Nous sommes je. Je suis nous*

Par Ève Marie Langevin

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Il arrivera, je le crois, une époque quelconque, dans laquelle des législateurs philosophes donneront une attention sérieuse à l’éducation que les femmes doivent recevoir, aux lois civiles, qui les protègent, aux devoirs qu’il leur faut imposer, au bonheur qui peut leur être garanti.
Mme de Staël (Germaine Necker), 1800. (1)

C’est un énorme cliché, cette idée que lorsqu’on réussit ses enfants, on réussit sa vie. Mais ça demeure vrai pour bien des parents, non ? S’agit évidemment de ne pas se fourrer entièrement sur le sens de ‘réussir’.
Fanny Britt, 2013. (2)

Imagine
Toutes ces minutes
ces minutes
ces minutes
sans toi -même
depuis la nuit des temps
consacrée
à lui, à eux surtout, enfants.

Toi, perdue
oubliée, cantonnée,
jamais su vraiment
jamais voulu
ou jamais pu
dire vraiment
qui tu es

Maintenant Mère-Terre
si blessée par lui, trahie, polluée, déviargée, révoltée, inféodée (3)
passe par toi
pour guérir
pour parler
pour écouter
ta petite voix
la nuit quand elle transfuse par toi.

Ta maternité sera révolutionnée
quand tu ne panseras plus
ton enfant accouché
comme seul tien
mais comme celui du village (4).

Il ne sera plus ton bâton de vieillesse,
ou ta petite bête de cirque
ou ta seule valorisation
que tu essaies de faire
à ton image
et il deviendra plus facilement
plus profondément (peut-être)
lui-même, elle-même
et toi tu auras enfin…

… plus de temps
à consacrer
à toi- même
au monde.

Mère-Terre est en toi…
Laisse-toi aller
Partage ton poids.

Tu seras plus et plus
mère de tous
et non seulement
de quelques-uns
car Mère-Terre
te revendique, femme
pour remonter au lac primaire
jusqu’à ta source (5)
pour passer par tes eaux, tes mains
par ta bouche
par ta sexe
par ta sensibilité
différentes

Toutes et Seule
vigilante,
languissante.
amoureuse,
trancHante,
double,
inconnue,
possibles.

Ta fille, ton fils, les enfants de la Terre
Voici venu le temps des femmes.
*/*

* Voir l’histoire de la nominée au Nobel de la paix 2013, la jeune Pakistanaise Malala Yousafzai , pour la lutte à l’éducation et contre les talibans.
Et aussi celle de K’nyaw Paw, contre la violence faite aux femmes et aux enfants en Birmanie (Myanmar), de la minorité Karen, dans les camps de réfugiés.

Aussi, chaque jour, des femmes sont victimes de terribles violences sexuelles partout dans le monde. Au Congo, en plus de les soigner, le docteur Denis Mukwege dénonce ces crimes.

Et la rappeuse afghane Paradise Soroui, dans sa chanson Nalestan (Le pays de la douleur) : « J’ai voulu courir mais ils m’ont frappé le dos / J’ai voulu pensé mais ils m’ont frappé le tête / Ils ont brûlé mon visage au nom de l’islam / J’ai été déshonorée par vengeance / J’ai été aspergée d’acide sur tout le corps / J’ai été vendue comme une morte sans âme / Je voulais parler mais on m’a arrêtée parce que je suis une femme.» (Traduction du journal Le Devoir) http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/405387/la-rappeuse-afghane-qui-defie-les-talibans

RÉFÉRENCES
(1) Mme de Staël, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, 1800.
Laurin, Michel; Bossé, Véronique. 2012. Anthologie littéraire, du Moyen-Âge au XIXe s. Montréal: Beauchemin/Chenelière éducation.
Selon Laurin, mme de Staël est la première romancière et la première théoricienne du mouvement romantique français au 19e s.
Wikipédia, 2014 : « Dans ses romans, elle [de Staël] présente les femmes comme les victimes des contraintes sociales les empêchant d’affirmer leur personnalité.»

(2) Britt, Fanny. 2013. Les tranchées. Maternité, ambiguïté et féminisme en fragments. Montréal: Atelier 10.

(3) Selon l’ex-secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, « trop de femmes font encore face à un mur». Invitée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain au Palais des Congrès, Mme Clinton pense que « le statut des femmes à l’échelle mondiale a reculé ces dernières années. (Tanguay, Sébastien. 2014. « Hillary Clinton en campagne pour le droit des femmes », journal Métro, 19 mars).

Pour ce qui est de l’état gravissime de l’environnement, voir notamment les rapports du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts de l’ONU sur l’évolution du climat) de 2010 et de 2014, le Rapport Brundtland/ONU de 1987 ainsi que les conclusions du Club de Rome/MIT de 1972.

(4) Pour ce faire, il faudrait aussi que l’architecture intérieure et extérieure de nos habitations soit complètement changée.

(5) Lors de l’évènement nouveau genre «MITSHETUTEUAT» organisé en avril 2014 par SOS Territoire, le GRIP-UQAM et des étudiant.e.s en travail social de l’UQÀM, étaient invités, l’espace d’une journée, des militants écologistes, des militants autochtones et des autochtones traditionalistes à se rencontrer pour partager. Les ainé.e.s autochtones appelés grands-pères et grands-mères furent invités à parler en cercle de parole et les autres à écouter et à poser des questions. L’objectif était de « se donner des moyens de créer de l’unité pour la protection de la Mère-Terre». Une situation vint considérablement changer l’horaire de la journée. Les hommes ayant pris beaucoup de temps de parole en matinée, les grands-mères demandèrent d’avoir du temps pour être écoutées à leur tour, ce qui fut fait. Plus tard dans la journée, lors d’un 2e rassemblement plus large, quelqu’un fit devant tous la blague que les hommes n’écoutent pas suffisamment les femmes, ce qui causa hilarité et détente dans le grand cercle de parole…

Quand je demande à Monique, grand-mère au Lac Simon si elle fait un lien entre la destruction de l’environnement et la condition de la femme, elle me répond : « oui, parce que nous, les femmes, nous ne savons pas si nos petits-enfants auront une terre pour y vivre dignement et en santé. Nous ne savons pas s’ils auront un avenir… », l’air songeur…

Affiche du jour de la terre 2014, de la page fb Unify

https://www.facebook.com/media/set/?set=a.517823741562555.122439.517818901563039&type=1
et de la plateforme Internet Unify http://unify.org/earthday

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