Flou artistique et mystification autour des diamants camerounais
Découvert récemment par le géologue-découvreur le plus célèbre de Corée du Sud, le premier gisement de diamants a fait l’objet d’un spectacle bureaucratique typique du système au pouvoir
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Par Jean Marc Soboth,
Introduction
Unique en son genre, l’une des plus hautes, des plus variées et des plus luxuriantes au monde, l’altière flore équatoriale du sud-est camerounais se classe au troisième rang des plus grands massifs forestiers de la planète, après celle d’Amazonie au Brésil et le massif du Congo-Kinshasa. Il s’agit d’un des réservoirs d’oxygène essentiels à l’humanité. Mais ceux qui l’exploitent semblent depuis des lustres n’en avoir cure.
Les rapports français de la campagne antiallemande de 1914-1916 la présentent pourtant comme étant sans intérêt, « d’autant moins accueillant pour l’Européen qu’on descend vers le Sud »[1]… Ce n’est en fait qu’une vue de l’esprit.
Pillée sans relâche par des multinationales de coupe des essences depuis deux-tiers de siècle, cette forêt se trouve cette fois convoitée pour les immenses ressources minières dont elle regorge. Des chercheurs coréens y ont découvert un gisement important de diamants en 2008, en plus de l’or, du fer, du nickel, du cobalt et de l’uranium dont on savait déjà qu’elle était riche.
C’est en analysant le fonctionnement historique de l’appareil d’État camerounais qu’on en vient à comprendre les raisons de l’exploitation contre-productive des ressources naturelles dans cette sous-région. Il convient donc d’examiner ici, successivement : 1) le contexte géopolitique, environnemental et historique du système camerounais; 2) le débat diplomatique autour du gisement de diamant de Mobilong/Limokoali; 3) en particulier les premiers conflits dans la bureaucratie et in situ ; 4) un panorama des autres ressources minières objet de processus d’exploitation dans la région, ainsi que 5) des contenus textuels destinés théoriquement à favoriser le développement.
1. Enjeux environnementaux, géopolitiques et historiques du système camerounais
Le rapport occidental à la région est l’histoire d’un mépris.
Conduit par la méconnaissance des lieux, et surtout par la nécessité de dénigrer systématiquement le bilan allemand au Cameroun à la fin de la première guerre mondiale, le colonel français Jean Charbonneau peint une image peu reluisante de cette forêt; « le climat insalubre et chaud dans toutes les régions du Cameroun, écrit-il, devient de plus en plus débilitant dans la zone forestière, et les populations qu’on y rencontre, très clairsemées, puisque leur densité ne dépasse pas un habitant au km2, présentent de tels caractères de dégénérescence qu’on les considère comme les plus arriérés du globe… (sic). » [2]
Cet hinterland, auquel l’Allemagne renonce en vertu du Traité de Versailles du 28 juin 1919, est partagé le mois suivant entre la France et la Grande-Bretagne sous l’égide de la Société des Nations (SDN). Mais la région vit, des suites de ce transfert, un déstructurant aggiornamento. Lesdites populations « dégénérescentes », partie intégrante du patrimoine foncier retransmis aux nouveaux maîtres des lieux, seront réduites au rôle de muets et impuissants spectateurs d’une méga-exploitation de leur environnement, qui dure maintenant depuis plus d’un demi-siècle.
Privés progressivement de l’essentiel de leur terre nourricière par la multiplication des Unités Forestières d’Aménagement (UFA)[3], les bantous, voisins des peuplades pygmées Baka (premières nations[4] de la forêt) sont maintenus dans la pauvreté et l’indigence complètes. Convertis à une modernité de précarité matérielle et de dénuement, sans revenu aucun, ces ruraux analphabètes à mi-chemin entre deux cultures antinomiques sont restés sans infrastructures sociales, sanitaires ou pédagogiques crédibles. Ils sont réduits soit à quémander des déchets d’usine destinés au feu, désormais difficiles d’accès par simple maraudage; soit à tel lopin de broussaille dans l’espace ancestral pour une culture vivrière de subsistance ou pour la chasse au gibier – raréfié par un braconnage innommable « importé » par le pillage industriel des écosystème. Ils doivent mendier de rares emplois de manœuvres, d’ouvriers ou de tâcherons payés à moins de 25 000 francs Cfa/mois (50$ CAD), le Smic local, emplois qu’on leur refuse sans scrupule « parce qu’ils ne sont pas qualifiés ».
Les indépendances politiques intervenues dans les années 60 dans cette sous-région des ex-colonies françaises n’ont pas changé grand-chose à la donne. Elles ont généré un nouveau type de contrôle stratégique des ressources par la métropole. L’ancienne puissance tutélaire – qui, à son tour, a rogné de plus du tiers le territoire « utile » hérité de l’Allemagne pour arrondir la superficie de ses colonies voisines d’Afrique Équatoriale Française (AEF)[5] – y perpétue sa mainmise. Elle veille scrupuleusement à imposer sur l’échiquier des multinationales en situations monopolistiques ou de préemption sous le couvert d’un présidentialisme aux ordres[6]. Cette France-là a concédé accords de défense, pactes secrets, amabilités et protection internationale pour la pérennité des régimes locaux.
La France y a surtout maintenu le levier de contrôle suprême[7] : la politique de l’émission de la monnaie. La devise officielle du giron, le franc des Colonies françaises d’Afrique (Cfa), créé en 1945 par l’État français suite à la ratification des accords de Bretton-Woods, y a à juste titre acquis le patronyme de franc de la Communauté française d’Afrique en 1958. Puis, de l’indépendance à nos jours, il est devenu le franc de la Communauté financière africaine, avec un mécanisme d’émission qui n’a toutefois jamais changé.
C’est dans ce paysage, historiquement marqué par l’annihilation de toute volonté citoyenne locale depuis les déportations massives obligatoires de populations pour les travaux forcés coloniaux et, précédemment, du fait de la traque-ponction esclavagiste multiséculaire[8], que des permis de piller la nature sont offerts à tour de bras par le régime en place. Ce système permet une définition particulière de ce qu’est une ressource, au profit d’exploitants étrangers et au détriment des populations locales.
La ressource (naturelle) est ici l’élément central d’un système dans lequel les populations font tout au plus partie de l’achalandage. L’État n’a toujours pas intégré l’idée postcoloniale de populations pouvant être bénéficiaires automatiques de l’exploitation. Pendant des décennies, l’élite politique locale a mené le combat de la reconnaissance des riverains comme ayants-droit directs. Cette idée a, tout juste, fini par transparaître dans les discours politiques, d’autant que l’idée des écosystèmes comme propriété exclusive de l’État gouverne depuis toujours la philosophie du pillage de la forêt.
La plupart du temps, les transactions administratives sur la forêt se font à l’insu des riverains, et à l’exclusion de toute contrepartie en termes de développement local, le tout se réduisant à des libéralités politiciennes. La technique est celle de petits compromis au sommet dans une géostratégie de la conservation du pouvoir de l’État par la satrapie[9] régnant depuis l’indépendance, question d’assouvir son allergie aux incertitudes du suffrage universel, et ce, avec l’appui inconditionnel de l’ancienne puissance coloniale.
C’est donc dans ce type de contexte que l’on découvre en 2008 la gracieuse cristalline et autres joyaux miniers du sud-est camerounais – s’ajoutant en matière d’envergure au gisement septentrional de bauxite de Minim-Martap, d’une capacité de 1,2 milliard de tonnes, jamais exploité depuis l’indépendance par la seule volonté d’un groupe français producteur d’aluminium qui tenait à éviter toute concurrence avec sa filiale de Guinée Conakry.
2. Les diamants de Mobilong/Limokoali : la découverte[10], la diplomatie et les premiers conflits in situ
L’annonce par le quotidien coréen Korea Times[11] en février 2008 de la découverte du gisement de diamants d’un potentiel de 736 millions de carats dans la Boumba-et-Ngoko eut pu être une belle nouvelle. Pour les observateurs, elle a conféré une dimension internationale au potentiel minier national dont la contribution au Produit Intérieur Brut (PIB) demeure négligeable – 6,5 %.
Malgré la conjoncture alors jugée défavorable[12], cette découverte, qu’essayait de dissimuler le régime (apeuré par l’idée que « le diamant apporte la guerre ! ») a accru de manière substantielle l’intérêt d’exploitants mondiaux du minerai, en l’occurrence la Corée du Sud. En octobre 2009, Séoul a signé l’augmentation de sa mise à la Banque Africaine de Développement (BAD) à hauteur de 306,1 millions de dollars US. Et il y a eu une offensive diplomatique : un ballet à Yaoundé et la réouverture annoncée de l’ambassade de Corée du Sud au Cameroun, fermée il y a quelques années faute d’intérêt[13].
En annonçant officiellement la découverte aux Camerounais au cours d’un gala organisé à Séoul en mars 2008 par le président de la firme C&K Mining Inc., M. Oh Duk-kyun, les Coréens ont tenu à indiquer qu’elle fut l’œuvre du célèbre géologue Kim Won-sa, professeur à l’université de Chungnam, qui honorait également les convives de sa présence. Chercheur de renom en Corée où il a été engagé par la firme coréenne à cet effet, le Pr. Kim Won-sa, 57 ans, n’est pas n’importe qui. Il est cité dans les universités occidentales parmi les découvreurs les plus compétents du siècle.
Le chercheur a une notoriété établie dans son pays. À la tête d’une équipe d’éminents géologues de l’université nationale de Chungnam, le Pr. Kim Won-sa avait découvert en 1997 « le plus grand gisement de titane du monde »[14] (50 millions de tonnes) dans les comtés de Hadong et Sanchung dans la province du South-Gyeongsang, dans le sud-est coréen, au bord de la mer du Japon.
Cependant, en ce qui concerne le Cameroun, le quotidien Korea Times se montre déjà prudent. Le processus d’exploitation n’avance pas comme souhaité. En sus des complications bureaucratiques à Yaoundé, le Pr. Kim n’arrive toujours pas à rencontrer le chef de l’État camerounais, M. Paul Biya, pour « un entretien sur les capacités minières du pays ». « L’homme-lion » reçoit fort peu, quelle que soit la nature du sujet. Il y a plus : il est soupçonné de brainstorming avec quelque parrain sur le contrôle du gisement[15].
En tout état de cause, la C&K Mining Inc. a attendu jusqu’au 16 décembre 2010 que le chef de l’État camerounais signe enfin un permis d’exploitation pour démarrer officiellement les exportations de diamants vers la Corée[16]. D’après le Code minier, « le permis d’exploitation est accordé par décret du président de la République » (Article 45). D’après l’AFP, une concession minière d’une durée de 25 ans renouvelables a été concédée aux Coréens selon un partenariat 65/35. Dès 2035, la concession fera l’objet d’une prolongation par 10 ans, tandis que la production atteindra très vite les 6 millions de carats annuellement.
Des spécialistes, optimistes, affirment déjà que si le potentiel diamantifère de la Boumba-et-Ngoko est mis en exploitation, le Cameroun se verra propulsé, avec ses 2 millions de carats annuels prévus, dans le happy-few des grands producteurs mondiaux parmi lesquels on compte : la Russie (38 millions de carats), le Botswana (31, 890), l’Australie (30, 678), la République démocratique du Congo (27, 000), l’Afrique du Sud ( 15, 775), le Canada (12, 300), l’Angola (10, 000), la Namibie (1,902), la Chine (1,190), le Ghana (1,065).
Mais le système mafieux et vénal au pouvoir permettra-t-il seulement que tout se déroule selon l’orthodoxie ? Qui évaluera vraiment les ravages environnementaux, culturels ou simplement humains de l’exploitation en la matière ? Le régime au pouvoir, honni[17], est-il à la hauteur des attentes ? Rien n’est moins sûr.
L’intellectuel camerounais Achille Mbembe résume ainsi, telle une galéjade, les « états de service » de ce système. « Il y aura bientôt trente ans, écrit-il, une élite libidineuse s’est incrustée à la tête de l’État. En collusion avec la plupart des forces locales, elle a transformé le pays en l’une des satrapies les plus vénales de tout le continent. Après avoir procédé à une destruction systématique de l’infrastructure morale et éthique de notre société, elle a érigé le vol, la perversité et la transgression en nouvelles normes et coutumes partagées aussi bien par les dirigeants que par leurs sujets. (…). Au point où aujourd’hui, la sénilité aidant, l’ensauvagement s’est transformé en culture, en conscience collective et en mode de vie »[18].
La pratique procède malheureusement de ce scénario-catastrophe. Dans les bureaux à Yaoundé, nul n’est prêt à parler clairement du gisement de diamants. On mystifie malignement. On ment. On feint de banaliser l’affaire. On fait diversion ! Les riverains demeurent sans réelle information ou explication sur ce qui se passe. On leur a parlé vaguement du diamant, d’éventuelles retombées burlesques, comme des points d’adduction d’eau dans les villages, d’un danger environnemental bénin. Ils ne savent donc pas s’il faut déjà se remettre à rêver de sortie de la pauvreté de cette région, la plus indigente! En même temps, ils ne se font pas d’illusions. Illettrés pour la plupart, les bantous de la forêt équatoriale n’ont jamais su s’ils avaient quelque droit ou emprise sur les événements qui transforment leur environnement, en dehors d’emplois particulièrement précaires auxquels ils pourraient avoir accès – les meilleures positions étant destinées « aux étrangers », nationaux diplômés et plus éclairés en provenance d’autres régions du pays où se déroulent les recrutements.
La loi portant Code minier[19] prétend certes « encourager la recherche et l’exploitation des ressources minérales nécessaires au développement économique et social du pays ainsi que la lutte contre la pauvreté », mais des énoncés similaires existent dans la plupart des textes. Cette région n’en est pas moins demeurée la maudite, avec ses milliers de kilomètres de pistes de boue au milieu du désolant spectacle du pillage tous azimuts.
Selon l’administration des forêts et les organismes spécialisés qui affichent une liste des espèces menacées que nul ne consulte, de nombreuses espèces de faune et de flore disparaissent progressivement. C’est le cas entre autres du Moabi, véritable symbole de cette région productrice d’huile de karité à l’état sauvage. Ces éléments identitaires cruciaux sont décimés. L’afflux des braconniers qui s’engouffrent dans les pistes creusées par les engins lourds a également induit l’extermination programmée de la faune en voie de disparition. Les animaux sauvages cherchent en vain un habitat dans leur forêt assiégée par la hargne des tronçonneuses et des canons.
Cette occurrence a poussé les peuplades pygmées Baka, avec leurs moyens de chasse rudimentaires comparés à l’arsenal impressionnant des braconniers, à abandonner massivement la forêt pour s’essayer à une vie sédentaire « moderne » – mais ô combien misérable! – dans le voisinage des villages bantous. Ils y mènent une petite vie pitoyable de tâcherons ivrognes payés très souvent de quelques joints de cannabis.
3. Flou artistique, mafias et mésententes rendant plus épais le mystère des perspectives d’exploitation
Un flou indescriptible règne donc dans la conduite du processus final de recherche du fait de fonctionnaires corrompus[20], profondément divisés sur des questions s’apparentant à des stratégies d’appels du pied à prébendes[21]. Cela se passe entre intermédiaires institutionnels du business minier – au Cameroun, l’infrastructure éthique et le sens de la res publica se sont considérablement délités dans l’administration[22].
Aussi les missions de détonnage des conglomérats commencées en août 2009 sur le site diamantifère par la firme C&K Mining Inc. – coordonnées sur le terrain par le géophysicien Emmanuel Kouokam (BEIG3) – sont autant de spectacles conflictuels : opposition entre les Coréens et les fonctionnaires écartés du business d’une part, entre les riverains/l’élite politique locale et la société exploitante d’autre part, sans parler enfin des bisbilles entre les ex-associés coréens.
Ainsi se dessine le front des conflits :
• Différends entre géologues. Les opérations de brouillage des roches (explosion des roches à l’aide de la dynamite) ont révélé de nombreuses oppositions de vues entre géologues camerounais « de mauvaise foi » (sic) et coréens sur la nature des conglomérats. Sous l’influence d’un groupuscule de technocrates du département des Mines – à l’instar du sous-directeur des ressources minières, M. Guillaume Mananga -, des fonctionnaires, peu au fait des nouvelles technologies du reste, récusent avec véhémence les données techniques, notamment la dimension du gisement telle que déclarée par les Coréens[23]. Les fonctionnaires réfutent par ailleurs l’idée selon laquelle la découverte est exclusivement coréenne.
Pour un autre camp, il s’agirait simplement de nuire au chef de département en fonction, Badel Ndanga Ndinga, un politique médiocre déjà accusé de se sucrer dans cette affaire sans partage. « Il ne sait même pas grand-chose de cette affaire ! », déclare l’un de ses proches. D’autres enfin estiment que la bouderie de la bureaucratie est née du fait que les Coréens n’offrent pas de véritable transparence sur leur activité[24].
En réalité, « la vraie découverte coréenne est celle des roches-mères » : il s’agirait de la génitrice de ces kimberlites diamantifères qui, altérées et démembrées par l’érosion météorique, ont été transportées par les rivières et ruisseaux de la région pour former quelques dépôts alluvionnaires[25], au point de susciter une razzia des ressortissants voisins centrafricains dès les années 1980, d’après le rapport de C&K Mining.
• Des populations locales marginalisées. Dans les tribus riveraines du gisement (Mbimou, Mvomvong, Kounabembe, etc.), à un millier de kilomètres de piste de la bureaucratie[26], les récentes explosions de dynamite dans la forêt ont provoqué un tel émoi que la cité métropolitaine Yokadouma a failli essuyer un soulèvement populaire. Les riverains qui ont été invités à quelques palabres sommaires dans le cadre de l’impact environnemental avaient cru, du fait des détonations, que l’exploitation du diamant avait démarré sans qu’ils n’en soient avisés. Comme d’habitude.
Le site a immédiatement fait l’objet, fin août 2009, de mesures de sécurisation spéciales instaurées par le Premier ministre. Des zélateurs sont allés promettre des représailles aux villageois, leur rappelant que la C&K (dont les employés coréens du site ne s’expriment ni en français, ni en anglais, langues officielles au Cameroun) procédait encore à des opérations de recherche. Et surtout qu’elle bénéficiait de la protection des forces de l’ordre, étant donné que « la forêt appartient à l’État et non aux riverains »[27].
• Un parlement maintenu dans l’ignorance. Pour percer le mystère – décidément opaque ! – du diamant que l’on se trouve à cacher même au Parlement, des élus, conduits par le député Gervais Bangaoui[28], courageux riverain Mbimou, ont été mis en mission sur le site (début juillet 2009) par le président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yéguié Djibril. D’après l’élu de la Boumba-et-Ngoko (que nous avons rencontré à Yaoundé), « le but de la mission fut de faire la lumière sur l’état de l’exploration/recherche coréenne, cela étant donné nombre d’activités jugées suspectes ».
Avec la complicité de fonctionnaires, des exportations illégales de minerais, recueillis sous le sceau du secret de la recherche, auraient été signalées – ce serait là l’un des principaux moyens d’enrichissement desdits fonctionnaires. La mission parlementaire s’est butée à une hostilité rare de la C&K qui, évoquant à nouveau le fameux secret de la recherche, a refusé l’accès au site. Les Coréens ont dû céder face à la détermination des parlementaires, qui ont bravé la réticence du ministre des Mines appelé à la rescousse par téléphone.
Le prétexte pour mener ces activités secrètes est en béton. D’après le Code minier (article 42), le titulaire d’un permis de recherche est tenu d’adresser des rapports uniquement au ministre. De même (alinéa 1), « Pendant la durée de validité du permis de recherche ou, le cas échéant, du permis d’exploitation en résultant, tout rapport (…) ne peut être mis à la disposition d’une personne étrangère à l’Administration chargée des Mines ». Et « son contenu ne peut être divulgué, sauf dans la mesure où les éléments sont nécessaires à la publication des informations statistiques sur la géologie et les ressources minérales de la nation ». Or justement, on a rarement vu des données statistiques domestiques de ce pays, en dehors de celles des organismes internationaux.
• Des exploitants coréens eux-mêmes divisés. La C&K Mining Inc., joint-venture créée en mars 2006 – et ayant fait l’objet d’un permis par décret du 26 avril 2006 – a engendré sa propre dissidence, résultant manifestement d’une mise à l’écart de la juteuse découverte. La Kocam Mining (Korea & Cameroon Mining) est née, avec de nouvelles structures, en employant une partie de l’ancien personnel coréen de C&K Mining (Cameroon and Korea). La formation mutine poursuit la recherche, extrait et exporte l’or de Colomines dans la Kadey, la circonscription voisine de la Boumba-et-Ngoko diamantifère.
Pour l’instant, toute l’information sur l’activité diamantifère et aurifère, artisanale ou industrielle, est détenue en exclusivité par un certain Ntep Gweth, ingénieur et coordonnateur du Capam (Cadre d’appui à la promotion de l’activité minière), principal interlocuteur des Coréens avec lesquels il a signé un accord en 2006. Selon des informations crédibles, ce Cadre, qui n’emploie qu’un entourage tribal et dont la proximité avec le département des Mines n’offre pas plus de clarté, est plutôt soupçonné de complicité dans le business coréen lui-même conclu dans un partenariat déséquilibré – 80/20 (au détriment des Camerounais).
Cette région riche (pour combien de temps encore?) compte également en son sein une vaste région aurifère n’ayant jamais fait l’objet de recherches sérieuses. Elle compte d’autres exploitations minières qui, les unes et les autres, fonctionnent depuis des années selon un schéma nébuleux de non-activité officielle.
4. Conséquences environnementales : les suspects atermoiements de l’exploitation des minerais de fer et de nickel-cobalt…
Un gisement de nickel-cobalt à Nkamouna dans le Haut-Nyong, à une centaine de kilomètres à vol d’oiseau du site diamantifère de Mobilong, a déjà fait l’objet de permis d’exploitation. Personne ne savait jusqu’alors quand l’exploitation effective allait démarrer. L’affaire est rapidement devenue un feuilleton à rebondissements avec des soulèvements sporadiques des riverains contre l’exploitante, la firme américaine Geovic. Pour ceux-ci, l’exploitation passe déjà par des sacrifices. À côté du népotisme dans les recrutements du personnel, le projet inquiète par la teneur en uranium du sous-sol à proximité des habitations.
La mine d’une superficie de plusieurs hectares est située dans une zone abritant végétation et faune. Un projet de régénération a été promis après l’extraction, le procédé subséquent usant de l’acide. « Rien ne semble prévu dans la pratique », d’après l’élite qui suit le dossier. L’extraction impose par ailleurs l’utilisation de méthodes à ciel ouvert. L’exploitation de chaque puits, de 400m de long et 150m de large, durera 180 jours. Environ 30 hectares de forêt seront perturbés chaque année pour une production de 7 000 tonnes sèches de minerai par jour alors qu’en contrepartie la région n’en obtiendra aucun avantage probant.
Pour démontrer le peu d’intérêt du sujet, de hauts responsables du Ministère interrogés à cet effet préfèrent évoquer la mauvaise conjoncture des minerais sur le marché international. Les réserves prouvées de cobalt permettraient pourtant d’assurer le fonctionnement des industries pendant 172 ans. La firme américaine Geovic détient un permis sur un potentiel de 52,7 millions de tonnes de cobalt, nickel et manganèse, exploitables pendant 25 ans sur un massif minéralisé de 300 km2. L’entrée en exploitation de la mine était initialement envisagée à l’échéance 2009.
Et déjà, alors que la firme prend pour prétexte la crise financière – intervenue longtemps après – pour retarder le lancement officiel de ses activités, les riverains l’accusent d’exporter illégalement des cargaisons de minerais pendant les atermoiements… avec la complicité du ministère. La firme avait annoncé son installation définitive en janvier 2010 « sous réserve de l’amélioration de sa situation financière ». La société s’enorgueillit toutefois « d’importantes réalisations sociales »: don d’une petite ambulance et de médicaments dans le village ; pépinière de banane-plantain et minuscule élevage d’aulacaudes; construction de deux salles de classes rudimentaires et prise en charge d’un instituteur à l’école d’un village.
Le gisement de fer de Mbalam, plus récent dans la forêt, n’échappe pas à cette typologie de l’opacité. La firme australienne Sundance Resources Limited, à travers sa filiale Cameroon Iron S.A. (voisine de Geovic), a pu déterminer la quantité et la teneur du gisement de fer suite à un accord signé en 2006 avec le gouvernement. Le potentiel prouvé en juin 2010 est de 175 millions de tonnes de minerais riches (environ 70% de fer) et 2,2 milliards de tonnes de minerais moyens (40% de fer).
La firme, qui a aussi excipé de la crise financière pour geler ses activités, avait promis 600 millions de francs Cfa (plus d’un million de dollars CAD) en vue de la construction d’un tronçon en terre de 73 km menant au site d’exploitation, avec une dizaine de pontons. Cette route était censée entrer en activité au cours de l’année 2007 pour permettre à la firme australienne de transporter sur le terrain des équipements de forage. Pour l’instant, les travaux subséquents n’ont pas débuté.
Conclusion
Bien que brouillés par une mafia de fonctionnaires autour de stratégies de prébendiers, mais aussi par « l’ensauvagement » administratif, le flou artistique général et le mépris de l’environnement local, les diamants camerounais pourraient constituer, à eux seuls, l’élément indispensable à l’essor de l’industrie minière. Mais on sait déjà qu’il est impossible de tirer une rationalité économique du redoutable embrouillamini bureaucratique et politique qui accompagne le processus d’exploitation, du moins en l’état actuel du système.
Il en est d’ailleurs de même de la transparence dans la gestion des revenus d’une exploitation effective desdites ressources.
C’est sans doute ici le lieu d’évoquer l’espoir passé quasi-inaperçu de la réforme de Wall Street, dite « Dodd-Frank », adoptée le 15 juillet 2010 par le Sénat américain. Pour la première fois, les entreprises du secteur extractif cotées à Wall Street sont appelées à déclarer les versements qu’elles effectuent au gouvernement de chaque pays dans lequel elles opèrent. Dorénavant, les riverains organisés pourront peut-être demander des comptes au gouvernement quant à l’utilisation des revenus issus des mines.
Il faudrait pouvoir réaliser l’extension d’une telle mesure qui est une victoire importante de la campagne internationale « Publiez ce que vous payez », soutenue à travers le monde par plus de 600 associations qui plaident depuis 2002 en faveur de la transparence dans le domaine extractif. Les citoyens disposeraient d’un outil essentiel pour contrôler le niveau des recettes publiques et veiller à leur affectation en faveur du développement économique, agricole et des services essentiels, étant donné que 80% des grosses entreprises opérant dans le secteur minier sont cotées à la bourse américaine[29].
On n’en est pas là au Cameroun, pour l’instant. On en est encore aux tours de passe-passe. Et ce n’est pas une mince affaire !
« Tous, on le sait, renchérit Achille Mbembé. Et tous, nous sommes impuissants à y remédier. Le Cameroun de 2010 ressemble aux écuries d’Augias – en attente d’un nettoyage radical et d’une rupture nette et sans concession. Car, tant que ce régime de la licence absolue et de la débauche permanente déterminera notre destin, il n’y aura rien à attendre de l’avenir »[30].
Jean Marc Soboth est journaliste, ancien membre du Comité Exécutif de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), ancien membre du Comité Directeur de la Fédération des Journalistes Africains (FAJ), Président-Fondateur du Syndicat National des Journalistes du Cameroun (SNJC)
[1] Colonel Jean Charbonneau, On se bat sous l’Équateur… La Conquête des Colonies allemandes d’Afrique et les Problèmes qu’elle pose, Lavauzelle et Paris, 1933, p. 16.
[2] Ibid
[3] L’UFA est le parchemin administratif qui confère une certaine propriété de la forêt aux pilleurs mais qui, contrairement à l’apparence n’induit aucun aménagement subséquent de l’espace.
[4] Les Baka sont les Premières Nations, c’est-à-dire premiers habitants de la forêt africaine, Premières Nations d’après une nomenclature terminologique empruntée à l’Amérique du Nord
[5] F. Etoga Eily, Sur les chemins du développement : essai d’histoire des faits économiques du Cameroun, Cepmae Yaoundé, 1971, p. 326
[6] Officiellement indépendante de sa tutelle française depuis le 1er janvier 1960, la « République du Cameroun » s’est réunifiée à la partie sud du territoire sous administration britannique (Southern Cameroons) en septembre 1961 suite à un référendum organisé le 11 février 1961 par l’Organisation des Nations Unies (Onu). Le pays est dirigé depuis le 06 novembre 1982 par M. Paul Biya, deuxième président depuis l’indépendance; il est « poulain » de la France et ancien Premier ministre de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo.
• Situé au centre de l’Afrique dans le golfe de Guinée, juste en dessous de l’équateur, le Cameroun dont il s’agit ici du système a pour capitale politique Yaoundé, ville fondée à l’origine par l’administration allemande pour la douceur de son climat. C’est un État de dix provinces déconcentrées, doté d’une population de 19,4 millions d’habitants, établis sur une superficie de 475 442 km2 – contre 750 000 et plus sous le protectorat allemand. Soumis à un régime présidentialiste de type africain, l’ancien protectorat de Berlin a adopté comme langues officielles l’anglais et le français, qui coiffent plus de 200 ethnies indigènes…
[7] Audrey Nang Obame et Julien Nkolo Reteno, Le franc Cfa, entre arnaque et imposture !, Attac Gabon, mai, 2010. Une excellente démonstration qu’ « Aujourd’hui, le maintien du franc Cfa est une servitude acceptée » par les leaders des ex colonies françaises
[8] La côte camerounaise a subi les affres de la traite négrière transatlantique ; F. Etoga Eily en restitue une idée dans son ouvrage cité supra.
[9] Le terme est d’Achille Mbembé (in Africultures, newsletter de l’Unesco, 29.06.2919). M. Mbembe est un universitaire camerounais respecté, qui a notamment enseigné à l’université Columbia de New-York et qui est actuellement membre de l’équipe du Wits Institute for Social & Economic Research (WISER) de l’Université du Witwatersrand de Johannesburg en Afrique du Sud
[10] Shim Jae-yun, « Geologist discovers diamond deposits », Korea Times, 18 mars 2008
[11] Edition citee supra – 18 mars 2008
[12] Andrew E. Kramer, « Russia Stockpiles Diamond, awaiting the Return of Demand », New-York Times, May 11, 2009/Reuters, 25 juin 2009.
[13] Les activités consulaires ont alors été transférées à Abuja au Nigeria.
[14] D’après l’agence chinoise Xinhua News Agency dans une dépêche datée du 26 novembre 1996
[15] La dépendance du régime est à un point tel que pour choisir un sélectionneur national pour l’équipe nationale de football du Cameroun engagée à la coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud, M. Paul Biya s’en est référé au chef du gouvernement français François Fillon d’après L’Internationalmagazine.com du 7 septembre 2009.
[16] Agence France Presse. Le Ministre des Affaire étrangères de Corée du Sud a annoncé, le vendredi 17, la signature, la veille, par le gouvernement camerounais d’un permis d’exploitation des mines de diamants de Yokadouma
[17] “In many respects, Cameroon is a classic fragile state. On all measures, its institutions are weak…” in Cameroon: Fragile State? International Crisis Group (ICG), Africa Report num 160 – 25 Mai 2010
[18] Achille Mbembe, analysant la débâcle de l’équipe nationale du Cameroun à la FIFA World Cup 2010 sud-africaine, in Le Messager quotidien du 22 juin 2010
[19] La philosophie de la Loi numéro 001-2001 du 16 Avril 2001 portant code minier a consisté, sous la férule des instituons de Bretton-Woods, à mettre sur pied une politique visant à attirer des investissements pour la recherche/exploration dans le domaine minier national; dans la pratique, le code ne favorise que des bradages et n’a pas attiré de fonds du fait d’un marketing médiocre
[20] En 1997 et 1998, le Cameroun est arrivé en tête des pays les plus corrompus du Monde de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de l’ONG Transparency International.
[21] Sources : entretiens. D’après des cadres des Mines, la stratégie d’appel à prébendes consiste pour les fonctionnaires chargés de certains dossiers délicats à compliquer le traitement administratif desdits dossiers, provoquant notamment des retards incompréhensibles pour faire comprendre aux interlocuteurs qu’il faille « mettre la main dans la poche ».
[22] Achille Mbembe, analysant la débâcle de l’équipe nationale du Cameroun à la FIFA World Cup 2010 sud-africaine, in Le Messager quotidien du 22 juin 2010
[23] Source: entretiens
[24] Depuis la découverte du gisement camerounais, seule une minorité de personnes proches du Ministre des Mines, gravitant très souvent en marge de la hiérarchie interne visée du Département des Mines, a accès aux documents sur le gisement. Telle est en fait la stratégie qui permet au Ministre de réduire les moyens de contempteurs déclarés.
[25] In « Yokadouma Diamond Project in Cameroon », C&K Mining Inc., 2008, Document de base explicatif du projet adressé par l’exploitant au Gouvernement camerounais [site internet ?]
[26] Où nous nous sommes rendus par le moyen de transport le plus couru du coin : le porte-bagage de motos chinoises
[27] C’est une vieille rengaine des autorités administratives lorsqu’elles sont souvent appelées à trancher les rares différends fonciers qui naissent entre les exploitants et les populations. Elle ponctue souvent un discours complexe et inintelligible sur les lois et règlements régissant la gestion de la forêt, discours n’ayant qu’une perspective mystificatrice.
[28] Entretien avec le député Gervais Bangaoui Batandjomo et avec l’élite Mbimou
[29] Le CCFD-Terre Solidaire, le Secours catholique, Oxfam France et la plateforme française « Publiez ce que vous payez » ont salué le 19 juillet 2010 « une étape décisive vers la transparence du secteur extractif et une victoire de la société civile américaine ». La loi américaine a par cet acte repris l’esprit du projet de loi « Energy Security through Transparency Act » (S. 1700) déposé par un groupe bipartisan de sénateurs dirigé par le Démocrate Benjamin Cardin et le Républicain Richard Lugar au début de l’année. Le sénateur démocrate Patrick Leahy a proposé un amendement à la loi de réforme de Wall Street, qui a donc reçu un soutien décisif, notamment, des démocrates Christopher Dodd et Barney Frank qui menaient les négociations.
[30] Ibid, 17