Par Nancy R. Lange
à Louise Lecavalier
Elle est debout dans ses yeux. Dans ses yeux, déjà, elle se lève et avance. En vérité, elle ne se lève jamais. Elle s’élance. As-tu déjà vu un plancher brûler, devenir un tremplin avant même d’être touché? Allongée, elle s’élance au-dessus du plancher de braise tel un fakir de l’air, un derviche ailé. L’instant d’avant, elle était couchée et regardait le mur derrière, le mur du fond. Elle tourne la tête brusquement vers toi, les yeux ouverts. Elle te vrille du regard. C’est clair, comme si c’était déjà fait. Tu sais qu’elle va bondir.
Elle bondit souvent et c’est pour cela qu’on a peine à la saisir. On ne la saisit qu’un instant. Elle garde toujours en elle la capacité de bondir, même alanguie, même allongée. L’élan la porte. Saurais-tu attraper le vent? Arrives-tu, même en courant très vite, à le suivre seulement?
Elle vibre d’étincelante présence. Il lui suffit d’ouvrir les yeux pour attraper le monde. Son regard est un lasso. Elle tourne les yeux vers toi, sans même te fixer et elle t’attrape. Tu voudrais la saisir, elle t’échappe. Elle éveille en toi la part de sauvage. Les filles veulent être comme elle, un cheval filant si vite qu’on n’en verrait que la trace, un cheval échappé à qui appartient l’espace. Les filles sentent des sabots fous leur pousser au ventre quand elles la voient, quelque chose comme un courage ou un rire. Elles se sentent fortes, capables. Et les hommes ont les yeux qui brillent.