Par Gabriel Gagnon,
Version pdf.: Bloc 3 – Gagnon, Gabriel
Mon ami Jacques Brossard est décédé en août dernier, dans le silence des médias. Je l’avais connu en juillet 1952, au Summer School of English de l’Université Queen’s de Kingston: il avait 19 ans, j’en avais 17. Ensemble nous avons appris quelques rudiments d’anglais tout en explorant une société pour nous nouvelle et étrange à la fois. Je l’ai retrouvé ensuite à l’Université de Montréal et au 2930 Edouard Montpetit où nous occupions chacun un appartement. Comme nous respections une intimité très protégée, c’est surtout dans les corridors et plus tard dans les cafés et magasins de la Côte-des-Neiges que ma compagne Marie-Nicole et moi avions coutume de le rencontrer pour discuter longuement d’un peu tout, de sa santé précaire, de la vie quotidienne, de politique et de littérature.
Jacques était un juriste de grand talent: un travail magistral de 800 pages sur «L’Accession à la souveraineté et le cas du Québec» (PUM 1976) a eu une influence considérable dans les débats constitutionnels de cette époque.
Jacques s’est avéré par la suite un des grands écrivains du Québec, trop mal connu du grand public. Après un recueil de nouvelles insolites et originales (Le Métamorfaux, HMH 1974) et un roman encensé par la critique (Le sang du souvenir. La Presse 1976), il s’est attaqué à l’oeuvre de sa vie, les 2 500 pages de «L’Oiseau de feu», rédigé de 1975 à 1985 et publié en 5 volumes chez Leméac, grâce à l’iintuition de l’éditeur Pierre Filion (l. Les années d’apprentissage, 1989; 2A Le recyclage d’Adakhan, 1990; 2B Le grand projet 1993; 2C Le sauve-qui-peut, 1995; 3 Les années d’errance 1997.
Il faut se donner le temps nécessaire pour lire tout d’une traite cette saga exceptionnelle dédiée à Jules Verne et à Carl Jung. Il s’agit d’un roman d’initiation où le héros, Adakhan, réussit par ses efforts à s’émanciper d’une société qui l’opprime et à devenir un de ses dirigeants avant de quitter une Terre en perdition pour recréer avec deux compagnes une nouvelle société. Sous le couvert de la Science Fiction, l’auteur explore à la fois les chemins de la liberté et les profondeurs de l’inconscient. Encore l’été dernier, j’ai conseillé la lecture de l’»Oiseau de feu» à un de mes amis qui a même pu rencontrer Jacques pour lui exprimer son enthousiasme.
Parallèlement à son oeuvre juridique et littéraire, Jacques rédigeait un journal commencé dès 1945. Peu avant sa mort, il m’avait exprimé son inquiétude par rapport à une publication éventuelle des 5000 pages de ce journal. Devenu presque aveugle il ne pouvait plus les soumettre aux corrections minutieuses dont il avait l’habitude. Dans la revue Possibles (volume 26 no 1-2 hiver-printemps 2001) j’ai pu publier pour la première fois un extrait de ce journal dont nos lecteurs ont pu constater le grand intérêt.
Il faudrait absolument qu’un éditeur, peut-être encore Leméac, accepte de mettre à notre disposition au moins des extraits de ce travail dont le contenu et l’écriture nous éclaireront davantage sur la vie et la pensée de cet auteur méconnu.