Piotte et Nadeau-Dubois: même combat.

Par Gabriel Gagnon

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Jean-Marc Piotte, un des cinq fondateurs de la revue «Parti pris» en 1963, a enseigné la science politique à l’UQAM pendant plus de trente ans. Il a publié de nombreux ouvrages sur Gramsci, sur la théorie marxiste, sur le syndicalisme et sur la société québécoise. En 2008, il rédigeait un émouvant récit autobiographique intitulé «Un certain espoir» (Les Éditions Logiques). L’automne dernier, dans «Démocratie des urnes et démocratie de la rue» (Québec Amérique), il nous livrait, toujours d’un point de vue personnel, son opinion sur plusieurs problèmes d’actualité: la démocratie, la culture, l’université, les intellectuels, la charte de la laïcité. Le fait que plusieurs des chapitres du livre soient des articles déjà publiés dans des revues nuit un peu à la fluidité de l’ensemble qui ne débouche pas non plus sur une conclusion un peu synthétique.

Je voudrais insister ici sur deux questions soulevées qui m’ont semblé particulièrement importantes pour éclairer la pensée de Piotte.

Le philosophe et sociologue québécois Michel Freitag (1935-2009) a inspiré par ses théories de nombreux étudiants et intellectuels d’ici. Pour lui, nous sommes entrés dans ce qu’il appelle la «postmodernité» qui «masquerait la domination culturelle de la productivité, de la logique instrumentale et du diktat des moyens sur les fins. Cette domination serait si imposante que nous vivrions, selon Freitag, «sous une nouvelle forme de domination totalitaire» (Piotte p. 21). Cette conception de la société semble déboucher sur «une vision apocalyptique où la majorité des citoyens aliénés deviendrait une courroie de transmission du système dit postmoderne» (Piotte, ibid.). À l’individualisme issu de ce système Piotte oppose l’ «individualité» consciente et solidaire qui est la source de la véritable démocratie issue des mouvements sociaux.

Je crois que c’est à partir de cette critique sévère des théories de Freitag qu’on doit comprendre l’option de l’auteur pour une «démocratie des rues» venant inspirer une véritable «démocratie des urnes».

Cette question est centrale dans le livre de Piotte qui y consacre deux chapitres, dont celui sur «les casseurs et les autres» qui traite de «la réjouissante grève étudiante de 2012». Dans nos sociétés, selon lui, les batailles du mouvement syndical et du mouvement des femmes ont consolidé l’ensemble des libertés fondamentales, garantes de la liberté de la pensée et de la liberté d’expression. Ce serait cependant une illusion de croire que «la démocratie de la rue «issue de l’action des mouvements sociaux suffira à transformer fondamentalement un État fondé sur ‘la démocratie des urnes’. La démocratie directe est le meilleur instrument de lutte, mais elle doit servir à renforcer la démocratie représentative, et non se perdre dans l’illusion de son institutionnalisation» (p.107). La grève de 2012, qui a permis l’éviction du gouvernement Charest sans imposer une nouvelle vision du monde, est une bonne illustration de ce principe.

XXX

C’est un peu l’histoire de ce mouvement, vu de l’intérieur, que nous présente son représentant le plus cohérent, Gabriel Nadeau-Dubois dans «Tenir tête», publié chez Lux fin 2013.

Le début du «printemps érable» n’a tenu qu’à un fil, lors de l’assemblée générale des étudiants du Cegep de Valleyfield le 7 février 2012, qui devait se prononcer sur une grève générale illimitée face à l’énorme augmentation des frais de scolarité décrétée par Jean Charest. Cette proposition n’était pas spontanée: «elle a été au contraire, le fruit d’un long et pénible effort de mobilisation accompli par une poignée de militants» (p.6). Sans la faible majorité de douze voix obtenue ce jour-là, le mouvement n’aurait sans doute pu prendre son envol et rejoindre la majorité des étudiants québécois et une bonne partie de la population.

La principale organisation étudiante, la CLASSE, dont Nadeau-Dubois était le porte-parole, pratiquait justement cette «démocratie de la rue» dont parle Piotte. Elle adoptait chaque semaine des positions que Gabriel devait rendre publiques. Celui-ci n’était pas le leader du mouvement mais son porte-parole qui ne pouvait jamais sortir du mandat défini à l’avance par l’assemblée générale. Cette position fort embarrassante le soumettait à l’hystérie de la majorité des média qui accusaient son mouvement d’être un ramassis d’»indiens sans chef» infiltré par un groupuscule anarcho-communiste venu de l’extérieur. Il doit choisir de quitter son poste en aout 2012 n’étant plus d’accord avec l’assemblée de la CLASSE qui envisageait, sans véritable consultation, la prolongation de la grève malgré l’annonce des élections.

Après avoir décrit de l’intérieur un mouvement pratiquant une forme nouvelle de démocratie, l’auteur montre bien dans le chapitre 11, «Tout ça pour ça», comment une si vaste mobilisation prônant la gratuité scolaire, la réforme de l’université et l’avènement d’une société nouvelle avait finalement abouti à mettre au pouvoir un PQ qui, avec la simple indexation des frais de scolarité, n’ouvrait pas la voie à la gratuité scolaire et aux transformations profondes de l’université et de la société, souhaitées par une bonne partie des étudiants en grève.

Malgré sa déception, Gabriel Nadeau-Dubois croit que le printemps 2012 n’a été qu’une étape et que «si la vague des carrés rouges a semblé se retirer rapidement et laisser peu de traces derrière elle, ce n’est que pour mieux revenir» (p. 203). Continuons comme il nous le propose, «de marcher vent debout, à l’envers du temps», (p.210).

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