Poémoire

Version pdf.:Bloc 2_Carducci

Par Lisa Carducci,

il est une poésie mémoire

réminiscence des passés

enfuis

qu’on essaie de retenir

souvenirs cicatrices avortées

vêtements d’autrefois pliés

dans du papier de soie

cortège de cercueils

qu’on porte en terre

avec épitaphe pour garder la trace

malsaine

de ce qui est disparu

et qu’on retient

toujours mal  gré

malgré que le passé

doive rester derrière

on le dénature

l’empêche d’être

passé de pics conquis

de failles enjambées

d’errances   de chutes

passés qui fluent et refluent

en stèles innombrables

plaies que l’on s’amuse à rouvrir

vestiges en berne

retrouver lieux sons lumières

êtres

à travers les lignes

entre les lettres

langue de silences

où toute parole est soupir

il y a loin entre le mûrier et la soie

mieux vaut se taire

(je ne t’ai jamais demandé si elle était mariée)

toutes ces amputations de tendresse

toutes ces mémoires tranquilles

mémoires ouragans

mémoires déchirées

tous ces excisés de mythes

ces interdits de légèreté

on voudrait répéter

n’y arrive pas

le désir s’estompe avant le rappel

pèlerinage dans les charniers de l’âme

séquence obsessionnelle de mémoire butée

les souvenirs comme les coquillages

échoués sur le sable

toujours vides

***

il est une poésie naissance

qui crée

les mots en marche

venus de l’instant d’avant

qui enfouit les arômes dans les parfums

pour en fixer la volatilité

un lac nouvellement gelé

où l’on ose

hésitation devant trop de certitude

mots qui échappent parfois

qu’on rattrape

triture

torture

est-il possible de revenir

le coton se rappelle

qu’il fut fleur

mots enfin libérés

les premiers

dialogues après absence

(lorsque j’ai enfin trouvé les mots justes tu étais parti)

poésie de sables

mirages turbulents

terre crevassée en attente d’eau

où  se révèle l’invisible

convoité

poésie temps poésie mouvance poésie naufragée

tout devient possible

robinets par où la mémoire fuit

croire profondément en quelque chose

quelqu’un

puis tout à coup décrocher

chagrin

brume de l’âme

temporaire je sais

le soleil       je sais

s’apercevoir que le marbre

s’érode

***

car la poésie est prophète

antichambre empreinte de peu

d’espoir

un vol de quinze

vingt pies voleuses criardes

jamais vu autant

y a-t-il une gare au bout de l’horizon

où s’arrêtent ces rails

qui s’enfuient

projection

tout n’est que projection

on joue à jeter des pièces de monnaie

dans la bouche d’une cloche

les tintements gelés

les avenirs glacés

seule la poésie peut percevoir

stabiliser les images

enchaîner l’impatience

la laine du mouton

bêle encore

discours de points d’exclamation

d’interrogation

il suffit d’être vivant

(je ne te demanderai jamais si tu m’as oubliée)

envie de mordre dans le rêve

pour voir

s’il en jaillira du réel

élever des saules

pour nos besoins d’ombre

poésie matrice de lendemains

poésie magie image cavalcade

bonheur entre parenthèses

choisir ses ailleurs

est-il nécessaire de mourir

contredire audacieusement le destin

choisir de tout recommencer

ignorer le compte à rebours.


D’origine italienne, Lisa Carducci est née à Montréal où elle a vécu jusqu’à 1991 avant de s’établir en Chine. Cinq de ses recueils de poésie sont des prix de publication en France ou en Italie.

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