Par Juba Masensen,
Version pdf.: Bloc 2 – Masensen, Juba
À quelques années de ma mort, je me souviendrai que je n’ai pas fait grande chose. J’ai été berger pendant un temps, mécanicien pendant l’autre temps, bûcheron encore un temps, coffreur et maçon durant quelques temps, éboueur sans temps, chômeur beaucoup de temps, et un vaurien pendant longtemps.
C’est vrai que je n’ai rien foutu durant ma vie. Je n’ai pas pu aimer, je ne faisais pas du mal mais je ne connaissais pas le bien, je déambulais comme un chien, j’errais comme un fou, je regardais les gens sans âme et je mangeais dans la poubelle.
Tous les soirs dans ma poche de parka ANP une bouteille de vin pleine, dans un sac quelques bières, un camembert puant, un paquet de cigarettes Afras et un bout de carton pour les ivresses.
Pour les gens de bonne éducation je passerais pour un attardé mental, un clochard ou un ivrogne. Mais je vous dirai tous mes chagrins dans cette confession.
Au début de mes jours sur cette terre, je croyais que chaque individu aurait sa destinée en main. Mais en réalité c’est le contraire qui se passe. On m’a volé mon âme.
Que vous, chers lecteurs et chères lectrices, soyez mon seul et unique juge dont j’accepterai la sentence.
J’ai été à l’école pendant mon enfance, en élève studieux qui voulait, avec sa curiosité, devenir médecin ou pilote. Je ne vous raconterai pas les supplices que j’ai subis, mais juste une goutte du sceau géant.
Venant d’une montagne sacrée, respectant les gens et leurs pensées comme mes parents me l’avaient appris, je ne me doutais pas qu’au coin d’une salle pédagogique je serais jeté sans un regard de cet instituteur sans âme. Je m’en souviens comme si c’était cet instant. Il m’a demandé si Dieu existe et j’ai répondu que je ne sais pas. Il s’est mis en colère et a pris un bâton bien taillé dans un grenadier de la cour de l’école. Ensuite, il m’a ordonné de lui donner mes mains si frêles en cet hiver rude de l’année 78. Je ne pouvais pas dire non parce que c’était mon maître. Quarante cinq coups et je voyais mes mains ensanglantées sans les sentir. Dans ma dignité de montagnard, j’ai résisté à la douleur extrême que même ce Dieu que je ne connaissais pas ne pouvait décrire dans ses livres sacrés. Mon corps a résisté mais mon âme s’est effritée en mille morceaux et s’est désintégrée et fluidifiée pour pouvoir passer en larmes à travers mes yeux. Ces larmes dont la supplication était si apparente, personne parmi les élèves ne voulait les voir.
Au bout de quelques minutes, le bourreau revint de sa colère et j’ai cru à la délivrance. Mais hélas, son côté diabolique reprenait ses forces sur mes fesses qui à ce jour en gardent encore les séquelles. J’ai résisté encore aux deux cents coups sans crier gare. Ma dignité était plus forte que la folie meurtrière de cet homme que tous les gens considéraient comme un érudit du savoir. Que pouvait faire un garçon de sept ans contre toute torture normalisée par la société ?
Le pire, après ces blessures profondes du corps et de l’âme, est que cet homme au savoir m’a lancé à la figure que je suis un chien. Un chien aurait-il donné ses pattes ou aurait-il gardé le silence et souffert ? Non, il aurait mordu aux couilles.
Cela dit en passant. J’ai repris les bancs d’école et les supplices quotidiens avec. J’ai réussi malgré tout à sauter en classe supérieure où la méthode pédagogique était inchangée. Je ne savais pas d’ailleurs comment j’ai pu le faire.
Au bout de trois années de torture, j’avais enfin une institutrice très belle à regarder et à écouter. Elle avait su déceler en moi son génie de la classe. J’avais en cette année l’affection, la douceur et le respect. Cela n’a pas duré plus d’une année.
De classe en classe je sautais et j’avais obtenu mon baccalauréat. Mon âme a été violentée et je ne savais pas quoi faire de ce corps. Des années à l’université, je n’ai retenu que les discours religieux dispensés dans des travaux dirigés pourtant par des sciences exactes. Je voyais des filles voilées, des hommes barbus et à quelques mètres, j’entendais des sons assourdissants de bombes et des armes automatiques.
A la fin du cursus, je n’avais ni copine, ni amie sauf quelques fous comme moi. Le diplôme en poche, je déposais des demandes d’emploi là ou je passais. La réponse a été toujours la même que vous tous, chers lecteurs et chères lectrices, avez reçue un jour de votre vie. « Nous avons le regret de vous faire savoir » ou « de vous annoncer » (c’est selon le style) que le poste que vous avez demandé a été pourvu.
Las de tout et sans désir de me voir pilote ou médecin, j’ai décidé de me donner un temps de repos en ne parlant qu’à moi-même. Mes amis, les anciens et mes parents ont cru à ma folie et ont fait savoir publiquement que je suis possédé. Un exorciste a été invité chez moi, dans ma chambre, pour me faire une thérapie religieuse. En le voyant, je l’ai assommé avec un coup de tête et je me suis enfui de chez moi pour ne plus revenir.
Un jour, j’ai essayé de rependre mes forces mais c’était déjà trop tard. Je n’avais plus de souffle car les voleurs d’âmes ont pris la mienne.