Déclaration de paix, 15 mai 2012
à Kristiane,
Gestes lacrymés
changés en mensonges policiers
«mots lacrymogènes, mots matraques»*
La manifestation est illégale,
Veuillez vous disperser
ah non pas encore !
Et pourquoi
je vous le demande,
un jeune a fait quelque chose
on ne sait pas trop quoi
les cavaliers de l’apocalypse urbain
ont essayé de l’attraper
la foule a couru le protéger le rattraper, la technique de la pieuvre a-t-elle bien fonctionnée
les manifestants commencent à avoir de l’expérience dit-on
mais pour créer diversion et séparer la foule
un motardcop sort d’on ne sait où et fonce dans le tas dans l’autre direction
heureusement personne n’est blessé, juste frôlé qu’on m’a dit
les plus valeureux poursuivent le motardcop qui passe devant moi ahurie
en criant des bêtises
nous avions chanté avec la Chorale du peuple
nous étions plus calmes et plus centrés
de longues minutes plus tard
au jeu du rat et de la souris
tous les manifestants sont annoncés illégaux au mégaphone
je l’ai entendu à la télé les autres fois
mais là c’est là devant moi
D’un coup, je sens pourquoi ils se radicalisent
tellement je suis stupéfaite
dans mon pacifisme indigné
300 personnes n’ont plus le droit de manifester parce qu’un aurait fait quelque chose
je rappelle qu’il n’y a ni bris ni blessés ni morts, peut-être une seule provocation
heureusement la foule reste plutôt calme
peut-être le repère des Indignés dégage une aura de pacification,
qui aurait cru que Victoria règnerai encore en nous de cette façon là
l’incroyable égrégore-esprit des lieux créé par notre expérience de l’automne
ne sera jamais effacé
ils peuvent effacer tout sauf notre conscience
Elle rayonne maintenant maintenant maitresse des lieux
sur les tours à bureau, bourse, Québécor, PowerCorp et compagnie
les manifestants s’assoient, se reposent et reprennent des forces avant de repartir ou de se disperser
peut-être vers Émilie-Gamelin
attention nous sommes gravement sur la nouvelle pente,
celle des nouveaux risques
qu’on préfère ne pas voir
je vous en supplie allez-y au moins une fois
vous y verrez la création de la réalité
C’était bien moins grave qu’à Québec 2001,
mais le ton pour les détails a monté à la puissance 2012 chez les autorités
dans leur/notre corruption
ils ont tant de peur,
les petits soldats de bois
un seul souffle suffit pour les désenligner
Après nous sommes 7-8 camarades d’Occupons Montréal
on s’improvise gardiens de sécurité du jeune homme maintenant isolé par 5 policiers
nous courons pour les rattraper
des dames, des mères sur la rue voyant la scène
se mettent à applaudir ironiquement puis à les critiquer
les huit chars
qui quittent le théâtre surréaliste
du montage en épingle d’un seul geste
voilà comment on crée la violence dans notre pays si pacifique si allergique à la violence
si calme avec sa révolution dite tranquille d’un âge où la conscience était à ses débuts
Ensuite de retour à la Place du peuple
nous observons le reportage radio canadien
la journaliste dit que le jeune homme avait lancé de la crotte
que cela explique ou justifie le recours à l’illégalité de la manif
nous nous insurgeons, le cam ferme le kodak, Reda se fâche, je tempère,
je demande les faits, la journaliste s’excuse, discute, je lui demande de refaire le topo avec un autre point de vue elle accepte, Fabrice et une jeune fille parlent, après la journaliste nous confie son stress sa position inconfortable critiquée de toute part, je lui parle de leurs fausses images de samedi sur l’événement JAPPEL à mon tour je m’énerve Kristiane prend la relève pour savoir comment elle se sent, elle a marché le chemin de Compostelle, le dialogue reprend, nous nous serrons la main
Finalement, revenus à la statue nous participons à un autre groupe de discussion sur une éventuelle grève sociale assis sur le trottoir au coin St-Antoine/Beaver Hall entre toutes les autos et les bruits
Le temps a changé une autre grain de sel est posé
Une vieille dame passe, nous engueule parce que les jeunes traitent mal les vieux
On l’écoute calmement, accusant le coup
un dialogue se crée, le jeune Reda parle nous les entourons
à la fin la veille dame prend Reda dans ses bras
À travers toute cette laideur
quelque chose de si beau est sorti
nous nous sommes transportés à nous-mêmes
Quand les hommes et les femmes de coeur (re)commencent à prendre la parole de l’action,
c’est qu’un autre pays est en marche,
c’est que notre âme,
exaspérée et famélique
a décidé de franchir le Rubicon,
l’illusoire distance qui nous sépare de l’autre.
Ève Langevin
takartpoesie@yahoo.ca
———————–
* référence à «Speak White» de Michèle Lalonde (1968) dont voici la partie finale :
«Speak White
de Westminster à Washington relayez-vous
speak white comme à Wall Street
white comme à Watts
be civilized
et comprenez notre parler de circonstance
quand vous nous demandez poliment
how do you do
et nous entendez vous répondre
we’re doing fine
we
are not alone
nous savons
que nous ne sommes pas seul.»