Par Serge Mongeau,
Version pdf.: Bloc 3 – Mongeau, Serge
Aujourd’hui, nous nous trouvons certainement à un moment crucial de notre histoire. Nous sommes à la veille de l’effondrement des systèmes qui constituent le support de la vie sur Terre. La production des gaz à effet de serre augmente constamment, provoquant déjà des dérèglements climatiques importants, les terres agricoles rétrécissent et deviennent de moins en moins productives, la diversité biologique diminue, les populations de poissons se réduisent, les ressources non renouvelables s’épuisent ; tout cela parce que nous consommons trop, bien davantage que les capacités de notre planète. Et pour le moment, rien à l’horizon ne laisse entrevoir de solution, bien au contraire, car nos gouvernements concentrent tous leurs efforts à la relance de l’économie, laquelle repose sur une constante augmentation de la consommation.
Mais comment allons-nous faire quand par exemple l’agriculture industrielle va s’effondrer (ce qui ne peut manquer d’arriver bientôt quand le prix du pétrole va se mettre à grimper en flèche.) ? Car nombre de scientifiques nous annoncent un pic du pétrole très proche, en fait, une demande de pétrole supérieure à l’offre, qui se traduira par l’augmentation rapide de son prix. Bien sûr, on essaie de nous rassurer en nous disant qu’il reste beaucoup de pétrole, dans les sables bitumineux par exemple ; mais on oublie que c’est un pétrole très coûteux à produire et que, parallèlement, le pétrole exploitable à bas prix, lui, s’épuise rapidement. Quand on constate la dépendance au pétrole de l’agriculture industrielle, il y a de quoi s’inquiéter ; et encore plus quand on s’arrête à faire l’inventaire de tout ce qui, dans notre consommation courante, est fabriqué à partir de cette substance.
Il est clair que nous ne pourrons continuer bien longtemps à vivre dans cette totale dépendance du pétrole. Nos élites politiques et financières continuent la course au « progrès », comptant sur une illusoire miraculeuse technologie pour permettre la poursuite d’une consommation débridée; mais en agissant ainsi, elles ne font que retarder la mise en marche des mesures qui nous permettraient de retrouver l’équilibre nécessaire à une planète déjà fragilisée. Comme nous ne pouvons plus rien attendre d’ « en haut », que faire alors ? Nombreux sont celles et ceux qui se découragent et se contentent de jouir de la vie en attendant les désastres qui ne manqueront pas de venir… Cependant, la passivité est la pire des attitudes qu’on puisse adopter; si nous abandonnons, nous laissons toute la voie à ceux qui nous ont conduits là où nous en sommes et qui cherchent par tous les moyens à poursuivre dans la même direction. Avant de pouvoir leur ôter le pouvoir qu’ils se sont octroyés et donner une orientation différente à notre société, nous aurons besoin de temps. En attendant, il faudra survivre.
Dans plusieurs villes occidentales, des citoyennes et citoyens ont commencé à se regrouper pour faire de leur lieu de résidence un espace de résilience, c’est-à-dire capable de s’organiser pour répondre à leurs besoins dans les périodes difficiles que nous promet l’avenir. S’inspirant d’un modèle d’abord développé en Irlande par des spécialistes de la permaculture, le mouvement a pris de l’ampleur dans tout le Royaume-Uni pour bientôt apparaître ailleurs en Occident. Aujourd’hui, plus de 250 municipalités dans une quinzaine de pays sont reconnues Villes en transition officielles ; ce qui signifie que s’y trouve une organisation citoyenne qui œuvre à rendre la ville de moins en moins dépendante du pétrole et donc de plus en plus autonome. Dans des centaines d’autres villes, dont quelques-unes au Québec, en France et en Belgique, des gens commencent aussi à s’inspirer de ce modèle.
Et c’est là qu’est tout le génie du mouvement des Villes en transition : fournir des moyens concrets à celles et à ceux qui veulent commencer à agir immédiatement, en se mobilisant pour, dès aujourd’hui, entreprendre la construction de nos communautés de demain, des communautés résilientes, fondées sur la solidarité et préoccupées d’assurer à tous le minimum vital. Et ce faisant, redécouvrir le vrai sens de la démocratie et peu à peu reprendre le pouvoir qui nous revient et mieux gérer nos sociétés. Si n’existe pas cette volonté de s’en sortir ensemble, c’est la loi du plus fort, c’est-à-dire du plus riche, qui s’imposera.
Hopkins et ses collaborateurs, qui ont fondé le mouvement, n’ont finalement rien inventé; ils ont puisé dans les meilleures expériences de divers groupes pour arriver à une formule qui fonctionne. À preuve, la rapidité avec laquelle elle se répand. Le secret ? Sans doute la combinaison de divers éléments : les sages enseignements de la permaculture, la redécouverte des capacités de chacun, la réhabilitation de la débrouillardise et des savoirs anciens, le sens de la communauté et la joie du vivre ensemble. Et surtout la conviction qu’à plusieurs, on peut faire quelque chose de concret au lieu d’attendre passivement.
Faire quoi ? Il suffit qu’un groupe de citoyens se concertent et décident de commencer à agir ici et maintenant; ils regardent autour d’eux, déterminent ce qui pourrait être fait concrètement dans leur milieu, procèdent à l’inventaire de ce qui se fait déjà et mérite d’être encouragé, sensibilisent leurs concitoyens à l’urgence d’agir et se lancent bientôt dans diverses actions à leur portée : l’organisation de potagers collectifs ou communautaires, une meilleure isolation des logements, la promotion des transports actifs, etc. Et après quelque temps, établir un Plan de descente énergétique qui devrait conduire à une dépendance minimale au pétrole.
Une des raisons pour lesquelles le mouvement des Villes en transition se répand rapidement vient du fait qu’il s’inscrit dans une mouvance déjà bien développée par d’autres mouvements comme la simplicité volontaire, la consommation responsable, l’achat local, l’agriculture biologique et quelques autres encore. Beaucoup de personnes sont déjà concrètement engagées et prêtes à aller plus loin au sein d’un mouvement collectif. Ce manuel leur sera certainement utile.
C’est par des reportages dans diverses revues que j’ai d’abord entendu parler du mouvement des Villes en transition. J’ai voulu en savoir davantage et me suis procuré le Transition Handbook, dont Écosociété a publié la version en français.
Dès le départ, j’ai trouvé géniale la formule développée par Rob Hopkins et ses collaborateurs : en se fondant sur une analyse lucide de la situation, la proposition d’actions concrètes, significatives et à la portée de tous. Moi qui, déjà depuis un certain temps, travaille à la promotion d’une décroissance conviviale, je trouve dans ce modèle des Villes en transition une piste bien balisée vers laquelle orienter les gens inquiets de notre avenir collectif.
Ce Manuel représente, à mes yeux, une bouée de sauvetage en même temps qu’une bouffée d’air frais. Puisse-t-il redonner espoir à toutes celles et à tous ceux qui désireraient retrouver les moyens d’un vivre ensemble permettant à toutes les formes de vie de s’épanouir.
Serge Mongeau est l’auteur de La simplicité volontaire, plus que jamais… et il a dirigé le collectif qui a écrit Objecteurs de croissance, ces deux livres publiés aux Éditions Écosociété.