Par Ouanessa Younsi,
Version pdf.: Bloc 2 – Younsi, Ouanessa
« Aimer un étranger comme soi-même
implique comme contre-partie:
s’aimer soi-même comme un étranger. »
– Simone Weil, extrait de La pesanteur et la grâce
« L’amour abstrait de l’humanité
est presque toujours de l’égoïsme. »
– Dostoïevski, extrait de L’Idiot
Au fil de ma formation, alors que j’apprenais le langage inévitable de la folie, ses expressions propres, ses hyperboles et surtout, ses inconséquences, on m’inculqua le plus souvent que le suicide était l’apanage de la maladie mentale. Les pendus étaient des fous; les intoxiqués, des désespérés qui osaient finalement une action. Chaque balle, chaque trou profond et béat dans l’âme humaine, s’avéraient ainsi réduits à un dérèglement au mieux neurobiologique, au pire psychique, et parfois les deux simultanément. Pourtant persistait en moi une conviction toute autre, intime, profonde, éminemment liée à l’existence et à ses moments graves de désespérance, quand même nos proches trébuchent. De fait, je demeurais persuadée, et le suis encore, que le geste suicidaire émerge également d’un monde qui nous est largement inconnu, du mystère de la vie et donc de la mort, d’une impulsivité foudroyante qui nous amène à tout jouer à la roulette russe, d’un seul coup de géhenne. Faut-il absolument des raisons précises pour mourir, autres que cet isolement qui nous accable tous, ou ce sourire narquois d’un passant dans la rue qui fait déborder les vases de cœurs déjà inondés.
J’ai évidemment rencontré beaucoup de patients qui confirmèrent cette propension de mon âme à croire en d’autres âmes. D’autres l’infirmèrent plutôt, accumulant les tentatives de suicide comme des contraventions de stationnement: trop parqués dans la vie pour y rester à mort, et à la mauvaise place. Certains se suicidaient dans un état de psychose, afin d’échapper à de prétendus persécuteurs, à la GRC, aux extra-terrestres, au diable ou au mauvais œil. La dopamine travaillait fort. Très fort. Et il fallait assurément prescrire des antipsychotiques. Mais je me rappelle un homme fier comme un coq, paré comme un paon, qui avait choisi la mort sans réellement savoir pourquoi. Contre toute attente, il fut rescapé de celle-ci, sauvé du coma, survivant à la grande guerre mondiale, celle que nous menons toutes et tous, un peu vainement osons l’admettre, contre l’entêtée faucheuse qui nous hache l’existence.
Le transfert de notre futur patient, un certain Gilles selon l’infirmière chef, nous avait été annoncé en après-midi. L’histoire ressemblait à s’y méprendre à tant d’autres, comme une fable du désespoir ressassée de siècle en siècle et s’échouant au bord du nôtre. Ce récit incessamment retranscrit se révélait néanmoins inévitablement déformé, tel un conte soumis à la tradition orale dont l’on perd quelques bribes pour mieux en ajouter des nouvelles. Désespoir permanent et éternellement revisité, ressemblant à la différence, investi d’une unicité déjà inédite. Tout patient donne la mesure du monde, comme le soleil perçant le ciel chaque matin, mais d’une lumière déjà nouvelle, soumise à un regard déjà changeant. Saisir l’homme, c’était pour le médecin que je tentais d’être, écrire à l’encre tendre sur une mer fugitive.
Ainsi cet homme colorait-il le désespoir universel de sa teinte toute singulière, noir grisonnant avec l’âge et les rides au cœur. Une histoire banale et exceptionnelle toute à la fois: Gilles avait perdu son poste de directeur informatique au plus grave de la crise économique, et perdu du même coup une large part de son orgueil, ce véritable employeur de nos existences. Sa femme avait auparavant demandé le divorce. Il avait donc accumulé les gouttes qui font déborder les vies. J’avoue toutefois ne pas avoir clairement compris les causes exactes de ce divorce au fil de nos entrevues pourtant nombreuses. Chose certaine, il ne s’en était jamais réellement remis. J’imagine que dans la mesure où l’on n’a pas traversé l’œil d’un ouragan, les raisons précises de celui-ci importent peu. Il s’agit de se battre, contre les souvenirs, contre la mémoire, contre ce qui nous assaille sans relâche, au centre d’une tempête dont on ne comprend que les gifles venteuses. Je saisis à tout le moins que cette séparation disait davantage par ses silences et son apparente étrangeté que par toutes les vaines rationalisations du monde. Et je renonçai donc moi aussi à interpréter un événement somme toute presque normal, alors que nous vivons dans une époque où les fossés foisonnent bien davantage que les ponts. Néanmoins, puisqu’il faut bien faire son métier, je m’attelai à réaliser (ce qui était plutôt aisé) combien cette rupture était toujours vive, plaie non cicatrisée et encore saignante jusque dans mon bureau.
C’est donc dans le terreau fertile du vide, tant affectif que professionnel, que le désespoir germa progressivement. Gilles eut-il pu pleurer qu’il aurait créé un océan et séparé les eaux entre ses yeux, mais il n’était qu’aridité, sécheresse, famine, disette, hors des pluies qui constituent déjà une forme de vie. Du moins est-ce ainsi qu’il me raconta son histoire, avec l’inévitable lunette subjective d’un homme narrant son existence comme l’épisode d’un téléroman. Il m’expliqua ensuite comment une fleur, déjà morte en réalité et croissant vers le bas, avait poussé à travers l’épais pergélisol. Cette fleur frileuse, c’était l’idée du suicide, l’anéantissement de soi, alors qu’on se sent déjà si petit, si inutile et risible. Le plan était simple, presque trop: avaler des comprimés et de l’alcool pour dormir, voire mourir. Le moment était plus complexe. Il fallait un symbole pour un geste qui n’enfante que du néant. Il choisit de façon aléatoire la date d’anniversaire de sa soeur, ce qui démontre qu’il n’y a pas de hasard lorsqu’un homme décide de porter la main et le monde contre soi. Mais on se soumet rarement à ses dates, les résolutions du nouvel an l’ont toujours illustré. La date fut donc repoussée et n’eut aucune signification surplombante. Quel paradoxe de tant vouloir donner du sens à ce qui semble à prime abord tellement absurde! La Shoah n’avait pas de sens transcendant. À plus petite échelle, je décidai arbitrairement que le suicide de Gilles ne pouvait en avoir non plus.
Le moyen était établi, la date importait finalement peu, mais il restait un obstacle de taille: les enfants. Trois. Enfantins enfants. Parfaits enfants. Innocents enfants. Gilles me les décrivit en détails: trois grains de beauté sur la tête de l’Amérique, des rires de cristal vibrant comme tous les champs du monde, des cheveux tels des tournesols, une habileté sans précédent à jongler avec des oranges et à créer un imaginaire pour le chanter. Je n’ai pas vraiment noté leurs noms, puisque je les appelais directement par leurs âmes. Il est fascinant d’avoir le sentiment de connaître ainsi trois êtres que je ne saurais pourtant reconnaître dans la rue. La parole d’un homme sert en un sens tous les hommes, et en particulier ses enfants. Comment mourir quand on a trois fils qui nous ramènent à la vie à chaque instant? Je ne le sais pas, je n’ai pas d’enfant, et je ne peux m’imaginer ce que cela signifie concrètement d’avoir trois êtres grouillants qui vous chavirent de l’intérieur et vous font du bien à l’âme. Gilles leur écrivit ainsi une longue lettre, comme pour implorer leur mansuétude à l’avance, inutilement en un sens, car comment peut-on pardonner un tel geste à son père, qui nous laisse là, nus dans la vie, sans ses pas pour nous montrer le chemin et sans ses ailes pour nous donner à rêver? Jamais Gilles ne put m’expliquer cet apparent délaissement, qu’il entrevoyait en rétrospective comme un mauvais rêve. Cela ne me suffit toutefois pas. Je veux comprendre. Il me faut comprendre, pour réparer les pots cassés, pour répondre enfin à ces interrogations qui trouent la peau chaque jour durant, tandis qu’on tente de recoudre celle des autres: comment un parent peut-il tenter de se suicider? Pour l’enfant que j’ai un jour été, il s’agit d’un non-sens. Et c’est seulement en m’appuyant sur une compassion plus grande que moi, plus vaste que Gilles, une compassion aimante et néanmoins pleinement humaine, que je peux accepter ce geste sans le comprendre. Renoncer à sa tête, voilà une intime compréhension d’autrui. Une humilité.
Gilles avait ainsi réglé sa vie avant le grand soir. Il prépara les comprimés de somnifères, qu’il étala trois à trois, sur la table. Pourquoi trois et non deux ou quatre, c’est là l’échec de toutes les numérologies du monde. Avant de commencer à boire jusqu’à la griserie, au sens néologique de grisaille, il appela son ex-femme, l’intimant d’aller cueillir les garçons à leur pratique de football, prétextant un vague malaise, qui cachait évidemment un tsunami de mal-être. C’est cet appel qui m’intéresse, parce qu’il dit tout, absolument tout. Cet appel est une bouée. De sauvetage ou de naufrage, nul ne le sait, billot de bois pourri qui ne flottera pas ou vaste embarcation solide comme une amarre, qu’importe. Car la bouée est lancée et elle révèle, à travers cette tentative suicidaire, un ultime appel. Gilles aurait pu ne pas choisir ce moment précis où ses enfants ne pouvaient être amassés au gymnase par lui-même, déjà trop saoul et endormi sur le tapis inutile. Mais il a choisi cet appel, délibérément. Non seulement l’a-t-il décidé, consciemment ou inconsciemment, cela ne change rien en réalité, mais il a appelé son ex-femme pour le lui signifier. Je prétends dans mon for intérieur qu’il le savait. Il voulait jeter cette bouteille à la mère et il l’a fait. Que le message se soit rendu, qu’il ait été entendu, puis compris, et qu’une action s’en soit suivie, cela tient du miracle, j’en conviens. Or les événements exposent toujours ce qu’ils tentent de cacher. Si Gilles a pu me raconter son histoire, qui est l’histoire du désespoir qui contient déjà de l’espoir, qui est l’histoire d’un geste suicidaire qui enfante déjà son annulation, alors il faut se résoudre à lire cet appel comme celui de notre condition commune: l’ambivalence.
Ce qui me permet d’écrire cela aujourd’hui, avec une conviction dont je n’ai certes pas l’habitude, c’est cet air miraculé qui auréolait Gilles lors de nos entrevues. De fait, je prévoyais rencontrer un homme pleinement fauché, anéanti, un homme usé, las d’exister, un homme déprimé en somme. Quel ne fut donc pas mon ébahissement lors de notre première entrevue, alors que je m’entretins avec un homme souriant et même, heureux. Il pénétra dans le bureau comme en son royaume, altesse déjà volante. Il était de petite taille, plutôt bâti, ayant probablement compensé la mince hauteur par un entraînement minutieux, cherchant à grandir à l’horizontal, pour être à l’image de son idéal, soumis au miroir dans lequel il semblait sans cesse se regarder. De fait, ce qui frappait le regard, c’était son apparence qui paraissait entretenue avec un grand soin. Il était vêtu d’un costume agencé dernier cri, de bottes de cuir à la pointe élancée, vernies de surcroît. Sa chemise était ouverte jusqu’au troisième bouton et je ne pouvais m’empêcher de croire que ce discret dénuement était pensé, réfléchi, entretenu par cette glace invisible qui le suivait comme son ombre. Du poil en sortait, tels quelques fétus émergeant d’un pré recouvert de bâcles. Ses cheveux grisonnants étaient teints, mais de façon si naturelle que je doutai moi-même un certain temps de cette coloration. Il arborait une montre dorée qui vous sautait directement à l’œil, quand bien même vous auriez voulu l’éviter, tant elle rayonnait ardemment sous la lampe. Sa poignée de main concordait avec son image; le personnage paraissait sans faux pli, parfait dans le rôle qu’il s’était lui-même attribué. Il me serra donc la main fermement, mais sans la broyer comme le font habituellement tant d’hommes, paradoxe qui ne manqua pas de me surprendre.
Dès notre première entrevue, il me raconta son histoire, comment son ex-femme avait appelé le 911, comment il s’était endormi et ne se rappelait finalement de presque rien. Il fit découler l’appel à l’urgence de son ex-femme de la seule intuition féminine, soulignant qu’il ne lui avait aucunement fait mention de ses intentions suicidaires. J’ai longtemps douté de cette allégation, voyant avec quelle insistance Gilles la répétait et la paraphrasait. Mais pour lui, cela était déjà du passé. Pour le moment, et ce tout au long de sa brève hospitalisation, il n’en avait que pour ce qu’il dénomma lui-même sa «survivance». Il y avait presque quelque chose de christique dans cette résurrection, à l’entendre du moins. Mais je ne pouvais me résoudre aux miracles, dont je soupçonne inévitablement leur fragilité de châteaux de sables en Espagne. Je le questionnais donc sur ce passé et il l’éludait avec tout autant de zèle. Tout au plus avança-t-il qu’il avait reçu plusieurs témoignages de sollicitude et d’attention depuis ce geste suicidaire, ce qui l’avait amplement comblé. Il souhaitait désormais se tourner vers l’avenir en s’appuyant sur cette confiance apparemment reconquise. J’étais un peu éberluée face à ce revirement. Il fut donc convenu que Gilles resterait à l’hôpital quelques jours, le temps d’effectivement observer de visu cette «survivance» et de lui donner la chance de l’expérimenter dans le réel, lors de congés temporaires de l’hôpital. Il se soumit non sans réticence à cette recommandation, se plaignant dès son arrivée de ne pouvoir utiliser son ordinateur dans sa chambre.
Son comportement en entrevue, séducteur, affable, aimable à outrance, me laissait l’impression d’une fausse note et se répercutait inévitablement sur l’ensemble, comme si tout avait été surjoué et un brin forcé. Je pressentais pourtant maintes failles sous cette armure virile, crevasses que je ne pouvais m’empêcher de trouver chérissables. C’est à ces entailles que je m’accrochai, évitant dès lors de juger ce personnage qui tentait de me séduire tel un objet à posséder et qui n’avait finalement d’amour que pour lui-même. De fait, je savais, par sensibilité davantage que par sagesse, que n’aimer que soi, c’est déjà se détester hautement et se sentir, en vérité, indigne. J’en conclus qu’il me fallait par conséquent l’accueillir davantage, entrevoyant de toute mon inexpérience ce que c’est que d’être un homme si frêle qu’il vous faut porter sempiternellement mille cuirasses. Il me fallait apprendre ce que c’est que d’aimer, non pas au sens de l’Eros, mais au sens d’Agape, cet amour compassionnel qui nous échappe dès que nous prétendons l’incarner.
Si son comportement en entrevue s’avérait plutôt expansif, sa présence sur l’étage, elle, relevait de l’Olympia. Il fit son entrée royale sur la scène du département et les patients se ruèrent sur lui telles des abeilles sur un pot de miel. Gilles jurait complètement avec les autres patients, ne serait-ce que par son accoutrement. Calvin Klein rencontrait la chienne à Jacques et je ne pouvais m’empêcher de sourire à cette vision fantasque. Gilles devint rapidement le centre de l’attention, se pavanant devant ses spectateurs reconnaissants. De façon surprenante, alors que je croyais initialement qu’il deviendrait un véritable loup dans une bergerie, il eut un effet plutôt apaisant sur la majorité des patients. Il calma les maniaques, fit rire des dépressifs, comprit les rares psychotiques et éclaira les plus déments. Il questionna tout un chacun, tentant de saisir quelle part de raison pouvait subsister derrière tant de paravents de folie. À partir de papiers mâchés et tellement brouillons, Gilles créa de l’origami. Évidemment, il trouva, grâce à «sa bande de fous» (car c’est bien ainsi qu’il dénomma «ses» patients), une source inépuisable de valorisation. Je ne pus cependant m’empêcher de croire que, par-delà les apparences, Gilles développait une affection sincère pour ces gens abondamment meurtris par la vie.
Il devint ainsi de plus en plus évident que Gilles ne souffrait aucunement de dépression. Il avait été agressé par la vie, là où il était le plus fragile, à l’ego même, et les plaies s’étaient aujourd’hui cicatrisées par l’attention, le soin, les témoignages, l’amour, la présence. Cet homme avait-il été malade? La dépression était-elle en cause dans sa tentative de suicide? Ou était-il simplement un homme trop en proie à lui-même et à ses blessures à ce moment particulier de sa vie? Et d’abord, avait-il réellement voulu mourir? Comme l’évoquait éloquemment Pascal: «Tous les hommes cherchent le bonheur, même ceux qui vont se pendre». Mais je m’aperçus que tout cela importait finalement bien peu: il était vivant. Tellement vivant. Vivant. Et moi j’étais émue, et je le suis toujours. C’est d’ailleurs pourquoi j’écris cela. Ô je sais que la vie est chétive, passage sans trace sur les sables soumis aux marées dures, et c’est pourquoi il me faut la raconter, la dire, la hurler même, avant qu’elle ne s’estompe, sans renoncer à sa part de beauté, à ses moments de grâce, à ses boueuses grandeurs. Combien de fois m’étais-je questionnée et triturée de l’intérieur, cherchant les raisons qui m’avaient poussée à choisir ce métier et cette vie, sans trouver aucune réponse claire, absolue? Aujourd’hui je puis écrire, timidement certes, mais écrire quand même, que Gilles représente probablement, au plan symbolique, l’une de ces raisons: ma foi intarissable en la poésie insoupçonnée des hommes.
Or tout poème a une fin. Gilles obtint donc son congé de l’hôpital, tant il se révélait en meilleure forme que la plupart du personnel de l’hôpital. Lorsque je le lui annonçai, il fut partagé entre la joie de quitter l’aile psychiatrique et la déception de laisser un monde qu’il avait malgré tout adopté. Il me répondit qu’il s’était informé pour œuvrer à titre de bénévole auprès des patients, non sans se flatter de son habileté particulière à illuminer les malades, lançant au passage qu’il était probablement meilleur que les infirmières. Quelques jours encore et il se serait certainement attribué des compétences médicales! Ce type de commentaires m’aurait habituellement fait sourciller, mais je m’étais déjà résolue à accueillir toute remarque de cette nature de la part de Gilles avec un grain de sel, ce que je fis avec succès, lui répondant tout bonnement avec un sourire. Je dois avouer que j’étais plutôt sceptique à l’idée que Gilles reviendrait effectivement à l’hôpital une fois son congé obtenu, simplement pour accompagner et divertir ses anciens comparses. Je le croisai toutefois dès le lendemain, apportant des revues et du chocolat, causant un embouteillage dans le corridor, alors que tout un chacun s’évertuait à raconter son histoire, ou n’importe quelle histoire, pour le simple plaisir d’échanger et d’être, ma foi, écouté.
Je maintins néanmoins mon pyrrhonisme pendant près d’une semaine, doutant dès lors de l’assiduité de ce «bénévolat». Son ardeur ne se démentit pas. Gilles s’avéra plus régulier qu’un métronome et plus attendu que le soleil lui-même. Je dus me rendre à l’évidence: cet homme en apparence dénué de compassion, reviendrait de jour en jour sur cet étage, où je ne me trouverais bientôt plus moi-même. J’étais heureuse de m’être fourvoyée, joyeuse de cette présence renouvelée dans l’absence, de cet hélianthe, eut-il besoin de toute l’obscurité de la maladie pour briller mieux, qui éclairait le bateau d’infortune des psychiatrisés de ce monde, cette nef d’exclusion. Je prenais conscience, de façon éminemment sensible, que cette chaleur s’avérait fondamentale pour cette suite de patients hantés par les glaces et la mort. Je savais également que je quitterais moi-même sous peu cet embarquement, pour voguer ailleurs, dans d’autres couloirs polaires, où j’aurais encore parfois tellement, tellement froid.
Née en 1984 à Québec, Ouanessa Younsi est médecin résidente en psychiatrie et étudiante en philosophie, mais son âme est en littérature. Elle a publié dans diverses revues.