitation minière aujourd’hui
Pour comprendre les conséquences écologiques et sociales des activités minières, il faut voir que les mines d’aujourd’hui n’ont plus grand chose à voir avec celle qu’Émile Zola décrivait dans Germinal. Si on trouve encore des mines classiques, avec puits et galeries, la plupart des nouvelles exploitations se font « à ciel ouvert » (open-pit mining), sur des sites à faible teneur en minerai10. Il faut faire exploser la roche, puis séparer le minerai, par broyage, lessivage (lixiviation) et centrifugation, d’une montagne de scories, ce qui exige de grandes quantités d’eau, d’énergie, d’explosifs et de produits chimiques. « Chaque gramme d’or extrait requiert 481 000 litres d’eau, 7 099 litres de diesel, 1 864 kilos d’explosifs. En outre, pour séparer l’or et l’argent du minerai broyé, on emploie de grandes quantités de cyanure (10 884 grammes) ou de mercure, deux produits hautement toxiques, qui se retrouveront dans les eaux résiduelles11: le cyanure tue immédiatement les humains et les animaux, tandis que le mercure empoisonne lentement, provoquant la célèbre « maladie de Minamata » qui attaque le système nerveux des êtres humains. Les bassins de lixiviation ont tôt ou tard des fuites et contaminent les nappes phréatiques, d’où provient l’eau potable, et peuvent polluer des bassins hydrographiques entiers.
À San Luis Potosi, les minières canadiennes prennent la relève
La mine d’argent du Cerro de San Pedro, dans l’état de San Luis Potosi, à 425 kilomètres au nord de Mexico, a été exploitée de façon traditionnelle par les Espagnols depuis la fin du XVIe siècle. Elle a connu plusieurs propriétaires au fil des ans. En 1948, le géant états-unien ASARCO12, plutôt que de céder aux revendications des mineurs en grève, a préféré fermer la mine, en provoquant délibérément l’effondrement du puits et des galeries.
En 1995, l’entreprise canadienne Metallica Resources a décidé de relancer la production de par une filiale appelée Minera San Xavier (MSX), en introduisant la technologie à ciel ouvert, qui était alors relativement neuve au Mexique. Disposant d’appuis politiques importants, la Minera San Xavier mit en œuvre rapidement le projet, en n’y allant pas avec le dos de la cuiller : achats illégaux de terrains par des prête-noms, fermeture de chemins communaux, destruction d’édifices patrimoniaux. Dans cette zone semi-désertique, la MSX pompe quotidiennement de la nappe phréatique 16 millions de litres d’eau, qu’elle mêle à 16 tonnes de cyanure. Grâce à 25 tonnes d’explosifs par jour, MSX a extrait de la montagne des millions de tonnes de roc, créant un cratère de 67 hectares. Après quelques années d’exploitation, deux immenses crassiers ont été formés, l’un contenant 117 millions de mètres cubes de résidus soufrés, l’autre, 637 millions de tonnes de résidus contaminés au cyanure. Elle possède un permis du ministère de la Défense (SEDENA) pour utiliser les explosifs à proximité du village et ses pressions sur la municipalité pour obtenir des autorisations sont allées jusqu’à l’occupation de la mairie par des fiers-à-bras !
L’opposition à la mine a débordé rapidement du niveau local. À douze kilomètres à peine de la capitale de l’État, elle est apparue, à de larges secteurs de la société civile, comme un danger majeur pour l’environnement et la santé publique. En effet, situé sur les contreforts de la Sierra de Álvarez, Cerro de San Pedro fait partie de la zone de recharge des nappes phréatiques qui alimentent en eau deux villes (dont la capitale, San Luis) avec une population totale de 850 000 habitants13. Aux dangers environnementaux et sanitaires s’ajoutent les préoccupations culturelles, dans une région où les sites historiques abondent. Une interminable saga juridique s’est amorcée, il y a quinze ans, entre la MSX et l’opposition regroupée dans le Pro San Luis Ecológico. En 1999, l’entreprise obtenait de l’Institut national de l’Écologie un permis d’utilisation du sol pour « effectuer une étude des conséquences prévues » … et poursuivait la production. En 2005, les opposants faisaient annuler ce permis par le Tribunal supérieur de justice fiscale. L’année suivante, la MSX décrochait un nouveau permis du ministère de l’Environnement (SEMARNAT) ) même si la zone était classée « protégée » depuis 1993, et finançait l’accession à la mairie d’une candidate qui lui était toute dévouée.
L’opposition soutenue et croissante a sans doute été un des facteurs qui a incité Metallica Resources à se dissoudre, en 2008. Ses actifs, dont MSX, ont été acquis par New Gold. Enregistrée à la Bourse de Toronto, cette dernière exploite aussi des gisements d’or en Australie, au Chili, aux États-Unis et même … au Canada ! Mais les nouveaux propriétaires ont poursuivi dans la ligne des anciens. Le Front large d’opposition ayant à nouveau démontré l’illégalité de ses opérations, MSX a élaboré en secret en 2010, avec la connivence des autorités municipales, de celles de l’État et du ministère de l’Environnement un nouveau Plan d’aménagement du territoire. La « zone protégée » devenait « zone minière », et la MSX recevait, le 5 août 2011, un nouveau permis d’opérations pour la mine, dont les activités n’avaient jamais cessé. Quelques mois plus tard, elle obtenait un mandat d’arrêt contre Rafael López Flores, un des habitants du village qui avait démontré le caractère anticonstitutionnel du nouveau Plan et obtenu son annulation par la cour.14
L’opposition à la New Gold Minera San Javier, organisée dès le début sur une base régionale, a utilisé la mobilisation pacifique et toutes les ressources juridiques à sa portée contre la destruction d’une zone à l’écologie fragile et de grande valeur patrimoniale. Malgré tout, la MSX a pu miser sur l’ignorance initiale des conséquences de l’exploitation à ciel ouvert pour s’installer. Elle a poursuivi ses opérations dans l’illégalité jusqu’à ce jour en ayant systématiquement recours à la corruption des autorités locales et à la complaisance de celles de l’État et du pays, ainsi qu’à la répression des opposants. La lutte n’est pas finie, cependant, et le Frente Amplio Opositor demeure confiant de l’obliger à cesser prochainement ses activités.
Désastre environnemental et répression au Chihuahua
Au nord de l’État du Chihuahua, près de la frontière des États-Unis, trois sociétés transnationales canadiennes, Panamerican Silver, Mine Finders et Mag Silver exploitent depuis quelques années les gisements d’argent de Huizopa, d’Ocampo et de Palmarejo. Quand les paysans de Huizopa, regroupés dans l’organisation nationale El Barzón, ont refusé que la mine Dolores accapare toute l’eau de la rivière Tutuaca, ils se sont heurtés à des fiers-à-bras payés par la société Mine Finders. Ils savent qu’ils risquent le même sort qu’Ismael Solorio Urrutia et son épouse Manuela Sólis Contreras, assassinés le 22 octobre 2014, pour s’être opposés à l’installation de la mine Cascabel, propriété de Mag Silver15, dans l’ejido Benito Juárez. Les paysans venaient d’obtenir du ministère mexicain de l’Environnement (SEMARNAT) un document attestant que l’entreprise, qui mène, depuis 2006, des activités d’exploration sur plus de 14 000 hectares de terres communautaires (avec l’aval des autorités de l’État et l’approbation du député local du PRI16), n’avait jamais obtenu de permis17. Devant l’immobilisme des autorités judiciaires, le 17 novembre dernier, une assemblée de 240 membres de Benito Juárez donnait à la société minière 48 heures pour déménager son personnel et son équipement hors de son territoire avec ordre « de ne pas revenir avant cent ans ! » Il aura donc fallu six ans, des dégâts considérables, des protestations nombreuses et finalement deux morts pour que les autorités interviennent.
À Veracruz : une mine côtoie une centrale nucléaire
À une soixantaine de kilomètres au nord-ouest du port de Veracruz, la construction de la centrale nucléaire de Laguna Verde, il y a vingt ans, avait suscité une mobilisation importante, en raison des risques bien réels de contamination des eaux et des terres environnantes. D’autant plus que le Mexique, qui dispose de ressources énergétiques importantes (pétrole et hydroélectricité), n’avait pas plus besoin de cette centrale nucléaire que le Québec n’a besoin de Gentilly 2.
Si aucune catastrophe majeure n’a eu lieu depuis à Laguna Verde, la course effrénée aux gisements miniers a failli créer récemment une situation hasardeuse. À trois kilomètres de là, à Caballo Blanco, la société minière canadienne Goldgroup a découvert, il y a quelques années, un important gisement d’or et d’argent. Sur son site Web, elle décrit avec enthousiasme ce projet, qui comprend quinze concessions totalisant 54 000 hectares. Le principal site, La Paila, a fait l’objet de deux cents forages prometteurs. La société prévoit un investissement initial de 84,8 $ millions, plus des dépenses de 53,5 $ millions pendant les sept ans que durera l’exploitation. La teneur en or, qui varie entre 0,59 et 3,47 grammes par tonne, peut sembler faible, mais l’entreprise pense retirer en sept ans 575 000 onces d’or. À 1 700 $ l’once, son cours en 2012, elle envisage d’engranger des profits totalisant 386 millions de dollars18.
Pour retirer UN MÈTRE CUBE d’or (et autant d’argent, à 30 $ l’once), l’entreprise devrait, au cours des sept années d’exploitation prévues, déplacer 120 millions de tonnes de terre et de roc, qu’elle ferait sauter grâce à 35 000 tonnes d’explosifs. Le transport et le broyage du minerai exigeraient 144 millions de litres de diesel et le lessivage du minerai, 10, 2 millions de litres d’eau19 auxquels on ajouterait 7 000 tonnes de cyanure !
Échaudés par l’expérience de Cerro de San Pedro, des agriculteurs, de simples citoyens et des scientifiques des quatre coins de l’État du Veracruz se sont regroupés au sein de LAVIDA20 pour démontrer, avant même que l’entreprise n’obtienne son permis d’exploitation, les lacunes considérables de son Évaluation des conséquences sur l’environnement (MIA). D’abord, elle sous-estime les risques importants liés aux explosions continuelles dans le voisinage de la centrale nucléaire et à la pollution, des bassins de refroidissement des réacteurs, causée par ses rejets toxiques. Goldgroup a aussi « oublié » de mentionner que les 54 000 hectares qu’elle allait détruire abritaient des peuplements anciens et rares de fougères arborescentes (cycadales) et de chênes tropicaux, et se situaient au cœur du corridor de passage de plus de 5 millions d’oiseaux migrateurs.
Deux années d’efforts ont porté leurs fruits. Même si, encore une fois, le ministère de l’Environnement avait autorisé le projet, le gouverneur du Veracruz a manifesté son désaccord avec l’ouverture de la mine21. Le maire du municipio d’Alto Lucero, où se trouve Caballo Blanco, s’est rangé au vœu unanime de la population et a apposé les scellés sur les bâtiments construits par la Goldgroup, La rapidité de la mise en place d’une opposition efficace et sa capacité à aller chercher des appuis très larges ont certainement pesé très lourd dans cette victoire. Sur son site Web, Goldgroup parle encore de son projet au futur, mais partout ailleurs au Veracruz, il appartient désormais au passé.
Dans la Sierra Norte de Puebla : des Autochtones contre l’homme le plus riche du monde
Une autre région, la Sierra Norte de Puebla, fait depuis quelques années l’objet d’une offensive combinée de deux sociétés transnationales canadiennes, Almaden Minerals et Gold Corp, et de plusieurs grandes entreprises mexicaines comme Minera Plata Real et Frisco, propriété du Mexicain Carlos Slim. La région de la Sierra, à environ 250 kilomètres au nord-est de Mexico, compte 600 000 habitants, majoritairement autochtones et qui vivent de l’agriculture et de l’élevage. En haute montagne, les paysans nahuas ont vu débarquer chez eux il y a dix ans des ingénieurs miniers et de l’équipement de forage. Ils ont alors appris que le gouvernement avait octroyé des concessions « pour exploration et exploitation », totalisant 56 000 hectares, dans six municipios22. Pour mettre en valeur ces ressources, les entreprises minières comptent s’approvisionner en eau à même les réserves locales de cette région pourtant semi-aride. Il leur faut aussi beaucoup d’électricité pour le broyage et la centrifugation du minerai. Pas question de se brancher au réseau électrique régional, souvent défaillant et – pour elles – trop cher. Elles ont donc décidé de produire leur propre électricité, en harnachant les cours d’eau encaissés de la basse montagne adjacente. Dès avril 2011, Grupo México23 a obtenu du gouverneur de Puebla un permis pour construire trois barrages sur la rivière Ajajalpan, en pays totonaque24. Immédiatement, ses agents et ceux de la société de conseil Comexco ont commencé à faire pression sur les cultivateurs riverains pour qu’ils vendent leurs terres, et on a commencé la construction d’une route.
Informés des désastres écologiques que des mines à ciel ouvert ont produits ailleurs au Mexique, les habitants de trois municipios particulièrement touchés ont organisé des protestations.
À Ixtacamaxtitlán, c’est Almaden Minerals, une des entreprises minières canadiennes les plus présentes au Mexique, qui veut extraire de l’or et de l’argent, ainsi que des minéraux rares, utilisées pour la téléphonie cellulaire. Le président d’Almaden, Morgan J. Poliquin, ne tarit pas d’éloges au sujet du site Tuligtic, à Ixtacamaxtitlán. Fruit d’une « découverte aveugle », sa concession, qui couvre 14 000 hectares « propriété à 100 % d’Almaden » contient un important gisement d’or, d’argent et de cuivre25. D’abord séduits par les cadeaux d’Almaden (comme une nouvelle salle d’attente pour la clinique) les paysans ont cru pendant quelques années les autorités municipales qui leur racontaient que cette entreprise ne ferait que de « petits trous » (agujeritos) dans le sol. Quand ils ont vu les bulldozers ouvrir un chemin à travers leurs champs, ils ont compris l’arnaque et les ont bloqués. Lors de la campagne électorale locale de 2013, on a exigé des quatre candidats qu’ils s’engagent par écrit à ne pas modifier le règlement de zonage et on l’a rappelé opportunément au vainqueur, qui semble jusqu’à présent vouloir respecter sa parole26.
À Tetela de Ocampo, la Minera Frisco, (propriété de Carlos Slim), a obtenu en 2009 une concession de 10 000 hectares, valable pour 50 ans, pour exploiter l’or et l’argent de la montagne La Espejera. Frisco a commencé à déboiser, à ouvrir les pistes et a même effectué une centaine de forages. En guise de riposte, les habitants ont formé Tetela Hacia el Futuro (« Tetela vers l’avenir »), coalition qui s’oppose à toute entrée des entreprises minières. Comme l’exprime le président de la coalition, Germán Romero : « C’est un écocide et un ethnocide. Ils vont empoisonner l’eau qu’on boit au mercure. » Les 25 000 résidents de l’endroit vivent de la production de pommes, de pêches, de piments et de tomates, mais ce sont 40 000 personnes qui dépendent de l’eau des rivières Papaloateno et Zempoala. « On n’a besoin ni de leurs emplois ni de leur argent ! »27 Ici, à la différence de Cerro de San Pedro, les autorités municipales ont fait front commun avec les résidents dès le début, et le maire s’est refusé a donner les permis de construction dont Frisco a besoin. Au contraire, l’administration municipale a promulgué un plan d’aménagement qui déclare La Espejera « zone protégée »28. Les initiatives de Tetela ont servi de base de rassemblement pour les protestations ailleurs dans la Sierra, comme l’a montré le Forum organisé en juillet 2012 dans cette commune, sur le thème : « Sans or, on vit, sans eau, on ne vit pas. »
Dans le municipio voisin de Zautla, une société minière chinoise, JDC Minerales, a acheté à La Lupe, près du village de Tlamanca, un site qui renferme de l’or et de l’argent, en plus du cuivre et du nickel. Mais les gens de Zautla possèdent une tradition d’organisation communautaire. Aussi, une vaste coalition, qui comprend aussi bien des groupes d’artisanes que des producteurs biologiques, s’est dressée contre le projet, malgré les quelques cadeaux offerts aux habitants de Tlamanca pour les amadouer. JDC Minerales ne se doutait sans doute pas du guêpier dans lequel elle se fourrait : les permis d’exploitation étaient périmés ou incomplets. Finalement, le 22 novembre 2012, après la fin de l’ultimatum imposé à JDC, plus de 5 000 paysans ont marché sur la mine, ont arraché la palissade de protection et ont expulsé les cadres et les travailleurs chinois29.
La défense du territoire et de l’eau unit présentement les communautés de haute et de basse montagne: les premières voient leur environnement saccagé par l’exploitation minière à ciel ouvert, les secondes, leurs terres sur le point d’être inondées et leurs cours d’eau, contaminés au cyanure et au mercure. Ainsi, le 7 décembre dernier, des paysans totonaques d’Olintla bloquaient la construction d’une route destinée à desservir la zone des barrages ; ils campent encore sur place en retenant la machinerie30. Le 5 décembre dernier, un contingent de paysans du village d’Ignacio Zaragoza, dans la commune totonaque d’Olintla, barrait la route aux bulldozers en train d’ouvrir une voie d’accès pour la construction d’un barrage sur l’Ajajalpan. Les paysans ont maintenu les piquets pendant plus de deux mois. Le maire d’Olintla, à l’époque, à la différence de ses homologues de Tetela et de Zautla, était un farouche partisan du méga-projet. Aussi, le 26 janvier 2013, une centaine d’opposants au barrage, réunis à Zaragoza, ont été cernés par des policiers et des fiers-à-bras commandés par le maire et gardés illégalement plus de dix-huit heures, malgré la présence la police de l’État, qui a fraternisé pendant des heures avec les représentants de l’entreprise et de la mairie31. En 2014, cependant, on a élu un nouveau maire. Le nouvel élu s’est fermement engagé à ne pas permettre la construction du barrage.
Toujours en basse montagne, les Nahuas de Cuetzalan, qui possèdent de solides organisations32, se sont d’abord dotés d’un Comité d’aménagement territorial intégral (COTIC), puis ils ont voté le 10 décembre 2012 contre toute installation de projets miniers ou hydroélectriques sur leur territoire33. Or, ils apprenaient, au début de 2014, qu’on avait octroyé à la société minière mexicaine Autlán deux concessions, soit Atexcaco I et II, totalisant 1 528 hectares, qui recoupent les terres de quatre municipios, dont Cuetzalan. Dans ce dernier cas, la concession englobe toute la partie sud du territoire, où se trouvent les sources d’eau potable dont dépendent les 47 mille habitants34. La réponse immédiate des organisations locales fut la diffusion d’information et la mobilisation au niveau communautaire, puis régional. En mars dernier, plus de 2 500 Autochtones, réunis à Zacatipan (une des zones qui seraient les plus directement touchées par la pollution de l’eau), ont manifesté une opposition ferme au projet. Cette mobilisation a commencé à porter des fruits. L’entreprise pétrolière d’État PEMEX, qui devait entreprendre des forages exploratoires dans une vaste zone du piémont incluant Cuetzalan, a récemment exclu le municipio, « pour respecter les lignes directrices du plan d’aménagement municipal.35 » Face aux méga-projets miniers et hydroélectriques, des organisations amérindiennes comme la COTIC ont entrepris une lutte juridique, en s’appuyant sur l’Accord 169 de l’Organisation Internationale du Travail (1089) qui stipule qu’aucun « projet de développement » ne doit être entrepris dans les territoires autochtones sans consultation préalable, et sans qu’un consentement éclairé n’ait été obtenu. Il est clair qu’aucune de ces conditions n’a été respectée en ce qui concerne les projets miniers dans la Sierra Norte de Puebla.
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Quelles conclusions tirer de ce bref survol de quatre cas d’implantation d’entreprises minières (en majorité canadiennes) dans les régions paysannes et autochtones au Mexique ?
En premier lieu, la course aux concessions minières au Mexique, tout comme au Canada, répondait à la fois à une conjoncture extrêmement favorable sur le marché des métaux, précieux et industriels, et au contexte juridico-politique très permissif qui caractérise les deux pays : l’exploitation minière y a priorité sur tout autre usage du sol, les autorités la voient d’un très bon œil, et les recours juridiques sont peu nombreux. La baisse des cours de l’or en 2013 a momentanément calmé cette fièvre.
En second lieu, la technologie actuelle permet d’exploiter profitablement des minerais à très faible teneur, ce qui n’était pas rentable auparavant. À la condition, bien sûr, d’extraire, de broyer et de laver d’énormes quantités de roc. Il s’ensuit une dévastation générale et irréversible des écosystèmes où se pratique l’exploitation minière à ciel ouvert. Le désastre de Cerro de San Pedro, où cette forme d’exploitation se poursuit depuis plus de quinze ans, montre comment elle est incompatible avec tout développement durable.
Devant ces faits, divers groupes locaux ont réagi à l’expansion rapide de l’industrie minière sur leur territoire. Parfois avec retard, quand l’entreprise est déjà implantée, comme à l’ejido Benito Juarez, au Chihuahua. L’entreprise peut alors réussir à corrompre les autorités et à diviser la population ; il devient alors très difficile de l’empêcher de commencer la production. C’est pourquoi, la stratégie actuelle des groupes concernés est d’empêcher l’installation même des minières, comme on l’a vu à Caballo Blanco, au Veracruz et, plus récemment, dans la Sierra Norte de Puebla. En l’absence de tout appui des hautes instances gouvernementales, acquises aux intérêts des sociétés transnationales, ils comptent avant tout sur leur cohésion, particulièrement forte dans les communautés autochtones. Les résidents n’hésiteront pas à combiner la tenue de forums et d’assemblées pour informer la population et prendre des décisions collectives (comme les plans d’aménagement de Tetela et de Cuetzalan) avec l’action directe : expulsion les mineurs, arrêts des bulldozers. Certains groupes s’associent à des chercheurs (biologistes, anthropologues, juristes) qui possèdent l’expertise requise par les instances gouvernementales et judiciaires. Par exemple, pour pouvoir invoquer l’Accord 169 de l’OIT, il fait pouvoir démontrer qu’on constitue bien un groupe autochtone et qu’on occupe un territoire ancestral. La mise en place de coalitions larges36 a permis une meilleure circulation de l’information et la diffusion de récits et d’expériences dans des forums régionaux.
À la migration annuelle des touristes canadiens a succédé au Mexique une invasion beaucoup plus agressive d’entreprises minières, qui semblent n’avoir aucune considération pour les gens et les milieux que leurs activités perturbent profondément. Mais plusieurs groupes, parmi les plus touchés, ont élaboré des réponses pertinentes qui sont en train de donner des résultats intéressants.
Notes
1 Une version abrégée de ce texte a été publiée dans la revue À Bâbord !, en mai 2013 (Numéro 48, p. 34-36).
2 Paradis sous terre. Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale. Montréal, Écosociété, 2012.
3 Voir « Mines canadiennes à l’étranger : or, sang et feuille d’érable », par Agrès Gruda et Isabelle Hachey, La Presse, 20/10/2012. Aussi : Mining in Africa. Regulation and Development (pub. sous la dir. de Bonnie Campbell), Ottawa, Centre de recherche sur le développement international, 2009.
4 Voir « Mining, CIDA Partnership in Peru is pacification program, not development », par Rick Arnold (Embassy, 6/03/2012) et l’article de Kim Mackrael, Globe and Mail, 23/11/2012.
5 « Graves daños sociales y ambientales generan las mineras en Puebla » par Arturo Alfaro Galán, La Jornada de Oriente, 07/12/2012 (doc. électr.).
6 Mining History of Mexico, doc. électr. disponible sur le site web de la Majectic Mining Co.
7 Les ejidos sont des communautés dotées de terres après la réforme agraire. En 1993=2m elles représentaient plus de la moitié des terres cultivées.
8 Voir Le paradis sous terre op. cit. p. 80.
9 Source : Secretaría de Economía, Dirección General de Minas, 2011.
10 Aux États-Unis, 85% des minéraux sont actuellement exploités à ciel ouvert.
11 « Graves daños ambientales … » op. cit.
12 American Smelting and Refining Company.
13 « Mexique, conflit minier à Cerro de San Pedro (San Luis Potosi); lorsque la justice n’exite plus. » par James del Tedesco et Mario Martínez Ramos. ALDEAH (2009) (doc. électr. consulté le 8/12/2012).
14 « Inicia New Gold Minera San Xavier escalada de represión terrorista contra sus opositores » par le Frente Amplio Opositor a New Gold Minera San Javier (doc. électr. consulté de 20/09/2012)
15 « Quieren reventar el Barzón », par Victor M. Quintana S, (doc. electr.consulté le 23/11/2012). C’est la même compagnie qui se vante, sur son site Web, de sa « responsabilité sociétale » , qui lui fait « non seulement bénéficier économiquement aux régions où nous faisons des affaires (SIC) mais aussi contribuer au tissu social et au bien-être général des habitants » ! (Growing with Our Communities, (consulté le 25/11/2012)
16 Le PRI (Partido Revolucionario Institucional) a gouverné le Mexique sans interruption de 1929 a l’an 2000, régime caractérisé par l’écrivain péruvien Mario Vargas llosa comme « la dictature parfaite ». Évincé du pouvoir pendant 12 ans par un autre parti de droite, le PAN (Partido de Acción Nacional), il a repris le pouvoir après les élections de juillet 2012.
17 « Da Chihuahua 48 horas a minera para retirarse » par Pedro Sánchez, Terra Noticias Mex 18 nov. 2012 (doc. electr. consulté le 29/11/2012).
18 Goldgroup, Caballo Blanco, Project Overview, doc. électr. consulté le 10/12/2012. En juillet 2013, le cours a baissé à 1300 $ l’once, ce qui laisse quand même des profits substantiels
19 Goldgroup mentionne parmi ses atouts que « le Veracruz possède la plus grande réserve d’eau douce du Mexique »
20 Acronyme de : La Asamblea Veracruzana de Iniciativas y Defensa Ambiental.
21 « La mina Caballo Blanco no operará en Veracruz, asegura Javier Duarte », par André Timoteo Morales, La Jornada, 27/02/2012.
22 Les municipios sont la structure administrative locale de base. Dans les régions rurales, ils regroupent plusieurs agglomérations secondaires autour d’un chef-lieu (cabecera). Ils comptent des milliers, parfois des dizaines de milliers d’habitants. En tout, ce sont 85 concessions qui ont été accordées entre 2006 et 2008, dans des dizaines de municipios de la Sierra.
23 Grupo México, propriété du milliardaire Germán Larrea, et qui fait ici office de producteur d’énergie hydro-électrique, est aussi une transnationale minière qui possède, outre la célèbre mine de Cananea (responsable d’un déversement catastrophique d’eau contaminée dans le fleuve Sinaloa, en juillet dernier), des intérêts jusqu’au Pérou (Southern Peru Copper Mine). Il vient de racheter le géant états-unien ASARCO, en faillite.
24 Trois autres permis ont été obtenus pour la construction de barrages sur la rivière Apulco et deux sur la rivière Zempoala, non loin de là.
25 « About the Ixtaca Property », Mai 2012, Doc. élect. consulté le 16/11/2012.
26 Ixtacamaxtitlan, le 27 septembre 2014.
27 « Mexican town takes on world’s richest man. » par Magaly Herrera EFE – Fox News Latino, 22/07/2012.
28 « Protestan contra explotación minera en Tetela » (anon.) El Internacional, 15/07/2012
29 « Cinco mil campesinos echan de Zautla a la minera china JDC » doc. electr. consulté le 10/12/2012)
30 « Detienen vecinos de la comunidad de Ignacio Zaragoza, municipio de Olintla, mquinaria que haria un camino a una hidroeléctrica » par Arturo Alfaro Galán, La Jornada de Oriente, 07/12/2012.
31 « Sacan en patrulla a 75 activistas detenidos en Olintla » par David Shanik 27/01/2013 (doc. lelectr. consuilté le 30 /01/2013.
32 Les principales sont l’union coopérative Tosepan Tittaniske (qui compte plus de 20 mille membres), l’association des femmes autochtones Maseualmej Mosenyolchikauanij, la commission des droits de la personne Takachiualis, un tribunal autochtone autonome (Juzgado Indígena), un périodique bilingue et deux radios en langue nahuat.
33 « Votan en Cuetzalan vs proyectos mineros e hidroeléctricos en la entidad » par Arturo Alfaro Galán, La Jornada de Oriente, 10/12/2012.
34 « Informe del Órgano Ejecutivo dle COPTIC ante proyectos mnineros e hidroeléctricos. » Kuojtakiloyan (19) : 9-10.(juillet 2014)
35 « El ordenamiento, freno a un proyecto devastador de PEMEX » Kuoujtakiloyan (19) : 6 (juillet 2014)
36 Comme le Réseau Mexicain des Affectés par les Mines (REMA), l’Assemblée Véracruzaine d’Initiatives et de Défense Environnementale (LAVIDA) et le Mouvement des Affectés par les Barrages et de Défense des Rivières (MAPDER)